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AUTEUR-E-S - Index 1

6 - Jean-Michel Maubert

L'ABSENTE [vingt cinq fragments poétiques - publiés dans le n°28 de la revue TRIAGES, 01/06/2016]


au matin, un veau errant


dans une lumière d'arbres secs


racines de cendres,


ces quelques gestes des mères ––


le fil blême du sang






soleil pierreux, cloué sur les eaux ;


les arbres comme des abîmes ;


têtes d'écorce des hommes ;


les chemins rouillent et s'enlisent


dans le gris de la plaine ;


les enfants rêvent de la boue ;


le temps te sembla dur, épais ;


brûle la lumière sèche des visages ;


des fleurs de feu, des allumettes ;


un âne se perdit dans l'ombre aveugle ;


puis les lignes sombres des villages ;


ainsi dure le feu la terre –– et ses liquides noirs ;


mur de nuit : silex, sa cendre; la vase morcelée des étangs ;


ta tombe entre les ajoncs






tête massive –– l'hydrocéphale aux yeux d'enfant ;


fenêtre d'ombre –– le feu de la route,


le rivage noir –– poussière de sang, sternes, pour les morts


le lait gris coulant de tes seins –– silence ––


le froid






sous le soleil sec –– poumons,


un hanneton crevant d'une patte l'arrondi du sein ;


ses mains, entre feu et rouille ;


des fourmis sortaient de sa bouche







dans le jardin brillaient des écorces blanches ;


le vieux cheval s'y frottait ;


des cris d'enfants dans les cours ; en toi le soleil était toujours plus

noir ;


le froid des galets ; tes poches pleines d'herbes ;


il y eut ce rasoir de lumière pâle –– pour toi, sœur ––


au matin ces coutures –– ta peau –– puis les heures : de vieux sacs ;


silhouettes de pluie –– les insectes cherchent la boue du jour






l'étang aux charognes ; ventres pâles et maigres ;


les herbes jaunes où flottaient nos jeux d'enfants ;


lune de ronces ; rues vides; fenêtres fossiles ;


les façades écarlates; ça sent le linceul ; têtes de fumée


des voisins ; les vieux pommiers ;


l'étendue dénudée où ton amour se fana ; puis


les cierges d'or ; les carcasses de moutons,


chaleur des veaux ; les gestes lourds des pères ;


lumière de porcelaine ; ciel de chiffons ;


pense à ces visages,


à présent cendres, nourrissant les morts







une rose


dans son lit de pluie ;


le froid marbré et noir de l'orage


quelques éclats, les ombres


les vertèbres, graines de sang


dans le champ noir ––


la neige de ton dos ––


lumière malade –– dans la chambre,


des cendres blanches –– sommeil,


comme un feu mort






aphasie –– les bêtes


mangeant les ronces ; terres mortes ;


l'astre décrépi; un couteau rouillé


le chat empaillé l'œil noir du lavabo ;


l'oiseau mort dans l'assiette






blessures : fleurs fanées ;


l'innommé buvant


l'obscurité du lait






linceul solaire –– l'île


dans la noirceur de l'air ;


l'eau la cendre –– des moutons des ânes


rongeant le brouillard ;


plaie lunaire de cette terre ;


le sable gris la jument nageant


sous le volcan noir






le cimetière –– ces lilas d'ombre; le vieux sang,


les pâles asters, tes mains cherchant encore


le visage du temps fané –– ici, un soleil noyé dans ta bouche






naufrage incessant de ces jours maigres ;


le noir du feu se brisant sur ton front ;


la soif, l'absence : sœur –– l'étoile en sang






la terre devenue épaule et dos ; un feu vierge


près de l'abattoir –– la lumière écaillée ;


l'herbe sombrant dans l'oubli ; l'os rongé ;


la ligne ténue de l'ombre courant vers les eaux






colline –– fragments du delta,


cette prune sombre –– dans l'ombre


dévastée, ton visage ––


sa pulpe de mort


les mots fanés, au bord






œillets rouges ; ta pupille


d'or le champ sevré d'aube ;


la poussière d'une lampe






l'intérieur –– sable gris


la gorge serrée ;


le désert brisant les lampes,


la sœur rassemble les os ;


l'innommé se lavant dans l'air muet ;


vers le soir ils enterrèrent les cendres du cheval






les chiens léchaient la boue ;


ils avalèrent goulûment des grillons ;


l'heure noire devint leur désert ;


le père fou se mit à gémir,


le fauteuil : rester immobile, disait-il,


devant la lampe ––


le linge sentait la vieille lumière






la rade comme une plaque de sel,


la lumière noire du sable,


les bêtes d'abîme


l'asphyxie –– soubresauts,


maigre chair –– l'étrange tête


au bord du vide






coquelicots –– l'air rouge ;


l'usine endormie dans l'herbe


le dos noir d'une colline


bravant le vent lépreux,


le lait brûlant du matin ;


l'oreille du veau, pleine de mouches






se désassemblent les bêtes


par delà le cirque de l'œil,


le delta et ses ajoncs ;


le mur du crâne –– la fadeur


des fenêtres ;


une poupée morcelée


dans la boue noircie ––


la lumière étranglée






gel –– la lampe inguérissable ;


cette chambre où gîtent


de petits rats aveugles –– lilas terreux,


porcelaine noire –– le feu immobile






l'araignée grise –– ronce


poussant sous le sternum –– lait noir ––


une lune de bois –– les brebis broutant près du lac ––


ce pâle sommeil –– l'âne, le soir ––


l'auréole du pauvre –– défaire ta robe de pluie ––


les fruits morts, la douceur du feu ––


ton front –– une poterie nue






lumière noire au chevet du sang


décomposition de l'île brune ; la poussière d'or des vautours ;


lavabo ensablé –– scarabées –– plaies ;


bouches desséchées, moutons, le rivage désert ;


dessin noir de la falaise portant tes os ;


herbes pour le feu ; tôles ; cercles de fumée ;


la créature venue du fond, vers toi, son silence noir qui t'enlaça ; cerveau d'araignée


nervures, bras tendus


poussière d'un vieux soleil ; petits animaux aux cœurs de terre ;


un lapin, le dos brisé, rampant sur le bitume ;


cirque de marionnettes cassées ; boue, poupées de chiffons,


jambes de bois ; tulipes ; souffrance muette des têtes ;


l'abeille vidée de son sang d'ardoise ; hommes, le foie pourri


l'hirondelle décomposée ; sa puanteur sèche ; racines ;


siphon de terre ;


la vieille femme à la langue coupée ;


le profond pourrissoir du vent ; masques d'air ;


lagune pleine d'iris ;


le vieux cheval près du mur ;


ciel de plâtre crevant les eaux mortes ; solitude, enfin






le sternum lumière de plaie

vieille terre vieux cheval

l'asphodèle dans le creux

les difformes cherchant l'été

le champ lourd prairie

où pousse le plomb carnage

langue du ressuscité des lépreux

du pur corps ainsi

hébété






je suis la chose morte

tête basse

régime sec

portant le feu,

ce cafard enfant,

les fleurs dans la morgue,

l'aphasie ; un mur de cendres