Le dépôt
Zoom 9 - Nicanor Parra
ZOOM sur Nicanor Parra
Mai Mai Peñi - Discours de Guadalajara - 1991
50 Poèmes de Nicanor Parra
Extraits de « El último apaga la luz »
Obra selecta – Editions Debolsillo - Penguinbolsillo
Traductions de G&J .
L’antipoésie de Nicanor Parra
le mot du traducteur
Le poète avait 77 ans quand il a écrit ce recueil, son avant-dernier recueil. Nicanor Parra né en 1914 est mort en 2018 à 104 ans. Pas de lyrisme dans sa poésie. Pas non plus une grosse production dans la longue vie du poète. Un seul recueil traduit jusqu’à maintenant, son premier, écrit en 1958 à l’âge de 44 ans, intitulé Poèmes et antipoèmes.
Le travail de traduction m’a plu, à cause de la simplicité du vocabulaire, de l’aspect prosaïque de ce que l’auteur appelle lui-même des discours, à cause du dénuement de l’expression sans les artifices dont se sert la poésie traditionnelle, de l’originalité des sujets traités, de la façon dont le poète situe sa poésie à part des autres, de l’anticonformisme de l’auteur. La poésie de Parra n’est pas un exemple à suivre pour un poète parce qu’elle est uniquement propre à ce poète, mais en y regardant de plus près on peut s’inspirer de sa personnalité simple et originale, accessible, et de l'abord surprenant, tout à fait nouveau et original que l’auteur réserve à la poésie, faisant bouger ses lignes et trembler ses bases.
Présentation par Constantin Pricop
Une poésie spéciale par le fait qu'elle ne s'éloigne pas trop de l'immédiat (quotidien, politique) et ne le transcende pas par une attitude grandiose, solennelle, comme c'est en général le cas de la poésie engagée, patriotique, etc. Au contraire elle assume sa quotidienneté. Donc, les choses grandes, responsables etc. sont des faits comme les autres - sans le sentiment de grandeur... De là, sa... grandeur. Sans beaucoup d'effets poétiques. Une poésie qui n’en a pas besoin, parce qu'elle est essentielle.
XLII
EN RÉSUMÉ
`
en conclusion
Et en bonne romance
je vote x Rulfo
décidément je reste avec Rulfo
Comment ça, pourquoi
Pour avoir mis en pratique
Les instructions de González Martinez
Son compatriote de Guadalajara
Quelles sont ces instructions?
Point 1 :
Tordre le cou du cygne au plumage trompeur
qui donne sa note blanche au bleu de la fontaine
il passe avec grâce sans plus , mais il ne sent pas
l’âme des choses et la voix du paysage
Point deux :
fuir toute manière et tout langage
qui ne correspondent pas au rythme battant
de la vie profonde... et adorer intensément
la vie, et que la vie englobe ton hommage
Et point final :
Regarder le hibou quitter les genoux de Palas,
tendre les ailes depuis l’Olympe,
et poser sur cet arbre son vol taciturne...
Il n’a pas la grâce du cygne, mais sa pupille
inquiète qui s’enfonce dans l’ombre interprète
le mystérieux livre du silence nocturne
XLVI
JE FINIRAI PAR LÀ OÙ J’AURAIS DÛ COMMENCER
Ni socialiste ni capitaliste
Bien au contraire :
Écologiste
Proposition de Daimiel :
Nous comprenons x l’écologie
Un mouvement socio-économique
Basé sur l’idée d’harmonie
De l’espèce humaine avec son milieu
Qui lutte x une vie ludique
Créative
égalitaire
pluraliste
Libre d’exploitation
Et basée sur la communication
Et la collaboration des gens
Ensuite viennent les 12 points
XLVIII
MES REMERCIEMENTS LES + SINCÈRES
Au gouvernement de l’État de Jalisco
À la mairie de Guadalajara
Au Fonds pour la culture économique
À Pemex à Pipsa à Banamex à Bancomer
Et tout particulièrement
À la loterie nationale pour l’assistance publique
Sans loterie je ne suis pas ici
On vérifie la théorie de Léonard :
1 % d’inspiration
2 de transpiration
Et le reste de chance
L
DERNIÈRE HEURE - URGENT
J’ai rencontré hier au café de Naples
Un garçon qui lit beaucoup
Il sait faire parler les morts
Et écrit crapaud avec un zède
Il signe Juan Rulfo,
Mais son vrai nom est Juan Pérez
Troïka
Les années se sont écoulées
Aujourd’hui, tout le monde sait qui est Rulfo
Il est comparé à Cervantes lui-même
Et je propose que dorénavant
Le mot crapaud soit écrit avec un zède
En l’honneur de ce paysan mexicain
MAI MAI PEÑI *
* salutation mapuche, quelque chose comme 'bonjour frère’
Poèmes dont les originaux en langue espagnole (Chili) se trouvent dans le dépôt du site La Page Blanche avec leur traduction par G&J
Les vices du monde moderne
Les délinquants modernes
Sont autorisés à fréquenter tous les jours, les parcs et les jardins.
Munis de puissantes lunettes et de montres de poche, ils font
Irruption dans les kiosques favorisés par la mort
Et installent leurs laboratoires parmi les rosiers en fleurs.
De là ils contrôlent photographes et mendiants, qui déambulent aux alentours
Tentant d'élever un petit temple à la misère
Et si l'occasion se présente, ils arrivent à s'emparer d'un mélancolique cireur.
La police terrorisée fuit ses monstres
En direction du centre-ville
Où éclatent les grands incendies de fin d’année
Et un courageux à capuche fait mettre les mains en l'air à deux sœurs de charité.
Les vices du monde moderne :
L'automobile, le cinéma parlant,
Les discriminations raciales,
L'extermination des peaux-rouges,
Les astuces de la haute finance,
La catastrophe des vieillards,
La traite clandestine des blanches réalisée par des sodomites internationaux,
La fanfaronnade et la gloutonnerie,
Les pompes funèbres,
Les amis personnels de son excellence,
L'exaltation du folklore au rang de catégorie spirituelle,
L'abus des stupéfiants et de la philosophie,
Le ramollissement des hommes favorisé par la fortune,
L'autoérotisme et la cruauté sexuelle,
L'exaltation de l'onirique et du subconscient au détriment du sens commun,
La confiance exagérée dans les sérum et les vaccins,
La divinisation du phallus,
La politique internationale des jambes ouvertes patronnée par la presse réactionnaire,
L'appétit démesuré de pouvoir et de lucre,
La ruée vers l’or,
La fatidique danse des dollars,
La spéculation et l’avortement,
La destruction des idoles,
Le développement excessif de la diététique, de la psychologie pédagogique,
Le vice de la danse, de la cigarette, des jeux de hasard,
Les gouttes de sang qu'on trouve habituellement sous les draps des jeunes mariés,
La folie de la mer,
L'agoraphobie et la claustrophobie,
La désintégration de l’atome,
L'humour sanglant de la théorie de la relativité,
Le délire du retour au ventre maternel,
Le culte de l’exotique,
Les accidents aéronautiques,
Les incinérations, les purges de masse, la rétention des passeports,
Tout ça parce que,
Parce que ça donne le vertige,
L'interprétation des rêves
Et la diffusion de la radiomanie.
Comme on l'a démontré,
Le monde moderne se compose de fleurs artificielles
Qui se cultivent sous des cloches de verre qui ressemblent à la mort,
Il est formé de stars de cinéma,
Et de boxeurs sanglants qui se battent au clair de lune,
Il se compose d'hommes rossignols qui contrôlent la vie économique des pays,
Moyennant quelques mécanismes faciles à expliquer ;
Ils sont généralement en noir, comme les précurseurs de l’automne
Et s'alimentent de racines et d'herbes sauvages.
Pendant ce temps-là les savants, mangés par les rats,
Pourrissent dans les caves des cathédrales,
Et les armes et les âmes nobles sont implacablement poursuivies par la police.
Le monde moderne est un grand cloaque :
Les grands restaurants sont pleins à craquer de cadavres digestifs
Et d'oiseaux qui volent dangereusement à basse altitude.
Et ce n'est pas tout : les hôpitaux sont plein d’imposteurs,
Sans parler des héritiers de l'esprit qui établissent leur colonie dans l'anus des récents opérés.
Les industriels modernes sont parfois affectés par l'atmosphère empoisonnée,
Près des métiers à tisser ils tombent généralement malades du redoutable mal du sommeil
Qui les transforme à la longue en espèces d’anges.
Ils nient l'existence du monde physique
Et se vantent d'être de pauvres enfants du sépulcre.
Pourtant, le monde a toujours été ainsi.
La vérité, comme la beauté, ne se crée ni ne perd.
Et la poésie réside dans les choses, où est simplement un mirage de l’esprit.
Je reconnais qu'un tremblement de terre bien conçu
Peux en finir en quelques secondes avec une ville riche en traditions
Et qu'un minutieux bombardement aérien
Peut abattre, arbres, chevaux, trônes, musique.
Mais qu'importe tout ça,
Si tandis que la plus grande danseuse du monde
Meurt pauvre et abandonnée dans un village du sud de la France
Le printemps rend à l'homme un peu des fleurs disparues.
Essayons d'être heureux, c'est ce que je conseille, en suçant la misérable côte humaine.
Extrayons-en le liquide rénovateur,
Chacun en accord avec ses inclinations personnelles.
Cramponnons-nous à ce déchet divin !
Haletants et épouvantables
Suçons ces lèvres qui nous rendent fous ;
Le sort en est jeté.
Aspirons, ce parfum énervant, destructeur,
Vivons un jour de plus de la vie des élus :
De ses aisselles, l'homme extrait la cire pour forger le visage de ses idoles.
Et du sexe de la femme la paille et la boue de ses temples.
Voilà pourquoi
Je cultive un pou dans ma cravate
Et souris aux imbéciles qui descendent des arbres.
(Extrait de "Poèmes et antipoèmes" -traduction de Bernard Pautrat -Ed.itions du Seuil)
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