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AUTEUR-E-S - Index 1

62 - Andreea Buse

Interview de l'artiste peintre Hugo Laruelle

Interview de l’artiste-peintre


 Hugo Laruelle


 


« Mon geste, qu’il soit artistique ou artisanal, dès que je sais où je vais, je ne me pose plus la question. »


 


 


La 23eme édition de la Nuit des Arts de Roubaix (du 2 au 4 décembre et du 10 au 11 décembre 2022) était l’occasion de découvrir plus de 300 artistes et artisans dans plusieurs lieux de la ville. Au milieu des ateliers poétiques de création textiles, visites guidées, échanges autour de la broderie, conférences et nombreux manifestations, William Morris, L’art dans tout (8 oct. 2022 – 8 janv.2023). Designer, écrivain, poète, peintre, architecte, fabricant, conférencier, dessinateur, traducteur, William Morris est le créateur du mouvement Arts & Crafts, militant de l’art dans toutes ses dimensions – littérature, artisanat, graphisme, architecture. Le Musée La Piscine expose une centaine de ses œuvres. 


Également, La Maison verte accueille jusqu’à 8 janvier 2023 l’exposition Petits points – Contrepoints à William Morris et présente les créations de Sardarian Artashes, Louise Aimard, Delphine Caraz, Ise Cellier, Catherine Derrier, Nathalie Fritsch, Hugo Laruelle, Aurélien Lapage, Kathrin Marchenko.   


De l’artisan à l’artiste il n’y a que quelques pas. Tout près de son atelier à la Maison verte, le Musée La Piscine ouvre les portes à l’univers surprenant de Hugo Laruelle, Le lac aux îles enchantées (8 oct. 2022 – 8 janv. 2023). On peut s’arrêter un peu dans la Caravane qu’on avait installée entre les deux places du créateur, sous le regard de Camille Claudel.  


Hugo Laruelle (né en 1973) nous invite au voyage hors du temps, une flânerie sensuelle au-delà de soi. 


A.B: L’exposition Le lac aux îles enchantées (d’après le titre du roman de William Morris) présente des portraits très vifs, mouvementés, frémissants. D’ailleurs, on pourrait y saisir la main comme un leitmotiv, comme la main du Démiurge. On dit que « l’artiste est avant tout une main »[1]. Quelle est votre rapport à la main ? 


H.L : C’est étonnant que tu l’aies observé. On ne l’observe pas souvent. Quelle est mon rapport à la main ? Tout d’abord, mes modèles sont mes rencontres au quotidien, pas de critères, des corps qui ne correspondent pas aux canons de beauté. A l’atelier je demande à mes modèles quelle est la partie du corps qu’on aime le plus chez soi, qu’on me le montre. Ils font des gestes avec la main en me montrant, que ce soit la poitrine ou les hanches, c’est une question d’élégance. Souvent l’élégance passe par la position de la main ou du pied. C’est la main qui parle du corps. Les modèles ne sont pas des modèles professionnels. On demande souvent : « Je fais quoi avec mes bras ? » Comment  faire parler leurs corps ? Quand le modèle n’est pas à l’aise, je lui dis : « Donne-moi ta main! » En tenant les petites insectes (photo 1) les gestes des mains deviennent plus élégantes, plus nobles.


J’ai organisé aussi une exposition érotique ou j’ai invité des couples pour les photographier. Je m’intéressais à comment ils dialoguaient, jouaient à travers les caresses, le jeu des mains (il montre les photographies). Là, par exemple, c’est un couple (photo 2). Tu vois comment la main se repose sur l’autre, ni trop forte, ni trop pressée, ils se connaissent. La main qui s’appuie, elle connaît le corps. C’était la main qui parlait. La peinture maniériste.


A.B: Je fais toujours attention dans vos œuvres à la main, à cette main qui apparaît de nulle part. Est-ce que cette main c’est vous ?


H.L : Est-ce que la main qui caresse est la mienne ? Peut-être. C’est une forme de projection de soi. Oscar Wilde disait qu’il n’y a pas de portrait, il n’y a que des autoportraits. Vous m’avez parlé du Démiurge. Je me souviens du célèbre tableau de Michel-Ange, La Création d'Adam, de la main du Dieu qui était forte, sûre, en train de toucher celle d’Adam qui était faible. Moi, j’ai une culture de peintre. On observe dans la peinture religieuse le jeu des mains et des pieds comme forme d’expression, on voit souvent le visage dans un état d’extase, mais le langage y passe par les mains et les pieds car le reste du corps est couvert.


A.B : Pour William Morris, son travail est l’incarnation de ses rêves sous une forme ou une autre, il s’est investi pleinement dans ses activités. Que représente votre travail pour vous ?


H.L : William Morris avait des rêves qu’on qualifia d'ambitions. Moi, je n’ai pas d’ambitions pour la société.


A.B : Pourtant, tout comme lui, vous réunissez les formes d’expression artistique. Vous êtes artiste-peintre, photographe, un romancier de l’image. Au cœur de votre œuvre se situe l’homme et ses émotions. Pourquoi ?


H.L : Un artiste doit être un lien avec le monde où il vit. J’essaie toujours de parler du monde. L’artiste est un observateur et un critique. Voilà, (la photo 3) on peut voir ici toutes sortes de fleurs, les unes inspirées des peintures, les autres réelles, les oiseaux, parfois des poissons. Où  l’on se trouve ? On est dans un jardin, on regarde le ciel ou on regarde le fond de l’eau ? Cela me parait artificiel, je n’aime pas. Je voudrais faire réfléchir les gens, on est réduit par les images. J’aime faire douter les spectateurs. Ici, ce sont les illusions.


A.B : On dirait la société actuelle, on est frappé par des images, des choses éblouissantes alors que la réalité n’est pas telle qu’on nous la présente.


H. L : Oui, c’est ça.


A.B : D’ailleurs, vous montrez qu’on est toujours les mêmes, malgré le temps. Vous vous inspirez de choses anciennes, pourtant vos modèles trahissent le présent.


H.L : Oui, c’est un décor hors du temps. (il sourit)


A.B : Frederico Garcia Llorca disait que la poésie et la peinture naissent de la même source. Quelle est cette source pour vous ?


H.L : Il y a des romans et des poésies qui m’inspirent particulièrement pour m’en nourrir. La littérature est un autre univers que le mien. Moi, je ne suis pas poète, je ne sais pas écrire, mais je m’exprime par les images.


A.B: Quelle est le rôle de l’atelier dans le processus de création ?


H.L : Depuis 2017 c’est la lumière qui m’a beaucoup plu. J’ai interrogé le lieu par son histoire, j’ai cherché à le meubler avec des meubles anciens du XIXème siècle. La lumière ici est différente en fonction de la saison. Je pourrais te dire quand et à quelle heure les photographies ont été prises en fonction de la lumière. 


La Maison est l’actrice de mon travail, elle est comme un ventre qui se transforme dans une forêt, les entrailles de la forêt, tu sais. Je dis aux modèles « Je t’emmène dans une forêt », là où les modèles sont en danger, ou on peut facilement se perdre.


A.B: On dirait le jardin d’Eden.


H.L : Oui, comme ça, il y a des tentations, la nudité. 


A.B: L’œuvre d’art est une manoeuvre, une œuvre de main. Pendant votre création, où commence l’artiste et où finit l’artisan ?


H.L : William Morris dit qu’une personne qui travaille dans une usine fait des gestes sans savoir qu’est-ce qu’elle fait. L’important est la conscience. Tu sais, je t’ai dit, cette artiste ne sait pas si elle est artiste ou artisan. Il n’y a pas des distinctions entre les deux, c’est un résultat intellectuel et physique. Je pose de la feuille d’or, c’est un geste artisanal mais derrière un instrument artistique. Mon geste, qu’il soit artistique ou artisanal, dès que je sais où je vais, je ne me pose plus la question.


A.B: Est-ce qu’il y a de telles conditions pour créer ?


H.L : Je suis quelqu’un de très équilibré dans ma vie, je suis heureux, je n’ai pas besoin de me couper l’oreille comme Van Gogh pour créer (rire). Il ne faut pas être contrarié. Peindre c’est une aventure, il faut être prêt à te laisser embarquer. Il est bien de se sentir bien physiquement aussi, d’avoir une disposition mentale. Créer est un exercice physique. J’aime bien peindre sur une journée, il y a des journées où je ne fais que de la peinture. Pour l’exposition du Musée La Piscine, j’ai travaillé 4 mois et demi, comme un marathon. Parfois, 2 modèles et je suis épuisé, j’ai mal au dos.


 


Andreea BUSE



[1] H. Parret, La main et la matière. Jalons d'une haptologie de l'œuvre d'art, Hermann, 2018.