La
page
blanche

Le dépôt

PAGE NOIRE

Poètes de service

Poètes de service 1 - N. Baixas - A. M. Caballero - A. Buse - I. Reuilly - A. Vendes -


Nathalie Baixas


Les lacets noirs

 

  Je ne sais pas pourquoi j'ai pensé à ça… Je ne saurais dire. Peut-être parce que j'ai tiré le rideau… Je ne sais pas. J'ai vu ses lacets. Encore faits. Ça a surgi. Comme ça. Mon corps plié sur une chaise et ma pensée aux lacets. Je ne sais pas si c'est le débit de la parole de l'intervenant qui coulait trop vite ou bien moi, au ralenti, obsédée par cette pensée, peut-être, sûrement d'ailleurs, peut-être, oui, peut-être parce que j'ai tiré le rideau. Le soleil à sa place. Dans le ciel. Et ses rayons, sa chaleur, sa lumière arrêtés par le rideau. Stop. Noir. La lumière dehors. La lumière de la vie derrière la toile du rideau. De l'autre côté. Peut-être la toile était-elle de la même couleur que le drap?… Je ne sais pas. Je ne saurais dire.

  J'ai toujours imaginé qu'il avait noué ses lacets une fin de nuit, au moment où le relai à la vie se fait. Quand les rangées de tubes métalliques que l'homme a plantées dans les rues pour s'éclairer s'éteignent et que ça sent bon les croissants chauds sur les trottoirs et que le bruit est encore un silence sourd comme les prémisses du tsunami sonore à venir.

Elles partent où les émotions quand on les a ressenties ?

Elle loge où notre Madeleine ?

Le sais-tu ?

Le sait-il ?

Je n'ai pas posé la question. Je crois que c'est une question qui ne se pose pas. Faut éviter de poser des questions qui n'ont pas de réponses. Et je vois des choses défiler. Des couleurs. Des tracés sur des cartes. Des personnes font des couleurs et des tracés sur des cartes. Ça passe par des fils. Tu m'entends … Par des fils. Ça passe par des fils et ça se projette sur un écran.

Nos émotions.

Capture écran des émotions.

Selfie intérieur.

Figé l'éphémère.

L'impalpable.

 "Google Maps émotionnel bientôt sur vos IPad".

   Entrez votre émotion de départ.

    Entrez votre émotion d'arrivée.

 ... De la peur d'un point A à la joie d'un point B. Ou de l'inquiétude matinale d'un point W vers l'épouvante d'un point X.

Tu crois qu'elles se superposent les émotions sur les points ?

Que ça devient des strates où chacun laisse la sienne ?

Une sorte de tour de Pise invisible et infinie?

 

  Partir vers 6h00 du matin, les lacets faits, à moitié endormi un dimanche pour pouvoir demain leur envoyer, oui, demain envoyer à eux moitié salaire. Enfin. Patron toujours retard pour payer. Superette demain pour acheter pain et conserves du mois. Bus toujours retard. Non, c'est parce que j'ai tiré le rideau. C'est sûr. Peut-être parce qu'on était en hauteur aussi.

Un petit nœud. Une bague. Puis un double nœud. Aux deux pieds. Il n'avait sûrement pas envie de trébucher ou de se baisser pour les refaire. Il n'y a pas de temps à perdre quand on est là-haut. Peut-être aussi parce que sa mère lui avait montré comment faire et depuis toujours : lacets, bague, double nœud. Au deux pieds. Un portable vibre. Je vois la carte et le tracé rouge de la vie d'une maman aux États Unis.Il a dû partir à pied, c'est sûr, il n'a pas dû attendre le bus de peur d'arriver en retard. Il a dû hésiter devant la boulangerie, il s'est dit non, économiser, moi devoir économiser. Il a pensé à ses frères et à sa sœur, il leur a promis. Ionela ira en ville. Etudes. Moi payer pour elle. On est fiers de toi, lui a dit la pudeur des yeux de ses parents. Quelqu'un pose une question. J'entends le bruit des stylos et les doigts qui prennent des notes sur les ordinateurs. Le frottement des vêtements sur les sièges. Les respirations. Je pense à Ionela. Ionela en Roumanie. À ses contours. Une sensation de bulle. D'être dans une bulle. Une bulle géante de savon. Frontière avec ce qui se passe sous mes yeux. Paroi multicolore. Paroi arc-en-ciel, comme les fascias qui recouvrent nos muscles. Cette fine peau qui se voit quand on coupe la viande. Voilà, mes fascias comme hors de moi. J'étais comme retournée. Poreuse. Réceptive. Mais de l'intérieur. Imbibée d'intériorité. Comme un appel en dedans. Madeleine sûrement. Obsédée par des lacets. Les siens. Le double nœud. Il a dû marcher, dans le froid, longtemps, réchauffé par ses espoirs. Il n'y a pas de répit pour les hommes des toits. Même les dimanches. Même pas payé double. Faut couvrir les charpentes. L'hiver, le dimanche, elles ont froid. Le patron avait blagué. Il a toujours une photo d'eux sur lui, dans sa poche arrière. Il la regarde tous les matins. C'est la bouteille de vin qu'il n'achète pas. Ça le fait tenir. Enivré par la pensée de les serrer dans ses bras. Ça lui vole un sourire dans son 10m² -rdc-côté-parking-vue-sur-autoroute. Ce n'est pas la peine de sortir le pouce. Personne ne le prendra. Mal rasé, pantalon souillé de ciment, lacets double nœud sur chaussures de travail montantes. Lui qui a serré des cœurs là-bas avant de monter dans le bus de nuit, n'est qu'une ombre, ici à 6h00 du matin. Un danger potentiel pour tout automobiliste au chaud dans sa voiture.

 On finissait de manger. La spécialité de Jean-Patrice. Faut qu'il arrête de cuisiner. Gérard avait engueulé le présentateur TV… J'avais mis de côté la viande. Les fascias j'aime pas. Cet arc-en-ciel sur cette viande morte, il y a comme une provocation envers la bête. Le bip sonne. La caserne s’agite. Le papier s'imprime. On est de une. On se lève. On court. On décale. Gyrophare. Sirène. Je lis le papier : Chute du troisième. Homme 30 ans. En arrêt. Le VSAV pile. La porte arrière s'ouvre. Le défibrillateur en main. J'ai pensé à Rimbaud. J'ai vu ses lacets. Encore faits. Et ses deux trous rouges. Point X. Croix sur point X. Arrivée à destination. Rideau.


Nathalie Baixas






Ana Maria Caballero

 

ANA MARIA CABALLERO (née en 1981) est une artiste et poétesse américaine d'origine colombienne. Son travail explore la manière dont la biologie structure les rapports culturels et sociaux, remettant en question les notions qui présentent le sacrifice féminin comme une vertu. Les personnages de ses poèmes naviguent entre l'intellectuel et le quotidien, en osant nommer ce qui est tu dans cet espace qu'est le foyer.

Publiée dans de nombreuses revues américaines, Ana Maria Caballero a également créé de nombreux poèmes numériques (vidéo, animation, audio) dont le succès a contribué à lui donner un essor international, faisant d’elle une des pionnières du mouvement moderne de crypto-poésie.

Elle a co-fondé la galerie littéraire NFT theVERSEverse, œuvrant pour que la valeur des poèmes en tant qu'œuvres d'art soit reconnue: poem = work of art.

C’est la première fois que ses poèmes sont traduits en français (Air).

 

Dans chaque pièce

 

je suis une femme différente dans chaque pièce             dans la cuisine aussi efficace et fonctionnelle            qu'une fourchette             silencieuse dans la chambre      sur la pointe des pieds pour éviter les discussions      le poids de te dire      tout va bien     il ne s'est rien passé             dans le confessional de la salle de bain             les pensées se tordent en courbe avide comme le creux qui conclut ma colonne        l’étendue à l’avant                de la femme qui reste       à la crèche nostalgique       j'invoque le passé      un amour pour de lointains animaux          baleines             je me rappelle une naissance en ville        mais les couloirs et les orbites m’entrainent     plus loin dans un village pour enfant          dans des récitals de musique        où les grands-mères battent le rythme avec leurs cheveux mouillés               et toujours une radio qui hurle des chansons argentines engagées            vigilante dans le salon      avec mes gaines de soutien       j'observe la fraise que je lâche au sol         sur lequel quelqu’un pourrait glisser       du parquet partout       des étagères en formica neuves et pourtant couvertes de poussière             garée dans l’imposante allée             je prépare ma finesse d'esprit et tout ce que je pourrais offrir          en imaginant pouvoir dormir sans aide     souple et lisse       comme le bébé dans mon ventre          comme la forme de ma langue sur le point de parler       personne n'est plus seule        que la femme qui est aimée

Pointillisme

Pas la vie dont j'ai rêvé

n'est pas une bonne façon de dire—

ce n'est pas

la vie dont j'ai rêvé.

Il vaudrait mieux accoucher

du concept de manière abstraite,

 

depuis la lointaine netteté de la métaphore :

 

les brusques vagues indigo

du lac Okeechobee

masquent bien les alligators qui rôdent

 

Mais même l'allégorie pose problème.

 

Les pensées, comme les crocos, glissent quand on ne les provoque pas,

 

Mieux vaut donc ne pas articuler...

ne pas verbaliser

rien.

 

Ou concéder...

 

Chérie,

Je t'aime.

 

Tu es un père formidable,

un homme formidable.

 

Mes mamelons saignent

d'avoir nourri notre bébé.

 

C'est tout.

 

Sens de l'humour

 

 

Même si je ne suis pas drôle

mon fils rit

Par son rire je ne me sens pas drôle

mais redevable—

comme si je lui devais maintenant une blague

comme s’il vaudrait mieux rapidement devenir drôle,

avant qu'il soit en âge de se rendre compte

que maman n'est pas drôle

mais maussade

un fil tendu entre la bobine

et un horizon immédiat

Tu ne dois pas baisser les yeux.

Si cela devient difficile de me voir

Je serais la première à dire—

Éloigne-toi


 ***


Andreea Buse



Nu indigène

Un poème qui s’est imposé

Dans la noirceur des pensées

 

Ou est ta mère ?

Personne ne voulait la naître.

Te déshabiller de toi,

échapper–

Mais comment peut-on s’évader de soi?

L’initiative de l’apocatastase

souffle -

Il apparaît un silence qui emporte les déviations d’un hasard qu’on appelle

la vie.

inspiration-

Les poumons se remplissent de l’air doux d’amande qui circule profondément sur ton nerf,

le vent du Nord projette tes insouciances.

Ne crains pas,

ne grince pas,

ton âme valse

dans les trépidations du moment. 

Mon ami, laisse ton cœur léger

Ce n’est pas que toi ici

Cherche l’homme

Et le nu indigène 

Tu t’étais perdu parmi les deux formes d’existences

Égaye-toi

Songe à la douceur

Et quand tout devient clair, on a changé les règles du spectateur.

Une réalité qui s’écrase devant une autre,

une réalité que tu subis, en flottant dans tes pensées, sans laisser des repères, ni de traces

que des remords comme signes de survie.

L’eau 

Inflexions

Il y a une insouciance,

la mémoire des ancêtres

Cherche l’homme

Et le nu indigène.

union-

Un moment qu’on s’imagine vivre

Tu ne fais que regarder

Dans les pupilles dilatés d’une femme, 

en extase

synergie

respiration –

Plonge

Nage

Cours

Prends ta liberté.

***

Transparence

Elle cachait ses pensées sous les pages d’une lecture.

Il cultivait des instants.

Ils ne faisaient qu’attendre

l’éternité,

bercés par les mouvements du temps. 

 

Si nous voyageons vers la même destination, où nous nous dépêchons ?

 

***

 

Pour Fabrice

Fabrice, il y a tant des gens qui te refroidissent.

Aujourd’hui le soleil brille plus fort dehors,

Et pourtant il fait si froid à l’intérieur

Il gèle, il grêle

Le fil nous serre, nous devenons adultes

Si seuls, si crus

Prodigieusement fous.

 

Fabrice, ne te perds pas au milieu du chemin vers toi

Je pourrais encore te sauver

De ton désarroi

Ce vide homogène

Qui étouffe nos silences.

Garde des espoirs proustiennes

Et de l’amour, et de la joie.

 

Où vas-tu aller, Fabrice?

Par ce temps de chien

Recroqueville-toi sur les promesses d’antan

Espère, Fabrice, aime, et n’oublie pas

De fermer la porte de tes désarrois.

 

Andréa Buse

 

***

 

Ingrid Reuilly

 


BALLADE DU DERNIER

On gravit la falaise aux veines outremer d'un fjord où penche l'eau salée vers le mont sombre blessé et brûlé. Que le ciel l'entoure de ses guirlandes sanglantes et qu'il meure comme meurt un cri. Linceul débordé de poussière grise, que les vents boréals l'écrasent en kyrielles d'ombelles. Noir ciboire versé à la bouche, l'abreuvant.

 

AFFECTION DE LONGUE DURÉE

Sa fille s'approche, elle dépose ses yeux et son fils tend l'autre joue. Et les trois sont drôles.

 

J'ÉCRIS POUR TOI

Je te vois à peine d'en bas, tu grimpes. J'aperçois ton bras, il tourne dans le ciel en haut de l'échelle penchée. De l'autre main tu cherches un barreau. Pour l'instant pas grave.

 

ESQUISSE EN JAUNE

Quand j'étais petite comme une crevette boucles au vent, j'étais au bureau près de la fenêtre, un plumier dessus. Il suffisait de tirer la langue de bois et pleuvaient des crayons de couleur pour un arc-en-ciel par exemple. La craie agaçait mes oreilles et la maitresse criait. J'allais emplir de jaune mon étoile comme une fleur de tournesol quand sonnait l'heure de la récréation.

 

NATURE

Par la fenêtre d'une maison chaude comme un abri, la masse invisible d'une tempête troue, déchire, arrache toits et branches fracturées. Dans la maison chaude une femme sourit à l'homme qui dort. Elle lui tend ses bras sans parler comme on dit je t'aime. Leur cercle forme une margelle et dans l'autre corps une source et se mêlent les eaux des amours. Les volets claquent, claquent, suffoque le reste du monde.

 

ROCHE ET FLAQUE

Sur le crâne poli d'une roche s'étiolent à mourir de maigres flaques grises. Chères contentez-vous de plaire encore un peu à nos cieux, gronde la roche folle de l'or que le diable dérobe dans le tamis.

 

Ingrid Reuilly



Arnaud Vendes


Têtes qui parlent

 

J'ai le rire au bord de l'âme

Fenêtre ouverte sur le vide   

 

Je me déchire

Je m'échappe

Je tombe en solitude

Tes couleurs s'effacent

 

Mon fidèle amour

Tu es pierre de liberté

Soleil de glace

Sourire d'ombre

 

La lumière se retire

Mon corps reconnaît la demeure de ton sang

 

Blanche est la paix qui baigne tes paroles

Fleur d'enfance partie en silence

Vide, vide est ma bouche

 

Seul, un sourire minéral nous consume

 

**


Exilé

 

Vieux voyageur

Au feu invisible

J'ai l'âge de l'oubli

 

Ma langue est différente

Mes pieds sont brûlés

Je suis en pays étranger

 

Le vent des naufrages

Trace une route

Plus grande que moi

 

Mes bras en archipel

Sous un morceau de ciel

J'ai oublié ton visage

 

**


Le serment de l'amulette

 

Dans le feu

C'est mon corps qui fond

Sans atteindre le sol

 

Sur les années vertes

La poussière de mes os

Se dépose en un lit de terre rouge

Que tes doigts pétrissent en silence

 

Ma famille de chair

Vivait sous le ciel

Libre de porter plus loin

Les gestes de nos ancêtres

 

La pluie par ses veines

Nous jette à la face

Ses ombres mortes

 

Sous le sable repose

Les dalles de granit rose

Que le désert avale

Dans le sel ensanglanté

D'une mer disparue

 

**


Cœur nomade

 

Je regarde dans les yeux

Les os saillants du paysage

Je cherche l'empreinte de ton cœur

 

Décharnés sous les vents affamés

Dans le silence rongé des forêts d'altitude

Les pieds nus je cours à la vie

 

Livré au pillage

Les roches acérées des côtes déchiquetées

Sont mes armes blanches

 

Le ciel en flammes

L'ombre se courbe

Je ne peux retenir mes jours

 

Les algues en linceul conteraient notre histoire

 

Arnaud Vendès


Séquence


Têtes qui parlent

 

J'ai le rire au bord de l'âme

Fenêtre ouverte sur le vide   

 

Je me déchire

Je m'échappe

Je tombe en solitude

Tes couleurs s'effacent

 

Mon fidèle amour

Tu es pierre de liberté

Soleil de glace

Sourire d'ombre

 

La lumière se retire

Mon corps reconnaît la demeure de ton sang

 

Blanche est la paix qui baigne tes paroles

Fleur d'enfance partie en silence

Vide, vide est ma bouche

 

Seul, un sourire minéral nous consume

 

**


Exilé

 

Vieux voyageur

Au feu invisible

J'ai l'âge de l'oubli

 

Ma langue est différente

Mes pieds sont brûlés

Je suis en pays étranger

 

Le vent des naufrages

Trace une route

Plus grande que moi

 

Mes bras en archipel

Sous un morceau de ciel

J'ai oublié ton visage

 

**


Le serment de l'amulette

 

Dans le feu

C'est mon corps qui fond

Sans atteindre le sol

 

Sur les années vertes

La poussière de mes os

Se dépose en un lit de terre rouge

Que tes doigts pétrissent en silence

 

Ma famille de chair

Vivait sous le ciel

Libre de porter plus loin

Les gestes de nos ancêtres

 

La pluie par ses veines

Nous jette à la face

Ses ombres mortes

 

Sous le sable repose

Les dalles de granit rose

Que le désert avale

Dans le sel ensanglanté

D'une mer disparue

 

**


Cœur nomade

 

Je regarde dans les yeux

Les os saillants du paysage

Je cherche l'empreinte de ton cœur

 

Décharnés sous les vents affamés

Dans le silence rongé des forêts d'altitude

Les pieds nus je cours à la vie

 

Livré au pillage

Les roches acérées des côtes déchiquetées

Sont mes armes blanches

 

Le ciel en flammes

L'ombre se courbe

Je ne peux retenir mes jours

 

Les algues en linceul conteraient notre histoire

 

Arnaud Vendès


I

On ressent le poids comme des cheveux sur les épaules

les pores qui se resserrent pour ne pas laisser passer l'eau

 

le frottement toujours lorsqu'une coïncidence se produit.

 

Mais ils disent qu'aujourd'hui le poids du temps est irréel

il ressemble à l'air siphonné par les insectes

 

qui se nourrissent de sang et parfois meurent

sous la paume de la main.

 

II

La conscience se détache, au-dessus de nous un miroir

nous voit, traces, flotter dans une piscine

 

Il voit la peau sale du sang de tant de monde compressé dans

[une tache -

les meubles fléchis sont doigts végétaux, le circuit électrique

[dissous

une pensée de soumission, la pure pensée de se redonner

[au temps.

 

III

Nous disparaissons dans l'eau. Nos maisons sont de l'eau

elles cachent sur la paume le condensat des personnes

 

l'idée qu'en l'observant nous nous transformons

écrasés avec les autres dans une tache.

 

 

IV

Puis, pour se voir, la conscience a déchiré un câble

elle le brise avec ses dents, les doigts ébréchés par le fil électrique

 

elle ressent la tache de sang ouverte -

elle a trempé le fil dans l'eau...

 

V

La conscience séparée du corps a ressenti le temps

[se nettoyer

dans la maison comme dans une baignoire une lumière de fond

les meubles fléchis sont doigts végétaux, le circuit électrique

[dissous

une poussière, une perspective, un fil incandescent

 

le temps qui est coïncidence, l'histoire de tous et d'une personne

transparent hors du barycentre dans l'eau

 

sans poids, il vit et voit

 

*


C'est presque prêt, elle arrive,

la vie en hausse

de la propriété avec un écart, une récompense

fidèle à elle-même, seulement le lys violet dans le pré

n'e vaut pas car il dure une journée.

Ils pourraient le voir des fenêtres la nuit,

s'il voulait il pourrait

se faire consommer, aiguiser par les gens

comme la pointe d'un crayon.

Être seul, être de tous,

le corps a une odeur, la propriété a une odeur,

l affection pour une femme

qui n'a pas d'odeur, n'a pas de propriété

s’inscrit dans le cliché.

Ils le décrivent comme on raconte

la vie des autres ou on l’imagine

inexistant.

L'histoire des produits

si vivante dans la minute

que des millions recherchent

le même mot, ils ne savent pas, ils le font,

lui il est le blog, le vlog, le tube

de la propriété isolée du sexe

masculin sur lequel une femme de sexe féminin

reposerait sa tête.

La maison sans moi les autres le cumul

des années et seulement

le bonheur du processus et non de la fin.

 

Parfois, les gens pourraient le voir

dans la chambre avec son odeur

et elle aussi

qui, proche, lui est mère

d’habitude, en ayant passé ensemble

une vie.

On dort à deux.

Il était en train de s’imaginer dans les maisons

des autres.

 

 *


I

Jadis, tu disais que c'était moi

moi je disais que c’était toi que nous pouvions voir

en marchant entre une berge et l’autre

 

La rivière est l'espace, les poissons blancs se cachent.

Jadis, nous étions en équilibre sur les pierres

jusqu'à que nos mains se touchaient, se mordaient.

 

Jadis, en imaginant du sommet de la colline

les différences, nous voyions des contours nets

disparaître dans l'herbe. Là et ici

 

ils portent un cosmos et nous, fragiles, indivis,

les pieds dans l'eau, brulons le moi

qui peut être toi, le toi qui peut être moi.

 

II

L'espace est un verre,

l'intérieur et l'extérieur.

 

Moi je ramasse la rivière froide,

toi tu la développe en hologramme.

 

Toi c’est moi dans l’écran, moi c’est tous.

 

IV

Tout se passe

une vidéo a appris à le reproduire.

 

Tout se passe

les poissons blancs dans la boue

sortaient, entraient.

 

Tu les chassais comme des cercles

qui apparaissent, disparaissent.

 

V

Parfois toi, moi

nous voyons partout

les contours de la violence.

 

Qui tu étais : noms de code. Qui tu es :

moi, toi, l'autre

parfois c’est blanc, nu, parfait.

 

Le sol, comme la rivière, se ride :

les poissons entraient et sortaient,

en blanchissant.

 

VIII

Parfois tout résiste en transparence :

existe-t-il, meurt-il ?

 

Toi autour de moi

petite lumière soudaine et contemporaine.

 

 Mario Boro