Le dépôt
Présentation
Clélie Lecuelle, née en 1983, vit et travaille à Paris. Études de Philosophie, de Lettres et Arts (Master II).
J'e
́cris vraiment depuis une dizaine d'années en même temps que j'exerce le métier de professeure documentaliste en banlieue parisienne. Je monte divers projets culturels avec des auteurs et des partenaires différents, toujours, dans l'esprit d'une ouverture pour les élèves (étonnement, émerveillement, sensibilité et r
éflexion).
Les thèmes
principaux : la Vie – la Présence, la lumière, l’enfance, le paysage, la nature, l’amour, l'espace-temps, le corps et la mort. Ils interrogent le rapport intime et extérieur au r
éel.
Des publications
sont à venir dans les revues Terre à ciel (Décembre 2023), Lichen (Février 2024) et Verso (Rentrée 2024).
Tout a commencé par
des questions essentielles posées par Christiane Veschambre
:
Qu'est-ce qu'on peut
apercevoir dans la fente de l'écrire ? Quelle serait ta chambre d'écriture ? D'où écris-tu ?
Je crois qu'on écrit vr
aiment dès que l'on commence par ne pas écrire. Et c'est depuis l'enfance que l'écriture et particulièrement, la poésie, m'a « touc
hée ».
Mes premiers poèmes sont enfa
nts du silence : dans l'attente, qu'un jour, ils se vêtissent – prennent corps dans la langue. Et c'est dans cette quête originelle que je me situe : une écriture du silence, souterraine, qui tente de rejoindre le bruissement de la
Vie.
Ce qui nous traverse et nous affe
cte singulièrement
Essayer de sentir et de capter ce
qui, singulièrement, nous traverse et nous affecte. « Écrire... un passage de Vie qui traverse le vivable et le vécu » écrit Gilles Deleuze, chapitre premier « La littérature et la Vie », dans Critique et clinique. Qu'a-t-on entre-aperçu dans la camera obscura et que peut-on déchiffrer et restituer ? En quelque sorte, être le « réceptacle » ou le « sismographe » : enregistrer et tenter de retranscrire avec une certaine justesse et une certaine vérité ces vagues ou graphies de Vie. C'est comme si je répondais, en m'effaçant, à des appels de phare ou à des signaux de morse lancés. Ou je suis comme ce petit garçon, Sôsuké, dans Ponyo sur la falaise de Hayao Miyazaki qui échange avec son père, capitaine, des signaux lumineux. J'essaie de retranscrire ces vagues de Vie qui me traversent. Puis, de renouer avec le poème mère, l'écriture première, silencieuse, invisible et indicible - un lieu, une langue souche.
Le travail de la la Poésie, de la terre et de la mise au
mond
e
Pour moi, le travail de la langue, de l'écriture, de la
Poésie se rapproche du travail de la terre et de la mise au monde. Favoriser le passage (médiation) et en oublier ses « outils ». Être et ne pas être en même
temps.
La « force » ou le flux vital « choisit » la forme
Je ne fais pas de recherches formelles, au sens où je ne che
rche pas à faire des poèmes en vers libre de manière volontaire et réfléchie. C'est cette forme qui est à venue à moi, par une nécessité intérieure, qui "dicte" ce cheminement et montre "la voie(x) à suivre". En quelque sorte, j'ai suivi ce flux "sans y avoir mis la main" si je puis dire ainsi. On est habité par une voix, un rythme, une musicalité, un silence, un sens... que l'on suit et il est important de faire confiance à
ce qui advient.
C'est une question de souffle et de densité de la parole qui s'écrit, est
en train de s'écrire. Je ne fais pas d'opposition entre le vers et la prose, ces formes sont, pour moi, complémentaires
mais
la force "choisit", pour moi, la forme qui lui convient. Les blancs et les cou
pes font les pauses, les arrêts, le silence, les espaces de résonance...
Le travail vient après mais il ne peut se faire qu'en lien direct avec ce flux
vital ou cette "force-forme originelle". Et ce sont des poèmes, - en vers libre, et le plus souvent, court
s.
Je tente de ramener le poème là il est né, au plus près de lui-même.
Je retourne sur cette captation en me méfiant de la raison et de la réflexion. J'e
ssaie de garder une certaine intuition initiale, une certaine justesse et une certaine vérité par rapport à ce qui m'a traversée – à une expérience. Quelque chose en moi me dit que c'est juste ou pas, ou que c'est la voix à suivre. Si ça vit en moi, si c'est vrai, je me dis qu'il est possible que ça puisse ou pas toucher l'autre. Ce dernier peut s'y reconnaître - « ça lui parle, ça le touche ». Mais je n'ai pas d'objectifs ; cette relation avec l'autre doit être pur
ement gratuite.
Déposer une poignée libre de poèmes dans les airs
Si je me penche sur mon écriture, elle paraît ou elle peut être qualifiée de « simple, sobre, br
ève, dépouillée, épurée, ramassée, resserrée, ténue, verticale... ». C'est sans doute parce-qu'elle tente de ne pas trahir ce qui (me) traverse. Respecter cette « corde sensible » ou ce « flux tendu » et tenter de re-lier ou de recoudre ce qui
été décousu.
Déposer des mots sur une page n'est pas une mince affaire mais une « affaire sensible et singulière » et il faut
prendre une infinie et ultime précauti
on.
Cette écriture serait comme un rideau de pluie ou plutôt le courant d'un ruisseau ou mieux, un filet d'eau qui s'a
menuise mais tente de garder la trace de ce passage de Vi
e.
Pour moi, l'écriture idéale serait ces mots qu'on a à peine dit et écrit, des mots décrochés, simples, ténus e
t pauvres. Des mots blancs, pourrait-on dire. Un filet de mots pour laisser passer la Vie. Déposer une poignée libre de poèmes dans les airs. Puis, les murmurer, les chuchoter au creux de l'
oreille...
Questionnaire de LPB
1/ - Peux-tu indiquer un livre que tu aimes particulièrement ?
Il y a tant de livres que j'aime !
Je citerai les livres Au phare et Les vagues de Virginia Woolf. Un souffle vital les traverse.
2/ - Peux-tu donner un vers, un mot, que tu aimes ?
Question et choix difficile. Peut-être le couple « Présence/Absence » ou « être et ne pas être » (pour « détourner » William Shakespeare).
3/ - Quelles sont tes lectures habituelles aujourd’hui et comment s’expliquent ces habitudes ?
Je lis toujours autant, si ce n'est encore plus, de la poésie (au-delà des genres et des temps). C'est ma / la Vie. Une Voie / Une voix. Un rapport sensible au monde.
Je suis également très attachée aux auteurs – poètes illustrateurs, dits de « jeunesse », à tort, parfois, si l'on considère qu'ils ne s'adressent qu'aux plus jeunes âges. L'âge ne veut souvent rien dire. Ne sommes-nous pas ou ne devrions-nous pas être des éternels enfants ? (Re)naître ?
Je pense à Anne Herbauts, Anne Brouillard, Valérie Linder, Beatrice Allemagna, Marion Fayrolle, Tomi Ungerer, Peter Sis...
L'univers des contes également. L'importance de raconter des histoires et l'Histoire, de transmettre de génération en génération et de la place du conteur dans notre société. Comme le poète mais différemment, le conteur s'efface, se fait porteur aussi d'une voix et d'un flux vital qui le traverse, nous traverse. Il est un médiateur au sens où il laisse passer la Vie à travers des récits essentiels qui l'habitent et qui nous nourrissent.
4/ - Peux-tu citer un support de diffusion de la poésie que tu affectionnes (autre que le livre)?
J'affectionne plus que tout le livre. C'est tout un monde qui se déploie. Rien ne peut le dépasser. Une bibliothèque, c'est tellement vivant. Autour d'elle, tout s'anime, se partage et se transmet !
L'objet-livre est très ouvert et créatif. Je pense aux différentes formes : le leporello ou livre accordéon (que j'aime particulièrement : il reprend le mouvement même de la vie), le pop up... mais aussi aux livres pauvres, aux livres d'artistes…
5/ - Le monde lit-il toujours et quoi?
C'est une question peu évidente. Je pense que le monde lit, quelque soit le support, le format... mais il lit différemment et peu, je pense, de littérature loin du « prêt-à-porter ». Les temps ont vraiment changé. L'attention, le ralenti, le différé... – le temps de la recherche et de la création n'est plus vraiment considéré, et à sa juste valeur. Alors que c'est sur ce temps-là qu'il faut compter pour avancer, pour éclairer…
6/ - Quel est ton plat préféré ?
Tous les plats confectionnés avec des fromages de qualité.
7/ - Quelles sont ta musique, ton film, préférés ?
Tous les arts me nourrissent – ils sont mon terreau et ils m'accompagnent depuis longtemps.
En musique, je suis ouverte à tous les genres mais j'aime particulièrement le rock indépendant : Blonde Redhead, Sparklehorse, Spiritualized, PJ Harvey et tant d'autres ! La liste est longue ! Je suis très sensible également à la chanson française, telle que George Brassens, Miossec...
Concernant les films, je suis sensible à chaque univers, tant qu'il y a, pour moi, poésie (au sens large) : Éric Rohmer, Jim Jarmush dont son merveilleux film Patterson, Mikhaël Hers, Hong Sang- Soo, Terrence Malick, Quentin Tarantino…
8/ - Peux-tu recommander un site de poésie et expliquer ton choix ?
Je tiens d'abord à souligner combien la poésie est plus que jamais vivante.
Il y a beaucoup de sites et/ou de revues de poésie très stimulants. Chacun présente une singularité à laquelle je suis sensible.
Hormis La page blanche, je peux citer le site / la revue Terre à ciel, très vivante, ouverte et dense.
9/ - Peux-tu parler de tes amours au présent ?
Mon amour pour la Vie, la Présence, la lumière, la poésie, l'enfant que nous pouvons être.
10/ - Dans le cours de ta jeunesse (16-25 ans), quels sont ou ont été tes principaux intérêts intellectuels ?
Mes principaux intérêts intellectuels sont ou ont été la philosophie, la littérature, la peinture, la photographie et le cinéma.
Aujourd'hui, encore et toujours, là où il y a, à mes yeux, Poésie ; au-delà des genres et des temps.
11/ - Est-il nécessaire de produire ?
Le mot « produire » m'effraie si l'on pense au rendement, à la rentabilité, à l'efficacité, aux résultats... Bref, à tout ce qui s'éloigne d'un temps ralenti, différé... - Le temps de la création – des possibles.
Laisser une trace, oui. Un regard. Un passage de Vie.
12/ - Pour qui écris-tu de la poésie ?
La poésie est véritable : elle a ce pouvoir de révéler le réel, de mener de front, de résister sous différentes formes et de nous guider vers la lumière, les possibles, la métamorphose... Voir un ordre, une certaine harmonie dans le chaos. Nous serions totalement perdus ; le monde et ce qui l'anime, son âme, serait complètement, anéanti sans la poésie. La poésie est partout. Il suffit de faire un pas de côté, de sentir et de regarder vraiment et autrement que ce qu'on peut nous imposer : une société malade, technologique, matérialiste, consumériste, loin de la lenteur et de la Beauté, qui nous empêche de voir et qui nous perd, nous éloigne toujours plus de l'originel et de ce que nous sommes, - des vivants.
Dans ce sens, je tiens à remercier les revuistes pour tout votre travail et pour l'accueil que vous nous réservez. Pareillement, pour les éditeurs. C'est un espace vital – libre – résistant où l'on respire. Une porte entrouverte dans laquelle on s'engouffre. De la même manière, que le monde peut continuer à tourner si nous avons des personnes qui croient à un monde des possibles, font confiance à la Vie, résistent...