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AUTEUR-E-S - Index 2

8 - Quentin Baffreau

L'habillage des nues


L'habillage des nues


La houle momifiée, pleurs séchés, pluie enfreinte.


*

 

Le moineau est mort dans le poêle, les braises sous les atteintes du gel.


Ici, donc, la clôture du cri offrent sur les champs impossibles des larmes où l’être refuse de verser sa foi, sa foi, sa foi. Sa foi ! et saines ou malades ses armes.


*


L’aimé, tu ne connais que l’avant-hier. Amitié, l’amer février. Sur la crête, le fou dans le feu de grands bras irrecevables, à l’aube ouatée.

 

La poitrine au sang légué.


L’amour. Si l’aimé ne connait que l’avant-hier, alors l’amour sera une autre fois, un soir d’orage, au milieu de la bouche d'une aubépine.


*


S’étreindre, préférant le cercle et la nuit, cernés d’élanions,

déjà s'effacent les visages au couleur de supplice.


 *


Les arbres installent mes poumons, mon corps qui n'est que trou,

du tilleul à mes pores.

 

Les rêves de cabane errent dans les champs ferroviaires, dorment dans les nids, écrivent de la chair.

 

Nous passons des yeux nouveau-nés à l’étoile du corps, de la brûlure de l’air à la poitrine gisante en terre ; au seuil d’une blanche reine, nous passons du parfum d’une maison à la fleur de l’âge fanée.


*


L’aventure est-elle passée ?


Auprès de la pipistrelle, autour du réverbère, l'habitation se couvre. L'amère consolation sourd du tableau de la tête de l’ange et du gibet. A la fois tissu des coins du monde et lit du présent.


*


Qui m’entraine, grand astre, détourner le matin ? Et la mer du vent ?

Ne suis-je pas en retard ?

 

Les germes, les fumées, les étincelles, éclatantes éternelles dans la bise noire de ce matin qui dominent les croupes de vie fondues.


*

 

C’est un samedi sous les combles.


Vois-tu, il faut se rejoindre à l’habillage des nues. Nous voir vivre et mourir.

 

Des menottes au ciel.

 

Comme une vague garde de banquise, ta danse m’enlève au vent.

 

Dans la lumière des cloches. C’est un dimanche d'herbe, un poème de pierres neuves.


*

 

Le dos qui timide comme neige au soleil meurt à découvert.

 

Voir retournée, cousue et brodée la transparence.


Chère nuit érodée de pastorale et de cité, voisines incroyables du feu.

 

Le rapace retourne à l’accueil du cœur, à l’écoute, à l’aire de repos.

 

Veilleuse de l’ouïe, haut lieu en branche d’apnée, forêt nocturne dorée,

forêt de son propre ciel plongée dans l’ombre le jour du retrait.


*

 

Pays du crucifix envolé, au goût de sang et feu. Un pantin de plume au regard de chute d'eau.

 

La petite croix en station scrute la terre renversée et la queue

des nuisibles, elle pique puis tranche, passe au-dessus d'une grange où quelques dames endormies, quelques bêtes avachies dans la paille attendent la promesse dont on sait qu'elle ne sera pas tenue. Là est sa beauté.

 

Le soleil se couche, la grange brûle avec lui, écrasée par la gamme déployée des torches et des lambeaux, célébrant la mort du voisin,

et le pantin fidèle à la terre attend au loin le soulèvement du glas.


*


Chair à pulpe divine, aux pépins enclins à l’air d’un souvenir qui passe

par la fenêtre.

 

Où bâillent le rouge et le jaune du recueil ? Qui s'ouvre aux veines roses de la souche ?

 

Sur la grange vient l’âge et l’ombre du jour. Le bruit recommence à geindre son amour vain pour la diurne quiétude. La maison du monde ouvert à l’ombre d'un poirier.

 

La citadelle dévore le bois et la terre craquelée où s'est glissée l’apparition.

 

La fleur d’avril laisse le fruit s’étirer dans la clarté d’un jour soupirant

et la fête s’étend à la cheville de l’arbre qui consume l’observation des astres. Le long d’une rivière sans nom, le fruit se pare de couleurs agonisantes.


Déjà loin d’ici

où la vie éclot.


*

 

Mais quelle vie si l’effacement des lieux est bel et bien la dernière lueur ?

 

Le verre ne devient-il pas opaque dans nos mains de fragile lumière comme une brume de ravin ?

 

Mais quelle mort, si elle n’est que l’avant-dernière, quelle mort, si elle n’est que le miroir méthodique de l’écumeuse, quelle mort guidera le clair-obscur de nos yeux, la vitesse ou la lenteur de nos pas ?

 

Il reste les murmures et les silences pour lesquels la mort est encore totale et avec eux, dans l’ombre revenante de novembre, la joie sans doute naïve de savoir que la mort n’est pas encore totalement objet.


*


Fenêtre de la nuit d’où naissent les montagnes.

 

Le chêne dévoile en même temps le grimpereau sur le tronc et la rosace qui conquière la couleur sur le mur.


Le manège s’éteint. On n'entend plus qu'un sifflement d'enfant.


Devenir noir, les roches brunes, la dérobée de la terre dans l’oubli.

 

La nuit monte.





Échardes



Aux claquements des palombes du dortoir fracturé. Au retour du hameau qu’autrefois les œillets du faon couvraient d’accrocs. Le soir dans les poches, un tronçon lumineux frappe ses sandales. Lanières de cuir luisantes. Derrière, attendent sur la table les coquilles mortes, témoins de ses joues creusées.


 

 

Enfin, je les ai vus, depuis les champs de camus où ils trouvaient le repos. Pays veuf. Libéré des diminutifs, et pour prendre un chemin plus court, j’ai embrassé l’orgue de ma chute par la veine de leur sourire, j’ai embrassé ces amants en sursis des fontaines. Les quatre écrins de leur visage m’apportaient les boucles de la mer semblables à l’écriture solitaire des coquillages sur les cendres de la marée.





Les feuilles sont minces



deviner à travers le feuillage

ramasser des gestes

voir la vie à travers la page




 Prendre l’air 

 

 

Ce chemin était peut-être une bouche, une parole de miroir et de rêve, pas toujours trahie.

 

Allez encore vers ces lèvres rouges et noires, ce vert épais, charnu, s’égarer encore dans ces buissons de flamme comme des entailles de vie, foulez encore ces flaques de poussière et de boue qui troublent les visages. Ce n’est peut-être pas la fin. Encore moins la mort.

 

Souvenir des promeneuses au bord de ce chemin, brume des liserons.

 

Retour par les limbes du sous-bois.


 

Je voudrais faire entendre les mots de cette bouche, de cette profonde clarté qui confine à la rêverie, outrepassant le visible, mais qui en même temps nous expose et nous livre. Sans quoi les mots ne sont pas ces éclats de sentier ; autrement, ce chemin est une impasse, cette bouche une prison.

 

 

M’attardant encore une fois, assis dans cette reliure de feuilles et de cailloux, en cette charnière de coton et d’écailles, le foisonnement des mots me harcelaient. Ils me venaient tantôt comme des cris de moineaux, tantôt comme ces nuées qui rompent avec la terre. Le jour baissait et c’est à peine si je distinguais encore le ciel. Un grand envol d’oiseaux noirs, aussi nombreux que les frêles lumières des carreaux qui hantaient peu à peu la nuit.

 

  

La bouche des mots, le baiser de la phrase.


Pente pour le chemin le plus lent.

 

Assis sur ce tronc étoilé de lichen qui traînait ses guenilles lumineuses jusqu’au sol. Naïf, je repensais justement à cette traîne de mots qui parfois m’apparaissait au détour d’un chemin comme ces cailloux semés dont la blancheur fait pressentir la naissance du langage.

 

Je me couchais comme l’arbre.

 

Comme si on avait tressé le chaos.

 

Mots, ou folle étreinte du lieu. Cailloux sur une lèvre où j’attendais patiemment le glaïeul.

 

  

J’arrivais aux rochers nus succédant aux prairies. On aurait dit un champ de bataille entre l’herbe et la pierre. C’était pourtant un creux plein de murmures, une combe de langue endormie, monastère d’éclats pierreux où je pouvais presque toucher le duvet du ciel, mais où les mots se faisaient plus rares, où la parole se mêlait au vent dans une longue caresse dont je n’ignorais pas la complicité avec la douleur des sommets.

 

 

Où je frôlais la chair des mots, les décombres des lettres, l’éboulis des sons dans la descente, le calvaire bleu au-dessus de mes pas. C’était l’heure des clarines. Le ciel se décidait enfin à être l’enfant de la terre et récitait à voix basse la leçon du jour. De grands épis pourpres montaient vers lui et le couvraient. À cet instant, il n’était plus que le pli ouvert du monde, une grande voix qui se referme violemment sur la chair. 



Toutes les plaies des racines me faisaient penser aux rides d’un visage, au visage desséché d’un vieillard, à la lumière d’ajonc ou de genêt qui se lit dans ses yeux, accroupit dans l’herbe, un brin d’éternité dans une main, un guide d’oiseaux dans l’autre, à ce visage dans le pré au-dessus du chemin des Côtes, à ce visage qui serait celui des vieux jours, des feuilles galeuses si l’herbe n’avait pas été fauchée.

 

À ce visage inconnu de poussière comme le gribouillage des premières gelées dont il ne me reste qu’une feuille hantée par le chant des oiseaux.

 

*


Regard sur

Un regard

 

L’inconnue derrière la porte

Une baie dans une main d’enfant

 

Une épine dans la voix

 

Couture un peu gauche

D’une porteuse de forme

 

Ourlet précaire

Des feuilles et de l’air


*


Retour et rumeur

 

 

I

 

D’inquiétantes fumées derrière la colline.

 

L’âtre blanc tremble

 

et une haleine bleue émane

 

peu à peu des choses,

 

les entoure d’un doute, les rendant toujours plus incertaines,

 

hésitantes,

 

tandis que la pluie achève son office, me laissant tout aussi vague, tout aussi gazé

 

que l’ombre sans lien d’une charogne. Qui n’est rien que moi mêlé à du verre mouillé.

 

Planche sur laquelle on soufflerait pour en ôter la poussière.

 

Une montagne de morts sous l’étoile de soufre

 

de milliers d’hivers. Une pierre pointue dans la voix.

 

Y AURA-T-IL QUELQU’UN DERRIERE ? QUELQU’UN DERRIERE POUR PARLER ?

 

QUI PARLERA ?



II

 

Nous n’allons nulle part, sinon loin,

 

contre un atlas de soupirs, nos yeux décillés

 

sur la trace d’un jour opaque, où

 

chacun de nos pas ravive l’attente,

 

puis les cris noirs d’acides.

 

L’empreinte d’anciens rails sous un bois,

 

une bande d’épine sur un versant de neige

 

exsangue. Les chiens chassent ceux qui appellent,

 

l’onde, les pétales du chant ; une rafle

 

de cristaux frémissants.

 

Vu entre quatre planches,

 

à travers les baraques de chaux :

 

on a trait la lumière jusqu’à la mort

 

pour étendre les jours.



III

 

Journée lasse de vent,

 

couverte par l’émission noire d’une radio

 

qui brouille la justesse de l’air.

 

Avec d’hémorragiques brassards,

 

on a clôturé les viscères,

 

doublant le maigre manteau d’une aile brune.

 

Une cheminée où rien ne passe,

 

soupir devenu gravats,

 

souffle, suie.

 


IV

 

Notes noires de rosée

 

sur d’épars sureaux. Des gouttes de jour

 

sur l’ombre d’un linge – poème, jamais

 

que marche,

 

que combat.

 

Il n’y a de pays

 

qu’amas de ride

 

sous de vifs papiers d’ongles bleus,

 

comme une brèche recéleuse

 

d’une pluie d’été, telle

 

une amie qui se résorbe

 

pour ne pas être l’eau fiévreuse du matin.

 

Visage de pluie et de vent.

 

Ses pages seront notre exode.

 

Se défaire, quitter la vie (mais quelle vie ?),

 

la vie attentée, atteinte,

 

et par cette gerbe, et poussière venir, venir et s’attarder,

 

regarder la mer,

 

oui, visage du promeneur aux verres brisés de la mer,

 

regarder la mer,

 

inaccessible.

 

Où êtes-vous passées ?

 

Absurdes mains de sable.


 

V

 

Vérifier le lys dans son vase,

 

puis redescendre.

 

Avant de passer,

 

de passer sous la main,

 

vains mots me viennent.

 

Dire mirage.

 

Sortir de la maison,

 

aller à la plage,

 

avant de passer,

 

vain,

 

passer

 

sous le niveau de la mer.

 

Étoiles…

 

ces fruits véreux

 

au-dessus de moi,

 

ces essaims repassés, livrés au couchant,

 

déjà balayés par la ménagère

 

dont j’essaye d’écouter l’annonce.

 

Ce qu’elles sont,

seules les vagues,

seul son.


*

 

Au vol

 


Éteindre l’histoire du pouvoir,

un creux sur une flamme

avant le sommeil d’en bas.

 

Vie infléchie par le vol du pêcheur.

 

Ne plus dormir.

Ton visage creusé de pruneau,

pleurant replié sur le linge,

mains étendues

par le travail de l’ombre.

 

Tes tempes de nuage

Maintenant mes mains.

 

Cette tache d’eau, lueur sur le mur, cette tache aveugle,

écho d’un enfant jouant à cache-cache.

Lumière par trop filtrée

par où l’ombre m’est advenue.

 

Mur de l’oubli,

mère sans visage,

endormie du jardin.

Contre toi, fond boueux,

respire encore le fumier de quarante enfants.

 

Encore crois-tu

au recours des lucioles

dans l’intervalle du chiendent,

aux lacunes

entre les deux berceaux ?


La nuit du – le bleu silencieux

du lendemain

nous fait taire.

 

Front neigeux au berceau,

le jasmin dans la chambre,

le parfum s’enroule.

Ce qui serait une langue

à l’instant se dissipe.

 

Pétrichor, soudain

les mots manquent.

Ne peut être passé sous silence.

Sec et mat.

La terreur de la rose première,

défigurée,

encryptée,

siècle après siècle

par les faussaires capiteux.

 

La raison demeure.

Mais, parfois, l’orge renvoie la faucille.

 

Triste suite de gestes

qui veulent se souvenir,

mais ne font que retarder le silence.

 

Vocation de poussière,

arc jaune,

renferme le regard,

mis en regard.

Minuscule bossu,

à l’instant où le silence paraît,

écoute.

 

Ton innocence entre deux eaux.

Tout faire

pour que tes amarres

soient des ailes,

anges capitaux

et non les cadavres que veille

au loin la douane.

 

Au soir

venu,

s’en sortir

par la glace calcinée,

par la faille du silence,

par celle qui frappe à la porte.

 

L’encre baisse.

 

Le pot fissuré,

l’herbe folle au milieu,

latence de tout.

 

 *

 

 Parole confiée à l’ombre

 


Les essuie-glaces gommaient la pluie et le paysage. La rosée n’était que du venin. Fatigué, je suivais les gros pointillés blancs, les veilleurs. Eux regardaient le ciel. Ils fouillaient les nuits et les visages. Ils me regardaient. Une clarté, un visage de mort, sans trait ni couleur. Une camisole de lumière.

 

Le nuage, l’étoile, la fleur de blé noir, le poème, toutes ces choses accrochent des lueurs et donnent des ombres. Les veilleurs ne donnent rien. Pas même l’ombre.

 

L’image renversée, trahie. La terreur sans la beauté.

 

L’art n’était qu’enfant. Les veilleurs l’achèvent, ils remplissent avec l’efficacité la plus froide, la plus dénuée de toute poésie, une tâche qui lui fût longtemps assignée, mais qu’il n’a jamais accomplie, car il n’était pas ce qu’on laissait dire sur lui sous la poussière des livres, parce qu’il n’était pas ce qu’on en faisait dans les salles enfumées des écoles.

 

L’enfant n’est pas moins piégé qu’un autre. Ne parle-t-il pas une langue d’adulte ?

 

Je me perdais, vous reveniez sur vos pas, à l’enfant immolé.


Beaucoup de choses passaient, bien que passer ne soit pas le mot. C’était plus un effilage. Les choses défilaient car elles avaient cessé de passer.

 

Vous aviez oublié que le monde est une braise qu’il faut contempler jusqu’au matin, qu’elle soit opaque comme l’éclaircie d’avril, aiguë comme la fièvre passante de l’hiver, ou lente et fugace comme un sentiment, sous une caresse, dans un champ de bleuets, dans la paix d’une chambre.

 

L’infime imprenable paix.

 

J’accélérais. Votre sourire en coin perçait à travers la forêt coupée. Il a suffi des nappes noires dépliées pour que vous heurtiez un rapace. L’oiseau s’écrasa sur le côté comme un arbre foudroyé. Vous y laissez des plumes, l’oiseau y laisse sa vie. Déjà, les ouvrières grises entamaient leur cortège à travers le bitume, déjà, l’herbe poussait sur une motte de terre, foyer d’une dernière spirale.

 

Halte hors de mon enfer, sieste à l’ombre. Des yeux rouges pivotaient dans l’arbre. Le nom de la bête m’échappait.

 

Vous vous réveilliez d’un songe. Mais un ciel noir empiétait la lumière.


*


Un peu de sang sur le front de la page

 

On a ouvert en haut

Des racines d’oubli

 

Une mâchoire crépitante

 

Dont on ne sort pas

 

Pour peu que nous parlions