Le dépôt
E-poésies 1 - Air - J. Fortin - C. Condello - N. Dartiguelongue - S. Desrosiers - F. Cissé - M. Hellwig - P Andreani - L. Lagrange - C. Condello - L. Michel - S. Dard - M. A. Bruch -
TANGO SUR LE PAS DE LA PORTE
Quand tu pars, je reste sur le pas de la porte à envier l'élan des tiens vers cette vie que je ne connais pas mais que j'envie
Quand je pars, tu restes dans mes pas et le reste tu me suis comme mon ombre mais sans soleil je sombre
Quand tu pars, je reste espérant que tu m'aimeras un p'tit peu plus en revenant avec le charme qu'ont les absents
Quand je pars, tu restes sans mon pull, sans ma veste je me retrouve nu, j'ai froid où est passée la flamme en moi?
Quand tu pars, je reste quand tu restes, je pars tango à distance, nous dansons par jeu de « pars » nous nous aimons.
Air
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L'œil maltraité par ces centaines d'images se referme sur son globe desséché. Tout ce qu'il a vu d'horrible cette seconde-là persiste sur l'écran miniature de sa paupière. Ce théâtre nain rappelle de manière sinistre la télévision nationale et son convoi de bêtises. Puis les restes de lumière s'effritent en une fine poussière jaune ; la rumeur des commentateurs faibli et l'anxieux s'endort enfin dans son tombeau de sommeil. Le photographe regarde son négatif et hésite un instant avant de le plonger dans la solution révélatrice. L'ampoule électrique suce dans le mur l'énergie de sa rubescente lueur.
Jérôme Fortin
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Aux quatre vents
Nos pas foulent l’instant
avec respect
le lichen
la mousse
les glaces éphémères
bleuies par le nord
le temps qui passe
sans que rien ne passe
toutes nos richesses
même enfouies
nos raretés si belles
et imprévisibles
qui nous définissent
trop souvent invisibles
ou alors offertes
comme un trophée qui s’exhibe
nos mémoires émiettées
aux quatre vents
de l’absence
Christophe Condello
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Chante Joie
Au Village des Ristes. Le Peuple aux Rises Mines.
Embage ses Voix de Laments et de Leurs. Accents de Tout Hagrin.
Les Ristes Hâment leurs Masures. En Champs. En Bourg. Et en Labour. Mais le Blé Riste fâne.
Au loin ce Peuple Neuf du Lament.. contemple le Tabac. Volute de la Guerre. De la Ville aux Etoiles.
Ils n’en savent rien sinon qu’elle brûle. Toujours. Et que sa Danse Noire. Enfant des flammes.. s’élève.. s’étend.. et masque à eux le Ciel le Soleil et les Astres.. qu’ils auraient pu avoir.
Ainsi le Peuple Riste est resté oublié et servant de la Cendre et la Suie. En Faim Toujours. Et ses Ombres Igrent. Igrent de plus en plus. Encore toujours vers la Ville. Et deviennent des Etranges.
Alors pour ceux qui restent. Demi vifs et bien aigres. Saisis d’Amine et d’Esespoir. Il y a le Chante Joie.
Quand trop meurent dans le Noir.
Au Temps choisi, il se blanc le Visage. Se vêt le Nez de Rouge. Et chante Mille fois le Mot le même jusqu’à Plus-Son. « Joie » « Joie » «Joie ». Il ne dort pas. Il ne se lève pas. Il chante. Il Hurle sous la Cendre. Scande le mot Joie. Il ne dort pas le Prêtre Chante Joie. Il scande. Il est Roi.
Et sans ciller il tombe. Pourtant. Toujours il ne dort pas. Il meurt avec sa voix. Et son Peuple un tout petit instant.. Vivotte de bonne et sèche chair. De bon et sec Silence. Et puis élit un nouveau Roi.
Ils Elles Igrent ou Chantent Joie.
Nathan Dartiguelongue
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Indicible
Colombes et papillons se sont envolés.
Paysages, plaines et rivières que tu égares au fond de ta poche.
Comme seuls bagages : tes origines, une peluche et des comptines d’enfant.
Derrière toi, ta mère, ton père.
Sang et cendres.
Te hantent, la peur, les flammes, l’éphémère.
Tes petits pas pèsent lourd, déjà trop de corbeaux sur tes jeunes épaules.
Au bout de ton horizon, une terre d’accueil.
Des mains étrangères se tendent vers toi.
Susy Desrosiers
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La nuit
La nuit n'est pas moins longue dans les cimetières, si l'ombre de l'Homme est plus forte que la mort, l'empreinte d'un soleil marche dans le bruit dehors et ces noms sur la pierre vont eux aussi renaitre, le cimetière ferme et ceci est mon corps et je n'ai plus de sang seulement ma prière, pardonnez gens qui passez de demain et d'hier à celui qui n'est plus qu'amour parmi les morts.
Facinet Cissé
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Décider un mouvement à reculons
Pour compenser
Maheva Hellwig
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"Journal épileptique" (extraits)
je voudrais l’unité du
corps avec lui-même des
organes de la rate
de l’intestin du foie
que chacun cesse de fonctionner séparément
je voudrais que cette page de livre vole
jusqu’à moi
je ne m’en irais pas vers elle
il faut vivre la vie comme elle vient
même si ça fait battre le cœur dissymétrique
c’est en avant, c’est devant nous
c’est avant la naissance
c’est après la nuisance
Pierre Andreani
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L’ignominie, l’injustice de la vie qui dure sans pitié pour l’autre
L’aidant épuisé
Ce monstre qui dévore cerveau et corps sans discernement
Il s’approprie il envahit rictus grimaçant
La bête immonde est en place inutile de résister l’aidant est le perdant
Mort souhaitée contre toute morale
Seule délivrance des âmes des corps sains
Laurence Lagrange
Libertad:
La liberté, mon fils, c'est bien plus que ce que tu crois
elle s'écrit à-même le ciel, la terre et la mer
elle se dessine dans la vie que tu vois et celle que tu ne connais pas
dans la lueur espérée des verres que l'on a bu
dans le parfum des femmes qu'on a connu
et dans le sang de nos ancêtres disparus
lente et furtive elle ne manque pas d'air
la liberté, mon fils, c'est une prière divine posée comme un baume sur nos maux à l'âme
elle s'invite discrètement sur les mélodies d'un groupe de jazz
elle imbibe le coton ramassé par des esclaves noirs
et elle contemple en souriant tous les prêtes, imams, rabbins sorciers, griots, chamans....
elle est l'ennemie jurée de l'injustice
elle est la lumière d'une bougie au plus profond des ténèbres
elle hurle parfois si fort qu'elle réussit à faire taire quelques fusils
la liberté est une conscience qui navigue de Pablo Neruda à Nelson Mandela
elle a le souffle de la révolte de Che Guevara,
elle a des yeux à Tian'anmen et des soubresauts au Tibet
c'est le cœur d'en enfant qui bat dans tes bras
la liberté, mon fils, c'est Dieu quand il n'existe pas
c'est Gainsbourg et Mallarmé qui trinquent
c'est Cocteau et Rimbaud qui s'exclament lors de belles nuits d'été
et qui veillent avec toi pour toujours
dans la fumée des vers lancés parmi tant d'autres
dans l'arrière-cour trop étroite d'un café millénaire
Christophe Condello
« Lettre de feu »
J’ai rêvé cette nuit que je traversais la France de bas en haut, de haut en bas, de fond en comble,
comme on lève une main
Mais mes points d'arrivée étaient trop excentrés de mes sources de désirs
Je parcours le monde le jour et la nuit
Je traverse des lumières poreuses des couleurs hideuses
je m'agite entière dans des cartes postales
je coupe des morceaux de terre des grands voiles
du ciel que j'ajoute à mes soutes
je fais du monde, de ses cent visages
une lettre de feu
que je t’envoie, essoufflée
et tu ne me réponds pas
Je sens encore les morsures du requin sur l’épaule
les bouquets de roches et d’azur vif posés sur ma table
Le monde est un puzzle, un trésor qui se déplie sur des nuits géantes
je l’agite, je le plie, le recouvre de saveurs, le mélange aux dieux des danses et du rythme
il prend sous mes mains
des allures de nymphes éclatées par des eaux trop gourmandes,
des allures soyeuses qui crissent sur des rails qui entaillent ses peaux
pour la seconde où ton buste vers moi s’est tourné
j’avais enveloppé dans des aquariums itinérants des sabres calcinés qui brisent les chaînes qui
alourdissent des goélands somptueux
Ceux qui bravent des continents de soufre et d’argile
pour prendre la couleur des Enfers et la diluer
comme un filtre d’amour sur le monde enneigé
j’avais réuni sur une terre immaculée la totalité
de mes trésors de voyage qui ouvrait sous les pas de celui qui le traverse
des parcelles de souffles célestes, qui tombent sur ses yeux et les remplissent de voies lactées,
des milliers d’étoiles
Il ne me reste qu’un lointain souvenir de toi
Et j’ai les mains qui coulent
Et j’ai les mains qui pleurent
des pluies
d’étoiles
filantes
Je ne te toucherai pas
Car déjà j’ai la peau qui brûle au souvenir de ta voix
Tu es tous les dieux de mon ciel
L’objet de tous mes voyages mes pensées et mes mots
En excès sur tous mes mondes
Ta main qui m'effleurera me tuera
Lolita Michel
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Nuit de rouille
Je renifle la terre de mes ancêtres celle qui m’a vue grandir et devenir mère
Quelle heure est-il dans le silence de l’absence
Sur les fils barbelés j’accroche mes rêves
Sandy Dard
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Café du métro – angle de la rue de Rennes et rue du Vieux Colombier – 6è arrondissement – lundi 3 octobre à 10h50
J'ai trouvé une place juste à côté de la bouche de métro Saint-Sulpice et les passants sont obligés de longer ma table de très près – me frôlant parfois. J'ai habité rue de Rennes entre mes dix et mes treize ans et demi. Ce fut mon premier logement parisien et la rue de Rennes représentait pour moi la quintessence de Paris – la colonne vertébrale de la capitale et sa substantifique moelle. Forcément: à douze ans on se croit au centre de la vie, peu conscient de l'espace et du temps en-dehors de son propre corps. À l'époque je voyais Saint Germain, en bas de la rue, comme un pôle négatif, vers les cendres refroidies des sinistres années cinquante, après lesquelles Juliette Greco avait haï les dimanches, et la Tour Montparnasse, en haut, polarisant toutes les attractions et les motifs d'excitation, colorée, musicale, moderne et vivante. Aujourd'hui cette rue est pleine d'une froide austérité automnale mais, dans ma mémoire, le soleil des années 80 irradiait tout le quartier et jusqu'à mes rêves nocturnes. Non pas que mon enfance fut radieuse de bout en bout – loin de là ! – mais mon esprit devait être suffisamment vierge et impressionnable pour capter les rares rayons de passage. Je m'attendais à trouver ce matin dans cette rue une population chic et bourgeoise mais les visages et les tenues respirent plutôt les longs labeurs sans joie et les réveils déjà las et fatigués. Beaucoup ont le smartphone en ligne de mire et plongent dans les entrailles du métro sans le quitter des yeux – tel l'homme grenouille s'agrippant à son maigre tuba – et il y a sans doute dans les téléphones portables cette vertu d'oxygénation trop sous-estimée. J'habitais il y a quarante ans au-dessus du cinéma nommé à présent l'Arlequin : il s'appelait en ce temps-là le Cosmos et ne passait exclusivement que des films soviétiques dont, ma mère et moi, nous observions les affiches avec un mélange de crainte et de réprobation, comme si une horde de chars russes allait sortir de cette salle et nous écrabouiller illico. Nous regardions aussi la boîte de nuit attenante, et sa glauque enseigne titrée "le Caramel", avec un dégoût mêlé de pitié, tant les hurlements féminins de ce lieu de perdition scandaient scandaleusement (ou horripilaient horriblement) nos pauvres sommeils en lambeaux.
Tout cela n'existe plus maintenant, sauf dans ma tête et peut-être dans celle de ces hurleuses en détresse.
Et, sous le torrent de la mémoire, il m'apparaît que cette préadolescence ne fut pas si lumineuse qu'on veut bien le dire mais, au fin fond de certaines ténèbres je trouvais matière à projeter de jolies et bizarres fantasmagories et les rares bouquets d'étincelles prenaient d'autant plus de relief et de panache.
Marie-Anne Bruch
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Langueur
j’ai épuisé ma plume
jusqu’au bout de moi
jusqu’à plus rien
la gorge pleine de roches
ma voix s’étrangle
mes mains deviennent muettes
je m’égare dans mes silences
***
j’erre dans des ailleurs
habite des espaces
qui ne m’appartiennent pas
j’incarne des chairs inconnues
respire une autre vie
me perds dans de nouveaux visages
je meurs une fois de plus
Susy Desrosiers