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AUTEUR-E-S - Index 2

3- Clément Paulin

Quand tout bouge roule doux

(2)


 


Peut-être alors le panopticon nous rendra-t-il vraiment heureux et bons   (c’était quelquefois comme un doute qui le prenait)   Le bon sauvage tant fantasmé des philosophes  enfin debout ravi qui se déplace au cœur   de la citadelle interactive et propre


 


Prairies de miel au bout des ongles — une sensation d’euphorie connectée au pigment-lumen ;


des routes larges, entrelacs   doux aux véhicules autonomes   La réserve nous y déambulons en souriant glabres et apaisés d’une alvéole à l’autre   sous le regard maternel de la régie centrale   et chacun de nos gestes est parfait : tous nos comportements sont d’une belle sérénité sans peine ou remord


 


Disons des cartographies pour chaque humeur et des plans millimétrés à la conquête de tes songes — (On jouera sur tes nerfs des mélodies à quatre temps)    accords refrains pop   « et cueille un à un les fruits, bon sauvage »   (Ce sont les résultats des Hauts Vergers calibrés d’interactions)


 


Son désir était formulé dans le creux d’un calcul — et maintenant chacun de nos gestes est parfait : tous nos comportements sont d’une sage mesure sans douleur ni passion



(3)


 


Elle s’érigeait verticale et sauvage   dressée comme un volcan d’acier — pierres et places profondes   criblées de trajectoires hâtives


 


Animaux assoupis les monuments stoïques surveillent   l’étendue des bosquets vitreux flanqués de rives solides  franchissant des parcelles sous l’œil mort des hublots — On aménage ici, vois-tu   l’almanach des bâtisses avec avant-gardisme   le chantier bouge


pour qu’y saille mieux la vitesse   la ville pue souvent   malgré son cubisme orgueilleux


 


Les gens commercent   dans des vallons de bitumes bleus   qui se déplacent   On aménage, tu sais   l’on creuse — coupe scinde réunit   les ruines ravaudées — tunnels et seuils   des quartiers se transforment


 


Confins et configurations   elle s’érigeait, vois-tu, verticale et sauvage   pareille à une forteresse agitée — Un large origami de bronze, scindé d’axes   où transitaient les centuries nomades…


 



(4)


 


Automation des mouvements — masses aux aguets dans le dédale   synchrones dans l’attente


d’un devenir indiscernable   (mais l’instant qui nous maintient   dans son étreinte   fait fi de toute projection)


 


— reste   que reste ?   quoi reste ?


 


L’allant-vers, mais sans havre   l’errant dans l’errance insatiable — (flux et reflux se nouent encore  Ô berceau des turpitudes… nodalité de coercition !)   Nous nous mettons à rechercher nos sensations   comme un courant perdu en quête de ses rives


 


Et moi aussi, pensais-je alors   j’aurais vécu dans ce présent optimal — sur les berges désertées   à la recherche de l’alètheia   (la cendre des étoiles vaquant   dans le vin étourdissant   de l’au-delà)


 


Et c’étaient ces mêmes cargos pleins   ce même trafic   des esplanades alambiquées   où la foule ignorait la foule   où le destin vous serrait la poigne   un billet à la main.


 



(5)


 


Les poumons pleins des phéromones   du grand archipel entropique — où d’ilot en ilot immédiat nous commentons   les effluves réactifs   J’aboie ma lunaison   dans le cercle des hommes  Je renifle les mégots du sacré   tombés sur le trottoir —


 


Tout bouge roule doux sous le chiffre d’or   (et ma solitude est la plus pure   quand vous vous approchez de moi)


 


Dernier venu de l’Occident hollywood-caniveau : vacarme   épaves idoles trônes, et des nuées   dans la nuit auréolée d’argent et d’ennui


 


Castes mêlées dans le ventre urbain   en quête de signaux lumineux — ce sont d’inénarrables points de fuite   délimités par un demi point de croissance —


 


       *


 


Persistance rétinienne    impression de déjà-vu   (Une vague lueur bleue   diluée dans l’atmosphère)   Et tu me disais ce soir-là :   « un jour ils sauront   ce qu’ils voient   ils verront    ce qu’ils sentent — Ils sentiront ce qu’ils savent… »


 


(À mi chemin de la vie   à mi chemin du sommeil   monte en moi le souvenir   comme monte le soleil)


 


Et tu me disais ce soir-là : « combien furent-ils   sourds au tocsin de la discorde   à monnayer leurs dernières années ? »


 


Quand tout bouge roule doux sous le chiffre d’or   (il y a comme un bruit de fond analogique


au bout d’une chambre d’écho noire)


 


Tu me disais :   « je tente en vain de dormir   en regardant le plafond — la pluie frappe


à ma fenêtre éclaboussée de néons. »