Le dépôt
Séquences 2 - Bruno Giffard - Matthieu Lorin
Bruno Giffard
Quelques hommes détachent leurs mots qui s’enroulent avec les bouffées de cigarette sur une courte distance avant de succomber à l’infini – éclosion du seuil.
Le serment rose du talon des femmes sarcle une certitude finie d’asphalte.
Jours pareils à du bois mort jeté dans la gueule du poêle
La bouche dégage ses rêves
jets filandreux sur la page
Je lance
l’étoffe noire
des mots
rien qu’une présence
qui n’ose partir
de peur que le reste
s’écroule :
les poutres
avec le dialogue
notre bouche médite
ce goût d’impuissance
sur des tronçons
de parole
un appel à l’aide
signerait
le départ du souffle
Tu te mêles à l’encre courante
par irréfragable espoir
de courir enfin
la veine du paysage
tes seins
prennent des airs de fleurs
dans le désert
sur un fil idyllique
de cerf-volant
mon immensité claque
à la dérive de toi
mémoire affabulée
je me rafistole
Je m’accoude
l’horizon fixe aujourd’hui
juste au bord du vide
mes pensées
Compter les étoiles
endormir la mort
Le miroir regarde
mon inquiétude au teint impersonnel
Souvent au milieu d’un terrain vague
debout, l’air de rien
cherchant à toucher au ciel
la forme du nuage
J’apprends encore à lire le recul, alors que s’arme mon hurlement.
Défense hystérique de peindre le paysage des doigts,
par la pulpe s’y enfoncer.
Magnifique désolation – cette grisaille larmoyante d’automne. La subsistance du vert tourne au brouillard. Des variations crépusculaires s’inoculent sous une plaque d’espace. Les branches nagent à travers charges d’air, et leurs feuillages frissonnent jusque derrière ton front.
La tête repose dans une maladie qui rend invisible le lit des idées. Une ville enserre avec un savoir psychiatrique l’horizon au fond duquel elle se dépose. Constante patience de mire précipitée.
Reste aux yeux à divaguer une mer d’espace – avec des fleurs lumineuses qui passent devant un amphithéâtre de cendres figées. Ouvertures en variations grimaçantes.
Au bord du monde la silhouette des songes tremble, à faire le guet – un carré de trottoir tient lieu d’île. Noués au ventre par des départements de froideur, mes poings dans leur quiétude colérique tracent un embryon de prière. Je pense alors à tes lèvres – ailes sur les degrés thoraciques.
Tes yeux par le détail me déraillent le cœur.
Mais à ton visage, l’immunité du rayonnement.
La qualité douloureuse du plaisir m’arrête devant des valeurs d’avant le fer. Alors que ma foudre fouille tes lamentations, touche par les entrailles au nid électrique des assises rocheuses.
Matthieu Lorin
***
Découper la forêt, lui donner un arrière-goût de ferraille. Pieds boueux & nausée au-delà des flaques.
Scier, pour disparaître par l’encoche…
Tu es celui qui arrache, la bête traquée qui se souvient du crépuscule ou des saillies à la lueur de bières éventées.
Ton bras ratisse les déceptions. Et moi, au pied de l’arbre mort, à la recherche du souffle. La morve et la suée, un nouveau fracas en germe.
(du bûcheron et du jogger)
***
Tu démontes l’horizon, le mets en poche. Il y a déjà au fond forêts et souvenirs tranchants comme des silex.
Je sais désormais que mon avenir sera fait de tours, de boue et de dents contre. Mes rides glisseront sous de nouvelles fenêtres. On emporte le soleil, on cimente les insectes.
La colère finira bien par se coucher en chien de fusil, me dis-je…
(du promoteur immobilier et du riverain)
***
Cambouis et frottements, la roue dans le vide tourne comme la chance, un ralenti, ou une sauce.
La ferraille creuse corps et visage. Mes viscères peuvent être démontés, l’existence aussi. Retirez mes os tant qu’on y est pour que la peau me retombe dessus comme un drap,
ou une inquiétude verticale.
(du mécanicien)
***
Tes paumes revendiquent les fins de siècle, le plafond au fond de tes cernes : tous ces hommes qui se lèvent en toi semblent faire bien du dégât.
En face, cette envie de gueuler plus forte que le règlement. La loi qu’on plastifie. Grain de peau accroché au néon, mes couperoses ne peuvent plus se cacher. Paupières fendues & l’Histoire qui s’éclipse.
Saisir avant de tout remballer : la mort, les cahiers, ma gêne d’adolescent surtout.
(du professeur et de son élève)