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AUTEUR-E-S - Index 2

28 - Luc Marsal

Poèmes

À CONTRE-JOUR

 

C’est un coin innocent dans des terres oubliées

 

Il y a cette légère pente

       sur laquelle glissent

                      les tombes

 

Un léger voile de brume se fond

dans la nuit qui se perd

on n’entend que les chiens

avalés par la terre

la vie s’écoule à contre-jour

emportée par l’hiver

emportée par le froid qui me serre

 

Les morts se mélangent aux vivants

rien ne tremble      ils se ressemblent


 


 

SUR LE FAUTEUIL DU SALON

 

Dehors

la pluie bat de l’aile

elle crache ses derniers mots

 

Sur le fauteuil du salon

un air léger

aucune fatigue à l’aimer

ses yeux forment un bouquet

baigné de terre humide

 

Il l’enveloppe du regard

comme on lange un enfant

tend sa main de coton

pour apaiser son front

son ventre à la dérive

 

Un peu de lumière dépasse

le soleil revient

dans la partie

 


 

LE REBORD DES CHOSES

 

Il lui reste encore

ses beaux yeux

pour sourire

 

Elle range sa vie

dans de grandes soupières

avec ses souvenirs de rien

et quelques baisers volés 

les jours de brise légère

 

Elle aime le rebord des choses

la mousse qui s’attarde

sur le coin de ses lèvres

la lente vague de sommeil

qui s’épuise au matin

 

Elle oublie parfois l’horloge

le temps qui glisse sur sa peau

avec de grands arrondis

pour apaiser ses rêves

et le bruit du vent au dedans 

 

Elle a mis le bonheur

entre ses dents

pour ne pas le lâcher

comme une proie vivante

qui s’éclot au soleil

 

Et elle y tient

LES MOTS DITS

 

 

Bien sûr que les mots ne sont rien face au trou béant. Rien face à la douleur, à l’angoisse, à la vie qui s’efface. Les mots ne sont rien s’ils ne restent que des mots. Que des mots échoués. Des mots ratatinés. Des flaques d’eau sombres sur le front. Juste des mots.

Que valent-ils les mots s’ils ne sont pas partagés ?

D’abord avec soi. Écouter ce qui effleure en soi. Savoir qu’on est en vie. Même si le bruit. Même si la douleur. Même si on n’en n’a plus envie.

Puis avec les autres. Ce qu’on ose. Ce bout de soi qu’on offre à nu. Pour que les proches s’approchent. Pour que les presque soi se reconnaissent dans les traces que l’on laisse.


Quelle est la force de ces mots-là ?

Pour celui qui les partage. Que peut-il en attendre de ces mots en offrande ? Peut-il guérir de ses maux avec ses mots ? Au-delà des jeux de mots, des illusions, est-ce que ça aide à vivre de jouer avec les mots ? De s’en faire des colliers ? D’écrire de la poésie ? De dire plus que ça ne dit ?

Eh bien, j’aimerais croire que oui. Car on sent mieux le vent quand on écrit. Le souffle qui transporte. Et nous fait avancer. Pas à pas. Mot à mot.

Et ces âmes que l’on touche avec nos mots. Nos mots qui deviennent aussi les leurs. Et nous allègent un peu. J’aimerais croire aussi à ça. À la force de ces mots-là.