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Zoom 5 - Roberto Bolaño

ZOOM SUR… Roberto Bolaño 




 Romancier et poète chilien de la deuxième moitié du XXe, auteur du célèbre roman 2666, Roberto Bolaño n’associe pas la poésie au seul support que serait le poème. Pour lui, la poésie imprègne l’existence toute entière, une façon de vivre qui peut s’incarner dans la vie de personnages solaires comme Ulises Lima dans Les Détectives sauvages, inspiré par son ami et poète mexicain Mario Santiago. La description de cette façon d’être au monde colore l'œuvre de Roberto Bolaño d’une teinte poétique accentuée par la profondeur de la construction des récits et leur forme labyrinthique, voire fractale. 


 De cette fusion entre la vie et la révolution poétique naît au Mexique le mouvement infra-réaliste dont Bolaño est un des fondateurs (1975), en opposition avec la tradition littéraire et académique incarnée par Octavio Paz, poète national et futur prix Nobel de littérature :


Voici les poètes du Mexique et d’Argentine, du Pérou et de Colombie, du Brésil

Et de Bolivie

Accrochés à leurs parcelles de pouvoir,

Sur le pied de guerre (en permanence), décidés à défendre

Leur châteaux contre l’assaut du Néant

Ou des jeunes, Disposés à pactiser, à ignorer,

À exercer la violence (verbale), à faire disparaître

Des anthologies les éléments subversifs : 

Quelques vieux coucous.

(...)

Dans n’importe quelle université, à n’importe quel comptoir

Voilà comment nous sommes, vaniteux et lamentables,

Comme l’Amérique latine, strictement hiérarchiques, tous

En rang, tous avec nos oeuvres complètes

Et un cours d’anglais ou de français,

Faisant la queue aux portes

De l’Inconnu : 

Un Prix ou un coup de pied

Dans nos culs de ciment


(La poésie latino-américaine, traduction Jean-Marie Saint-Lu et Robert Amutio)


 Le mouvement infra-réaliste est une invitation à une poétique de l’action, sans condition sociale ou intellectuelle préalable : 


Nos parents les plus proches :

les francs-tireurs, les cavaliers solitaires ravageant les cafés des chinois d’Amérique latine, les démembrés dans les supermarchés, dans leurs terribles tiraillements individu-collectivité ; l’impuissance de l’action et la recherche (à des niveaux individuels ou embourbés dans des contradictions esthétiques) de l’action poétique.


***


Notre éthique est la Révolution, notre esthétique la Vie : une-seule-chose


(Manifeste du mouvement infra-réaliste, traduction Sol Gil et Antonio Werli)



L’essence poétique infra-réaliste possède une composante dynamique primordiale, dessinant dans les Détectives Sauvages une trajectoire reconstruite a posteriori par la combinaison de multiples témoignages :


Le véritable poète est celui qui se laisse toujours aller. Jamais trop longtemps dans un même lieu, comme les guérilleros, comme les ovnis, comme les yeux blancs des prisonniers condamnés à perpétuité.



 Roberto Bolaño a écrit de nombreux poèmes publiés en revues ou en recueils, dont certains utilisent une mise en page qui préfigure la transprose (forme hybride entre prose et vers, où le retour à la ligne est remplacé par l’ajout d’espace, cf Lpb 60: Zoom sur Abdellatif Laâbi). Ces textes concentrent en eux ce que seront les romans fleuves qui suivront : une façon poétique d’appréhender sa propre existence.



Plus personne ne t’envoie de lettres  Sous le phare

dans le soir qui tombe  Les lèvres gercées par le vent

Vers l’Est ont fait la révolution  Un chat

dort dans tes bras

Parfois tu es immensément heureux


***


Maintenant tu te promènes en solitaire sur les quais de Barcelone

Tu fumes une cigarette brune et durant

un moment tu te dis que ça serait bien qu’il pleuve.

Les dieux ne t’accordent pas d’argent

mais ils t’accordent des caprices étranges

Lève les yeux : 

Il pleut.


Poèmes traduits Jean-Marie Saint-Lu et Robert Amutio

Extraits des Oeuvres complètes I, Éditions de l’Olivier.


Air.