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AUTEUR-E-S - Index 1

4 - Matthieu Lorin

Proses géométriques et arabesques arithmétiques

Recueil protégé par la SGDL sous la forme de l'empreinte numérique 47511. Publié aux éditions "Le nain qui tousse", en septembre 2021 avec des aquarelles de Marc Giai-Miniet, chevalier des Arts et des Lettres .

prix : 15 euros


lien de commande :


 https://www.esperluete.fr/recherche/?q=proses+g%C3%A9om%C3%A9triques






Quelques articles évoquant ces Proses Géométriques:

revue Décharge : https://www.dechargelarevue.com/Voix-nouvelle-Matthieu-Lorin.html

blog de Denis Morin : https://denismorinauteur.blogspot.com/2022/01/proses-geometriques-et-arabesques.html

article de Jacques Lucchesi, directeur de "Port d'attache":

http://editionsduportdattache.blogspot.com/2021/12/matthieu-lorin-proses-geometriques-et.html


Les dix premiers poèmes sur un ensemble de 40....



Proses géométriques et arabesques arithmétiques



1

 


 

Quand bien même j’écrirais des poèmes aussi artificiels que des manuels d’arithmétique, je ne poserai pas ce crayon, simple verticale dévouée aux arabesques, à la vie aussi courte qu’une bougie exposée aux quatre vents.

Et pourtant !

Tant d'espérances déçues dans deux millimètres de diamètre. Si sa tête n’est remplie que de clichés, à qui la faute ? Ne dit-on pas sur l’hippodrome qu’on a misé sur le mauvais cheval ?

 

Ma vie comme une corde prise trop large pour espérer franchir la ligne le premier…

 

 

 

2

 

  

 

A Hervé Bazin

 

 « Je ne te comprends plus » déclara-t-elle, de cette voix sèche comme un coup d’agrafe, fermant ainsi pour toujours les portes de l’affection, deux vantaux rectangulaires rongés par les xylophages.

 Mais, pour la première fois, le fils répondit :

 « Je crois que je ne t’ai jamais comprise. Alors, bâtissons sur ce point commun un palais sans angle que nous ouvrirons aux quatre vents. »

 

 

 

3

 

  

 

Nuit agitée,

les poches sous mes yeux sont des cylindres spongieux que je presse fort pour les aplanir comme on le ferait d’une aquarelle d’enfant depuis trop longtemps enroulée.

Chaque cylindre renferme en lui une fourmilière.

Dérangées par un coup de pioche dévastateur, les mandibules s’agrippent aux vaisseaux sanguins et les transportent dans le cristallin de ma rétine.

 

J’ai les pupilles d’un déraciné dont toutes les lignes courbent vers le bas, le regard planté au sol comme une équerre, les pensées en direction des rondeurs de l’autre monde…

 


4

 

  

Nous étions jeunes et sous l’ombre gigantesque de la pudeur j’ai percuté mon regard dans le virage de ses yeux.

Devenus aussi figés qu’une auge de plâtre oubliée au sommet du muret vivant des émotions (lequel retient encore à la verticale un fil à plomb pareil au cordon ombilical du nouveau-né), malgré nous et malgré le soleil, nous nous sommes rapprochés pour que nos regards forment une seule et même courbe.

 


5

 

 

Aujourd’hui, il pleut des segments et des diagonales venteuses. C’est une chance inespérée de pouvoir grimper là-haut pour y décrocher les vérités cachées de nos rêves en transit, les nuages dépravés au vent du souvenir ou les remords cerclés de dorures.

 Il pleut des cordes et je n’ai pas d’arc, seulement deux mains incapables de me hisser, deux pentagones flasques proposés sur un étal d’algèbre.

 Le septième ciel m’est refusé depuis si longtemps que j'habite des concavités spirituelles et me contente des courbes des oiseaux par la fenêtre.

 

 6 

 

 

Problème de poésie arithmétique (1)

 

 

Si votre courage était une corde à sauter :

 

-      Sa longueur vous permettrait-elle de sortir des labyrinthes inoxydables qui agitent chaque jour votre pensée antique ?

-      Au bout de combien de temps l’enrouleriez-vous autour de votre cou ? (Votre réponse sera au dixième de seconde près)

 

  

7

 

  

Mon dos était autrefois un pieu que l’on plantait en pleine terre pour y installer une corde à linge sur laquelle nous pouvions étendre les Euclidiennes de Guillevic et les souvenirs détrempés des averses du Cotentin.

Il est désormais une colline, une douceur sinusoïdale rassurante pour le géomètre, sur laquelle paissent des moutons comme autant de phylactères. Des enfants surgissent et leur sautent dessus.

 

Je m’endors l’âme verdoyante, replié sur moi comme des cercles concentriques qui disparaissent de la surface de l’eau.

 

 

8

  

 

Restreins tes rêves comme tu raccourcis la chaîne du chien, de façon à ce que leur circonférence ne dépasse pas celle d’un ballon de baudruche.

Enferme-les ensuite dans une boîte hermétique rectangulaire (type Tupperware) pour que rien ne puisse couler, même si tu renverses la tête en arrière.

Place l’ensemble dans le congélateur et attends.

Attends comme le braque guette son maître, le corps agité, le regard toujours en direction du salut.

Sors le bloc de tes rêves : si tu as été assez patient, il devrait être rempli d’éclats de nuit.

Réchauffe-le maintenant aux premiers rayons qui entrent par la fenêtre de ta cuisine.

 

Alors, il sera temps pour toi de t’assoupir.

 


9

 

 

 

Problème de poésie géométrique (1)

 

 

Vos rêves sont-ils des droites ou des segments ?

 

(Vous répondrez sur la feuille en veillant à terminer vos calculs

par une phrase de synthèse correctement rédigée)

 

10

 

 

A Gilles Deleuze

 

Sous l’éclatant soleil, je me suis aperçu que j’avais dans ma mémoire (que l’on peut comparer à un atelier d’origami en désordre) des plis vertigineux comme des falaises ainsi qu’une mappemonde usée, perdue dans un silo désaffecté qui contient encore quelques grains germés.

J’ai d’abord défait ces plis, comme un goéland étend ses ailes.

Du sable est tombé de chaque rainure fraichement apparue : les plis et la mappemonde ne formaient qu’une même feuille sur laquelle apparaissait mon nom, non en haut à gauche comme sur la copie de l’écolier, mais dans un encart rectangulaire à droite, montrant ainsi que j’en étais seulement le destinataire.

J’ai rangé avec précaution l’ensemble, comprenant que chaque pli vit indépendamment de l’autre, pareil à deux maisons mitoyennes dont les propriétaires ne se salueraient même pas.

Ma mémoire ploie sous les bourrasques baroques d’une existence aussi plate que l’épaisseur d’une tôle de fer.

 

Au loin, bien au-delà des images compréhensibles, derrière une fenêtre bientôt brisée, la silhouette de Deleuze s’amusant de ce poème.