Le dépôt
Poèmes
Tentation
Elle n’était jamais ouverte
Les saisons passaient sans que les rideaux soient tirés
Sans qu’aucune ombre ne ternisse le vitrage
Sans qu’un cri ne ricoche contre les carreaux
La fenêtre était toujours fermée et son regard sans cesse attiré
Il y plongea d’abord les yeux au passage
Puis ralentit sur le chemin
Jusqu’à ce que, s’enhardissant
Il arrête d’être passant
Il avait sauté pour tenter d’accrocher
Un détail qui aurait pu révéler
Quelque chose
Rien
Rien que le reflet de son crâne et son ellipse dans le ciel
N’y tenant plus il
Se fit un échafaudage des poubelles
Grimpant sans grâce jusqu’à l’étage
Les doigts crispés sur la corniche
Sous ses yeux, une pièce abandonnée
Sans même les traces fantômes
Des meubles qu’on a donnés
La fenêtre n’était pas ouverte mais elle n’était pas verrouillée
Alors il poussa lentement le battant
Et devant lui s’étendit enfin
Enfin étendu à même le sol
Le secret de ses nuits d’enfant
Mort, assassiné
Horriblement grimé
Immémoré
Le vide l’appelait
L'aspirait
N’y tenant plus
Il tendit et tomba
Capitulant par la fenêtre
Tomba trébucha croula dedans
Jusqu’au cou à la lie
La fenêtre, elle ne s’est plus jamais ouverte
Les saisons passent
Les ombres aux traits tirés retiennent leurs cris
Les carreaux de verre ont finalement terni
Enroulement
Pris dans l'essieu de la musique
le disque lâche dans l’air
des sons qui font des notes
des sons qui creusent des flaques
dans la route des souvenirs
Je ne sais plus danser
Je connais tous les pas qui ponctuent la chanson
mais je n'ai pas les bons souliers
Mes membres fantômes refusent de me porter
Le disque tourne, tourne, tourne
et mon grand cœur me démange
J'ai les hanches qui chaloupent
dans mon nouveau fauteuil
Nous ne nous quittons plus
depuis qu'il a coupé l'herbe
sous mes pieds
Le disque tourne, tourne, tourne
et je ne sais plus danser
Je n'arrive plus à gratter, sous mes pieds
l'envie de courir et de sauter
Mais, si mes jambes sont rayées
mes roues peuvent encore tourner
Je plie le coude pour y déposer
la goutte d’huile
qui forme et reforme
la patine des mélodies
La roue tourne, le temps se remet à tanguer
la vie s’enroule autour du blues
des jantes et des moyeux
des silences à-demi avoués
Je tends la main pour faire le premier pas
Vous voudrez bien m’accompagner ?
S’épargner
Dans le réduit
Les semelles de tes chaussures
Ne sont pas émoussées
Dans la tirelire
Tes sous sont empilés
Tes billets repassés
Dans l’armoire
Tes habits des grands jours
N’ont jamais pris le soleil
Toi aussi
On t’a mis dans une boîte
Soigneusement fermée
Ta place étiquetée
Ton corps bien rangé
Sous la terre remuée
Tu ne risques plus de dépasser