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POÈMES

PLACE DES SARDANES

Sardane (23) du génie

SARDANE DU GÉNIE - Principes du génie




1) Le génie c'est se parier génial et tomber juste


2) c'est être sûr de soi comme un chien ou une boite aux lettres


3) Être un génie c'est se savoir idiot. Je ne sais pas donc je cherche.


4) Après le génie viennent des hommes qui poussent des sanglots ponctués par des lamentations de femmes


5) le génie ferme les yeux et atteint le centre de la cible selon le système zen du tir à l'arc


6) Le génie atteint le centre de la cible parce qu’il ne sait pas que c’est le bon moyen


7) Le génie est un funambule entre le bien et le mal


8) Le mauvais génie trouve son refuge dans une lampe. (Il n est pas toléré ailleurs.) Il y distille son dérisoire chaos fumeux. Qui n'a jamais connu, tout en les ignorant, les microscopiques mesquineries du génie méchamment enkysté dans la lampe ? Perçu son ruban odoriférant d' oeuf pourri ? Entrevu le discret flottement de sa pusillanimité gazéifiée en un irrégulier ruban nauséabond. 


9) Comme la beauté le génie se fige dès qu'il est aperçu 


10) Le génie se penche dangereusement à la fenêtre de son salon, au beau milieu de la nuit


11) Le génie, c'est ce qui reste quand on a épuisé tout son talent.


12) Le génie est un murmure de personne, destiné à l’enfant en nous tous. Certains écoutent et se joignent au jeu de simulation de l’enfant.


13) Génial - c'est l'état d'âme de celui qui admire - et c'est la fonction normale de celui dont on dit qu'il est génial…


Dans les arts c'est un mot; on peut le manipuler facilement. 


14) Le génie est un état mental particulier qui permet au talent d'un canard de se sublimer


15) J'ai beau faire bouillir mon génie, ses taches ne partent pas. Condamnée à l'arborescence de mes fautes, je continue de battre les draps de ma coulpe jusqu'à ce qu'un génie rebelle vienne me révéler qu'il n'y avait pas de taches mais des dessins d'enfant.


16) Ce que j'écris est plus grand que moi et me dépasse


17)  Génie : Despote qui déforme une vision. Fait mépriser les anciens pour imposer ses tyranniques principes à l'élaboration de la réalité.


18) À mon puissant verbe, le monde est tremblant, je vais - superbe

avec mes vingt-deux ans.


19) Le génie signe d'une rature en dessous de nos paupières


Le génie, c'est flatter la croupe du cheval et non ses sabots.


20) Génie, symbole d'une toute puissance surhumaine de nature égale au divin. Au-dessus des hommes et plus au dessus des hommes que ceux-ci ne le sont du singe.


21) Le génie bûche, et une forêt lui naît dans les mains.


22) Marelle, de Julio Cortazár, est un livre hors du commun


23) Comme je traverse la place, le génie de la Bastille envoie un bon coup de pied à mes regards éblouis et on voit bien qu’il donnerait tout l'or du monde pour réussir enfin à s'envoler.


24) Au jeu des parfois il arrive que frappe l'éclair du génie. 


25) Le génie est à plusieurs égards, populaire : c'est à dire, qu'il a des points de contact avec la manière de sentir du plus grand nombre.


26) Le génie efface méthodiquement toutes les traces de son apprentissage. Le génie désapprend. S'emploie à une autopsie lumineuse. Le génie se lève tard. Chômeur-cueilleur.


27) Le génie, c'est celui qui est fou et qui ne le sait pas.


28) Le génie, c'est M. Perrin, perpétuelle victime des aléas qui tourne tout à son avantage par détermination. S'il est le pantin, il le sait. Rien n'est plus effrayant qu'un personnage conscient. C'est pourquoi le génie ne peut-être qu'indépendant de l'ego, car vu de soi, ce trait fatal est une maladresse.



29) Quand je dis que quelque chose est beau, j’énonce un jugement de goût, jugement dont la nature est aussi paradoxale qu’étonnante. S’il prétend être universel, le jugement de goût ne peut pourtant pas être démontré. Si devant un tableau que je juge beau, quelqu’un me dit ne pas approuver mon jugement, je ne puis lui prouver qu’il se trompe comme je ne peux démontrer que j’ai raison. Si je le pouvais, ce ne serait plus un jugement de goût exposant un plaisir personnel mais un jugement de type scientifique. Il n’en demeure pas moins que je reste persuadé que mon contradicteur devrait trouver beau ce tableau. Ce dernier point est intéressant. Car si le jugement de goût prétend à l’universalité, c’est que l’œuvre d’art n’est pas le produit d’une pure fantaisie déréglée. Toute œuvre d’art obéit à des règles qu’il n’est certes pas toujours facile d’expliquer mais qui fondent le sentiment d’unité qui s’en dégage. Ainsi l’objet de notre étude sera-t-il de découvrir l’origine de l’œuvre d’art et plus précisément de cette espèce de régularité interne à l’œuvre et dont la singularité tient à son inexplicabilité.

En affirmant, c’est le titre même du § 46, que « les beaux-arts sont les arts du génie », on pourrait croire que Kant définit les beaux-arts, autrement dit ce que nous nous appelons l’art. Je crois qu’il n’en est rien car à ce moment-là du déroulement de l’analyse kantienne, chacun tient pour entendue la nature de l’art que Kant a jusque-là opposé à la nature, à la technique et à la science. Ce dont il est ici question, c’est du génie, et la définition qu’en donne Kant a pour but d’en expliciter la nature. Il est d’ailleurs à noter que le nom de « génie » apparaît ici pour la première fois dans l’ouvrage. Et le problème qui est alors posé peut se formuler clairement : que doit être le génie pour qu’il puisse être considéré comme l’origine de la production des œuvres d’art ? Last but not least, est-il tellement certain que le caractère exceptionnel du grand artiste soit affaire de génie et non de technique ?


« Le talent qui donne les règles à l’art »


En premier lieu, écrit Kant, il faut considérer le génie comme le « talent naturel qui donne ses règles à l’art ». Le génie est donc bien défini à partir de l’art. Chaque œuvre obéit à des règles, l’expérience esthétique le montre. Mais ces règles, au premier abord et contrairement aux règles techniques qui peuvent être enseignées parce qu’on peut les expliquer, ne sont pas démontrables. Tout le monde peut, par exemple, apprendre les règles de la menuiserie et fabriquer, en s’exerçant et en s’appliquant, un tabouret ou une table. Et tout le monde peut, semble-t-il, apprendre les règles de l’harmonie classique. Mais même la connaissance la plus approfondie des règles de l’harmonie ne fait pas le compositeur. Car il faut pour cela être en capacité de créer, d’inventer quelque chose qui ne soit pas seulement conforme aux prescriptions des traités de composition mais qui possède une cohérence interne à ce point parfaite qu’on puisse parler d’œuvre d’art, et non de simple exercice scolaire. Ainsi les grands compositeurs sont-ils ceux qui peuvent inventer de nouvelles règles sans les avoir au préalable définies, et les inventer de façon immanente, de telle sorte qu’elles seront reconnues et suivies par leurs successeurs.


Le génie, don de la nature


Kant prend ainsi la notion de génie dans son sens le plus populaire, où l’on dit de quelqu’un qu’il a du génie, et non au sens où l’on dit qu’un tel est un génie. Parce qu’il s’agit avant tout de savoir à quelles conditions des œuvres d’art sont possibles, le « génie » se présente d’abord comme la condition de possibilité de l’art. Ainsi le mot ne renvoie-t-il nullement à l’artiste génial, sauf si par là on veut seulement parler de la structure particulière de son esprit, qui fait qu’il est doué pour son art. Le génie désigne donc les dons que possède l’artiste.

Ce mot français de « don », comme d’ailleurs le mot allemand gabe dont il est l’exacte traduction, est ici très éclairant. Un artiste génial a des dons venus d’on ne sait trop où. Sur ce point, les avis divergent. Pour les uns, les dons viennent de l’hérédité, pour les autres de la providence, de la grâce, et pour d’autres encore du milieu social, familial ou encore des circonstances… Pour être bref, disons que ces différentes conceptions se ramènent à deux hypothèses principales : le don est naturel ou divin.

Quelle que soit l’idée que l’on se fait du divin, cette seconde conception a prévalu pendant longtemps, et ce depuis l’Antiquité. C’est celle de Socrate et de Platon qui lui fait dire, dans le dialogue intitulé Ion, « c’est que ce don que tu as, Ion, n’est pas un art mais une vertu divine » (533d). L’artiste est ici tout à la fois un théios anèr, c’est-à-dire un homme divin en ce sens qu’il jouit d’une théia moïra, d’une faveur divine, et un médium, un ventriloque, c’est-à-dire un être à travers lequel s’expriment et se manifestent la transcendance et le divin.

Or Kant rejette catégoriquement cette conception de l’art et de l’artiste. La raison principale en est que si le génie constituait une inspiration ou une force divine, il serait assimilable à une contrainte. Un artiste inspiré, œuvrant sous la dictée d’un dieu, ne serait pas responsable. Or, l’art est, pour Kant, de l’ordre de la liberté. « On ne devrait appeler art, écrivait-il au § 43, que la production par liberté. » Le talent de l’artiste n’est donc pas une puissance extérieure mais au contraire un don qui n’impose aucune contrainte sinon celle de le faire fructifier.

Parce que le génie ne provient pas d’une force surnaturelle, il vient de la nature. Il est un talent naturel qu’on ne peut expliquer. Il est là. C’est un fait de nature inné dans l’artiste. Et cette idée va permettre à Kant d’envisager de façon tout à fait nouvelle les rapports entre l’art et la nature.

En effet, on dit communément que « l’art imite la nature », expression qui vient d’Aristote (Physique, livre II, chap. 2 et 8) et résume assez bien l’esthétique aristotélicienne, qui d’ailleurs est fortement inspirée par la sculpture de Praxitèle et de Phidias. Kant renverse complètement cette conception. L’art n’imite pas la nature puisqu’il provient du génie qui est une force naturelle. Il n’imite pas la nature puisqu’il lui appartient. Ce serait plutôt une sorte de nature extraordinaire. Alors que l’art selon Aristote ressemble à la nature à laquelle il est extérieur, l’art, selon Kant, diffère d’elle tout en lui étant intérieur. On tient là deux positions totalement inverses.

C’est la raison pour laquelle Kant, dans une deuxième formulation, envisage la nature comme la véritable source des règles de l’art. « Le génie est la disposition innée de l’esprit par laquelle la nature donne ses règles à l’art. »

Mais l’art ne se réduit pas pour autant à la nature. La différence entre la nature et l’art, c’est que dans le premier cas la règle est antérieure au produit. La nature agit selon des lois uniformes dont nous pouvons prévoir les effets. Dans le cas des beaux-arts, la règle ne préexiste pas au produit. Elle naît avec l’œuvre qu’elle organise ; elle est produite par le génie en tant qu’il est génie, c’est-à-dire en tant qu’il crée, non pas seulement une règle mais une œuvre qui lui est conforme.

L’essentiel pourtant, comme en témoigne la parenthèse qu’ouvre Kant touchant l’exactitude de la définition du génie, est en effet ailleurs. Car à vrai dire il n’est pas certain que le contenu du concept de génie soit si déterminant. Ce qui, en revanche, l’est bien davantage, c’est l’ensemble des caractéristiques de l’origine à laquelle renvoient les beaux-arts, et ce indépendamment de telle ou telle définition. Nous le disions déjà, le problème de fond est celui de savoir quelle est l’origine de l’œuvre d’art.

Mais une fois de plus, nous voyons aussi que la démarche de Kant ne vise aucunement à définir l’art. Car pour ce faire, il eût fallu, en toute logique, pouvoir définir l’inconnu (ici l’art) par le connu (le génie). Or, Kant reconnaît lui-même ne pas pouvoir garantir la validité de sa définition du génie ! En outre, sa définition du génie incluant le concept d’art — disposition de l’esprit par laquelle la nature donne ses règles à l’art —, Kant commettrait une faute que les logiciens appellent un cercle s’il définissait l’art par le génie lui-même défini par l’art. Mais passons. Car l’important est ici de montrer que les beaux-arts, à leur origine, impliquent quelque chose de différent d’eux-mêmes, ce que va mettre en évidence la suite de l’analyse.

Celle-ci se présente comme une sorte de syllogisme dont la majeure serait la thèse selon laquelle tout art suppose des règles, ce qui s’explique aisément. L’art désignant ici toute technique, les beaux-arts sont donc une partie de l’art, si bien que ce qui sera vrai de celui-là le sera de ceux-ci. Or, il est clair que tout art, toute production humaine, présume que le producteur ait dans la tête une idée cohérente de l’œuvre qu’il va réaliser. La règle est donc ce qui permet de concevoir la possibilité de l’objet. Une production sans règle est donc impossible, ce qui étant vrai de l’art en général le sera des beaux-arts en particulier.

Cela précisé, le raisonnement développé par Kant s’appuie sur une autre thèse, pour ainsi dire une mineure, thèse selon laquelle, pour le dire de façon concise, les beaux-arts ne fournissent pas eux-mêmes la règle de leur production (§3). Pour comprendre ce qui justifie cette thèse, qui se fonde dans le caractère paradoxal de l’œuvre d’art, il convient de revenir à l’idée du jugement de goût. S’il est clair en effet que je peux dégager les règles auxquelles un objet doit correspondre pour mériter le nom de table et tenir debout, et par conséquent que je peux déterminer objectivement le concept de table, on ne peut en revanche démontrer qu’une table ou tout autre objet sont beaux, car le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts mais sur un sentiment de plaisir. De fait, s’il n’y a pas de règle conceptuelle pour juger de la beauté d’un objet, artistique ou non, il ne peut y avoir de « concept de la manière dont le produit est possible » (§3). L’artiste ne peut donc compter sur aucune règle lui garantissant qu’il parviendra à réussir un chef-d’œuvre. De telles règles n’existent pas. En effet, c’est de l’œuvre belle dont nous parlons, et qui en tant que telle n’obéit à aucune règle que l’on puisse apprendre. « Aucun Homère, aucun Wieland, ne peut montrer comment ses idées… surgissent et s’assemblent dans son cerveau, écrira Kant dans le § suivant, parce qu’il ne le sait pas lui-même et ne peut l’enseigner à personne. » Solitude de l’artiste face à son œuvre dont la réussite ne peut lui être assurée par aucun procédé.

On voit donc ici l’ampleur de la difficulté qui consiste à penser l’art. D’un côté, la majeure du syllogisme établit que tout art suppose des règles. De l’autre, la mineure établit que les beaux-arts ne peuvent donner ces règles que pourtant ils doivent suivre. Cette difficulté est presque une contradiction, et c’est grâce au concept de génie que Kant va tâcher de la résoudre. Si les beaux-arts ne sont possibles que s’ils sont réglés et qu’ils ne peuvent eux-mêmes fournir ces règles, alors ils « ne sont possibles que comme produits du génie ». Telle est la conclusion du syllogisme.

Reste à savoir comment la conciliation des deux exigences énoncées dans la majeure et dans la mineure est possible dans l’esprit de l’artiste. Kant ne répond qu’au détour d’une parenthèse, « (et cela par la concorde des facultés de celui-ci) ». C’est là l’une des questions les plus difficiles de la Critique de la faculté de juger, sur laquelle Kant s’explique dans la « Remarque générale » qui suit le § 22. Pour être concis, les deux facultés dont veut parler Kant ici sont l’imagination, puissance d’invention et de liberté, et l’entendement, puissance d’ordre. Par un mécanisme des plus mystérieux, ces deux facultés s’accordent pour rendre possible la production de l’œuvre d’art qui repose donc sur une harmonie naturelle, qu’on ne peut ni créer ni commander, entre l’entendement et l’imagination de l’artiste. Il y a donc bien une règle, mais qui, premièrement, ne préexiste pas à la réalisation de l’œuvre et, deuxièmement, n’est pas donnée en dehors du processus qui est celui-là même du travail producteur de l’œuvre. Aussi peut-on dire qu’elle naît en même temps que l’œuvre qu’elle gouverne. Ce qui entraîne, d’une part, qu’elle n’est pas le produit d’une délibération intellectuelle et d’autre part, que si l’artiste sent ce qu’il doit faire, il ne peut expliquer sa méthode.

Nous comprenons bien, maintenant, pourquoi la définition du génie donnée initialement importait si peu. Ce qui est primordial, c’est de trouver un concept fondant la possibilité de l’œuvre d’art, pas le terme désignant ce concept dont seule la fonction importe. Le génie, c’est la nature qui donne à l’art une règle sans qu’elle puisse être expliquée.


Les caractères du génie


La question des caractères du génie est abordée par Kant à partir d’un prisme qui est celui de la fonction qu’il remplit à l’origine de l’œuvre d’art (§4).

Sa première caractéristique est celle de l’originalité, ce qui ne nous surprendra pas au regard des analyses précédentes ayant établi que le génie est ce qui produit ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée. En effet, quand on peut donner une telle règle, le produit ne relève pas des beaux-arts mais de la technique. Le génie ne s’apprend donc pas ; on ne devient pas génial par le travail ou quoi que ce soit d’autre. « Puisque apprendre n’est pas autre chose qu’imiter, expliquera Kant au § 47, la plus grande facilité à apprendre ne peut comme telle passer pour du génie. » Attention, cela ne veut pas dire que l’artiste génial peut se passer de tout apprentissage. Il y a, dans tout art, une part de technique et d’habilité dont on ne peut se passer et qu’il faut bien acquérir par l’exercice et le travail. Mais cela ne donne pas de génie et c’est en ce sens que le génie doit être original, entendons d’abord originaire. Par conséquent, l’artiste génial ne pourra être qu’original puisque son génie, n’existant ni par imitation ni par apprentissage, ne pourra qu’être sans précédent et sans exemple. Ainsi le génie ne peut-il avoir de maître. Car ce que nous appelons son « maître » ne peut lui apprendre que des règles techniques.

Mais l’originalité ne suffit pas à faire le génie. « L’absurde aussi peut être original. » S’il est un fait que l’originalité constitue une part essentielle du génie, il faudrait être naïf pour imaginer qu’il suffit de se délivrer de la contrainte de toute règle, autrement dit de faire preuve d’excentricité, pour faire œuvre de génie. Pour être originale, une œuvre confuse et désordonnée ne sera pas belle. Il y a donc une mauvaise originalité, qui ne cherche qu’à se faire remarquer et qui, recherchée pour elle-même, est absurde et proche du maniérisme. Ainsi la volonté farouche de « faire du nouveau » peut parfois donner lieu à des œuvres qui n’ont rien de génial et donc rien de beau. À l’inverse, les produits du génie « doivent en même temps, écrit Kant, être des modèles », c’est-à-dire exemplaires. Sans du tout avoir été engendrées par l’imitation, les belles œuvres, autrement dit les produits du génie, « doivent toutefois servir aux autres de mesure ou de règle de jugement ». Le génie, disions-nous, n’a pas de maître. Il aura des admirateurs et des disciples. On peut noter que l’exemplarité n’est peut-être ici qu’un approfondissement de l’originalité, tant le génie exemplaire est celui qui est à l’origine d’une École. C’est aussi ce que voulut dire Gérard de Nerval en déclarant : « Le premier qui compara la femme à une rose était un poète, le second était un imbécile. » L’artiste génial est sans antécédent. L’œuvre géniale doit être imitable et servir d’exemple au bon goût. L’œuvre de génie a ainsi un double effet : sur le goût et sur la création. Beethoven a profondément modifié le goût du public, tout en éveillant à son propre génie un musicien comme Berlioz, qui trouva dans les symphonies de Beethoven une espèce d’incitation « à exercer son indépendance vis-à-vis des règles de l’art ».

En vérité, le génie, incapable de percer son propre mystère, est ce que l’on pourrait appeler une cause sans cause. Un génie peut créer des œuvres belles mais personne ne peut créer de génie. C’est une origine qui n’a pas d’origine, un commencement sans commencement. C’est pourquoi, écrit Kant, le génie « ne peut… expliquer scientifiquement comment il réalise son produit ». C’est la raison pour laquelle « le créateur d’un produit qu’il doit à son génie, ne sait pas lui-même comment se trouvent en lui les idées qui s’y rapportent ». L’analyse philosophique rejoint ici une expérience immémoriale, celle de la déception que chacun peut éprouver en interrogeant un créateur sur ses procédés de création, comme si la création artistique était condamnée à demeurer opaque à l’intelligence du créateur. Mais à vrai dire, ne serait-ce pas le contraire qui serait étonnant ? Rendre raison de l’origine de l’œuvre d’art ne reviendrait-il pas à trouver une cause, autrement dit un concept, une règle, à cette œuvre ? Dans ce cas, cette dernière ne serait-elle pas plutôt une production technique qu’une œuvre d’art ?

À un premier niveau d’observation, c’est ce qui ressort de l’examen d’une lettre écrite par Vincent Van Gogh et qui semble remettre en cause l’analyse de Kant. S’adressant à son ami et conseiller Anthon Van Rappard, Van Gogh écrit : « Pénétrons si bien les secrets de la technique que le public s’y laisse prendre et jure ses grands dieux que nous n’avons pas de technique. Que notre œuvre soit si savante qu’elle paraisse naïve et ne pue pas notre talent. » Il y a là plusieurs thèses. La première veut que l’excellence soit, dans l’art, ce que l’on atteint en se hissant au plus haut niveau de la technique. Le grand artiste serait alors un très grand technicien, ce qui semble remettre en cause la théorie kantienne de la genèse de l’œuvre d’art. Toutefois, il n’est pas certain que Van Gogh, ici, contredise Kant. S’il s’agit bien, pour l’artiste, d’atteindre le plus haut niveau de la technique, cet accès, écrit le peintre, consiste à pénétrer des « secrets ». Ce dernier terme mérite attention. Si le secret est au sens le plus trivial ce qu’on n’a pas le droit de trahir, il est aussi ce que l’on est incapable de dire et d’expliciter. Il est ainsi ce qui résiste à l’expression, à l’analyse et à la clarification. Pour cette raison, le secret est, à proprement parler, ce qui nous introduit au seuil du mystère, et ici du mystère de l’art. Définissant un idéal artistique, Van Gogh exhorte l’artiste à travailler et à se perfectionner techniquement. Mais le plus haut degré de la technique semble ici relever d’un au-delà de la technique si cette dernière, par opposition au secret et au mystère, est bien ce qui, pouvant s’enseigner, peut d’abord être explicité. D’où la question, de fait, de savoir s’il est tellement certain que Van Gogh s’oppose à Kant.

D’autant que si l’idéal artistique semble, pour lui, constituer un idéal de perfectionnement technique, cet idéal est celui d’une technique qui serait celle grâce à laquelle l’artiste paraît « naïf », autrement dit une technique qui serait celle-là même de la dissimulation, ou de l’effacement de la technique. Loin de devoir cultiver et manifester de la virtuosité, l’artiste doit au contraire se garder de vouloir paraître savant. Une œuvre virtuose, non seulement ne serait pas belle, mais aurait quelque chose de repoussant. Elle aurait quelque chose de « puant », donc de dégoûtant. Tant et si bien que, à supposer que le plus haut niveau technique soit encore affaire de technique, ce dont on peut douter, nous l’avons montré, l’œuvre d’art pourrait bien tirer sa beauté d’une technique qu’il faut dire paradoxale si elle est bien la technique de l’effacement de la technique. Sur ce dernier point, Kant et Van Gogh sont encore loin de s’opposer. En effet, si les beautés naturelles sont belles, selon Kant, de nous laisser imaginer qu’elles sont des produits de l’art, les beautés artistiques, elles, nous émeuvent en tant, précisément, qu’elles nous ouvrent la liberté d’imaginer qu’elles sont des produits de la spontanéité et non du travail technique. Par où l’on voit qu’en affirmant que les œuvres d’art nous paraissent belles quand elles semblent être des beautés naturelles, Kant considère, comme Van Gogh, que la beauté de l’œuvre d’art est suspendue à la capacité que possède l’artiste, en effaçant techniquement sa technique, de donner à son œuvre l’apparence de la spontanéité.


Conclusion



Pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer, il semble que le concept de génie soit bien le terme ultime de la réflexion kantienne sur l’art, raison pour laquelle Kant se réfère aussi à l’étymologie du mot « génie », genius, désignant, au sens religieux, « l’esprit donné à sa naissance à un homme pour le protéger et le diriger ». Ce rapprochement entre le sens esthétique et le sens religieux de la notion de génie ne signifie nullement que l’artiste génial soit inspiré par les dieux. Nous avons vu combien la perspective kantienne rejette cette conception. Il montre sans doute qu’à l’instar du divin, le génie est un absolu, une cause non causée comme nous disions plus haut, un point de départ inexplicable mais qu’il faut cependant admettre puisqu’il y a des œuvres d’art et que celles-ci ne sont possibles que si l’on considère le génie comme leur origine.

Au terme de cette analyse, il semble acceptable d’affirmer que le génie peut donner l’espoir d’une solution aux contradictions de l’esthétique, puisqu’en lui se concilient la règle propre à l’art et la liberté du créateur. Mais s’il renvoie à une notion populaire — qui niera que Bach ou Vermeer sont des génies ? —, il reste pourtant une espèce d’irrationnel puisqu’il demeure inexpliqué. Il est déduit comme condition de possibilité de l’œuvre d’art mais il n’est pas analysé dans ses rapports avec la société ou l’histoire. Kant ne se demande pas davantage quel sens, historique, social, on peut donner à l’existence des génies. Son seul problème ici est celui de la création artistique qui n’est possible qu’à la condition d’admettre à son principe une origine qui n’a pas d’origine, un principe, de fait, inconditionné, anhypothétique, un premier moteur de l’art : le génie.


Claude Obadia - cité par Sandrine Cerruti - extrait de https://grandes-ecoles.studyrama.com/espace-prepas/prepa-litteraire/preparer-le-concours/le-genie-dans-l-art-selon-kant-5320.html



30) Quand tu vois un aigle, tu vois une parcelle de génie; lève la tête !










participation à la sardane du génie


1)Isabelle H, 2)Pierre Lamarque, 3)David Spailier, 4)Joe Pastry, 5)Ingrid Reuilly, 6)Captain Cap, 7)David Spailier, 8)Sandrine Cerruti, 9)David Spailier, 10)Pierre Lamarque, 11)Patrick Modolo, 12)Andrew Nightingale, 13)Constantin Pricop, 14)Jérôme Fortin 15)Tristan Felix (Muriel Martin) 16) Laura Vasquez 17)Maheva Hellwig 18) Vladimir Maïakovski 19)Matthieu Lorin 20)Pierre Lamarque 21)Bruno Giffard 22) Tristan Felix 23)Marie-Anne Bruch 24)Denis Heudré 25)Madame de Staël 26)Alexandre Poncin 27) Simon A. Langevin 28)Maheva Hellwig 29) Claude Obadia - Sandrine Cerruti 30) William Blake