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MUSÉE À SOI - CULTURES

Anthropologie

On a vu des poèmes changer le cours d'une existence

(Matthieu Lorin)



Anthropologie politique

Chefs sans pouvoir


Par Jean-Michel Maubert, rédacteur de La Page Blanche




Chefs sans pouvoir qu'a étudié l’ethnologue Pierre Clastres dans son livre “La société contre l’État”. Dans ce texte, il montre que certains peuples d’Amérique centrale comme les Guyakis par ex., faisaient tout pour empêcher la constitution d’un pouvoir séparé du corps social. Autrement dit, on empêche la société de se diviser en gouvernants et gouvernés. Toutes les décisions sont prises collectivement. Si on donne le pouvoir à quelqu’un de diriger des guerriers car c’est un bon stratège en temps de guerre, on lui retire son pouvoir dès que le conflit est terminé. De même, dans ces tribus, il y a une sorte de chef (un ancien) qui vient voir chaque famille une fois qu’une décision a été prise collectivement pour annoncer à celle-ci la décision qu’ils connaissent déjà, et les gens jouent le jeu comme s’ils l’apprenait de la bouche de cet ancien. C’est une mise en scène de la parole, qui est là pour montrer symboliquement qu’une décision a été prise (comme lorsqu’on fait une cérémonie pour officialiser quelque chose), mais ce qui est remarquable c’est que ces chefs sont sans pouvoir, leur rôle est essentiellement symbolique (ils mettent en forme ce que pense le collectif).


.La référence à Clastres est aussi à prendre avec un certain recul. Il y a un beau livre collectif sur son travail, "L'esprit des lois sauvages", où on retrouve des papiers de Claude Lefort, M. Gauchet, Marc Richir, Miguel Abensour. Les sociétés qu'il décrit empêchent ce que Claude Lefort appelle "la division sociale" (dans son grand livre "Machiavel, le travail de l'oeuvre") de se constituer et de proliférer –– en gros, la division gouvernants/ gouvernés, qui est le germe de l’État, et fait entrer les sociétés dans une temporalité de type historico-politique (la femme de Clastres, poursuivant le travail de son mari, mort trop jeune, accidentellement, étudiera le rôle des chamans-prophètes comme lieu de constitution d'un pouvoir se séparant du corps social). Dans "Le désenchantement du monde", M. Gauchet montrera que les sociétés que décrit Clastres (ou Robert Lowie, pour les amérindiens de l'Amérique du Nord) sont les véritables sociétés religieuses, celles pour qui tout est sacré, car la vie sociale toute entière est accrochée par le fil des généalogies au temps immémorial des ancêtres fondateurs, créateurs de toutes choses (la nature/les êtres matériels, les esprits, les sociétés animales et humaines, etc.). Lévi-Stauss dans "Tristes tropiques" (l'un des plus grand livres du XXeme siècle –– le chap. 38 est un des textes les plus profonds que j'ai jamais lu concernant les relations entre les cultures) rapporte une phrase qu'il a entendu dans toute l'Amazonie amérindienne : "Les ancêtres nous l'ont appris". Ces ancêtres ne sont pas humains, ils sont hors du temps des présents-vivants, on ne sait d'eux que ce qu'en disent les mythes. On justifie tout ce que l'on fait en se référant à eux (voir dans "Tristes Tropiques" les pages sur la structure du village des Bororos - et comment, comprenant cela, les missionnaires ont christianisé ces sociétés en s'attaquant à l'architecture des villages, incarnation même du leg des ancêtres). Ce sont des sociétés traditionnelles au sens littéral. Clastres (qui fut élève de Lévi-Stauss) montre que l'écriture de la loi des ancêtres se fait à même le corps –– c'est pourquoi on marque le corps des jeunes hommes (scarifications, tatouages, percing) lors des épreuves et cérémonies marquant les passage à l'âge adulte. Pas moyen de se détacher de cette loi sacrée. Il est intéressant de noter que (suite à un très long processus) l'écriture est transférée sur un support extérieur (une mémoire artificielle) quand émergent dans l'histoire humaine les formes étatiques. La forme-État se détachera peu à peu (dans la très longue durée) de sa structure théologico-politique (dans la Grèce du haut-archaïsme on avait encore des figures nouant le théologique et le politique au sein d'une figure royale). On peut voir l'histoire d'un certain nombre de sociétés (dont les nôtres) comme un processus de différenciation des différentes dimensions constituant l'existence sociale humaine : à l'époque moderne, religieux et politique se séparent, puis la société civile se distingue de l'État [chez Foucault c'est le passage des sociétés de souveraineté, où le roi ("l'État c'est moi", comme disait louis XIV) a pouvoir de vie et de mort sur ses sujets, aux sociétés disciplinaires, dont le but est de "gérer le vie", c'est l'émergence de la biopolitique, de la clinique moderne, des sciences de l'homme, etc., bref tout ce que Michel Foucault a exploré dans son œuvre], puis l'économique se sépare du politique et s'autonomise avec les révolutions industrielles, etc. Gauchet, dans la suite de Lefort, interprète les phénomènes totalitaires comme des tentatives –– impossibles dans des sociétés aussi différenciés que les nôtres, dans lesquelles le principe d'égalité a recomposé en profondeur toute l'anthropologie sociale [sur ce point le travail de Marcel Gauchet est fondamental pour comprendre l'anthropologie de l'homme démocratique, l'émergence de la clinique psychiatrique, le "soi" de l'individu de l'ère démocratique n'étant pas celui de l'homme de l'ère religieuse] –– de refaçonner une société homogène, ce qui ne peut passer que par la Terreur politique (ce que décrit parfaitement Hannah Arendt dans "Le système totalitaire", et dans sa suite Claude Lefort). Une chose intéressante à noter est que –– en fonction du cadre théorique exposé plus haut –– les monothéismes sont des formes de "sortie politique de la religion". Cela ne veut pas dire donc que la religion disparaît, mais qu'elle change de statut, on la pense en terme de "croyance", ce qui est le symptôme du fait qu'elle n'est plus qu'une dimension parmi d'autres du social, et non la matrice de tout l'être-social –– ces processus sont très longs car l'humanité a été religieuse depuis la plus haute préhistoire ; l'entrée dans l'âge démocratique est très récente –– la démocratie n'est pas seulement un régime politique, mais une façon d'être-au-monde, comme l'avait bien vu Tocqueville ; on est entré peu à peu dans ce que Castoriadis appelle "le projet d'autonomie, qui met fin aux formes politiques basées sur une transcendance religieuse. L'un des corollaires de cette immense transformation c'est que, comme dit Claude Lefort, le lieu symbolique du pouvoir est vide. Pour le dire simplement (c'est une des choses qu'a montré Rousseau dans "Du contrat social"), on consent dans un monde démocratique à obéir à une Loi et non pas à un Roi (incarnant l'autorité dans son corps –– voir Kantorowicz et la théorie des deux corps du Roi). La loi, c'est personne et tout le monde. Il n'y a plus de légitimité absolue. Elle doit émerger du corps social, pas l'inverse. C'est pourquoi la notion de hiérarchie change totalement de sens ; le pouvoir est une fonction définie par la Loi (la Constitution) octroyée pour un temps limité à un individu en fonction de ses compétences supposées –– et rien d'autre. Les anarchistes ont raison sur ce point. Ils ont bien compris qu'aucun pouvoir n'était légitime (à l'âge démocratique légitime veut dire : conforme au principe de justice, c-à-d aux principes d'égalité/liberté, totalement indissociables, l'un garantissant l'autre). Mais comme dit Frédéric Lordon (qui réfléchit à partir du concept de "multitude libre" de Spinoza), il n'est pas sûr qu'un collectif puisse ne pas reconstituer une forme d'auto-transcendance pour pouvoir s'auto-gouverner (d'où certaines réflexions intéressantes aujourd'hui sur l'idée d'une sixième république). Mais encore une fois, on n'est plus dans les figures archaïques et obsolètes de la souveraineté royale, ou du "chef" dont le pouvoir vient des dieux ou de Dieu, ou d'une quelconque surhumanité ancrée dans une généalogie qui se perd dans la nuit des temps [pour réfléchir sur ces questions il est intéressant de lire Pierre Legendre, même si c'est un gros réac. Son anthropologie des formes juridiques, de la question généalogique, du statut des images, est très nourrissante]. 


Cela fait assez longtemps que je réfléchis sur les questions d'anthropologie politique.

J'ai écouté il y a peu une mise au point intéressante sur une formule du grand Max Weber, utilisée de façon insupportable par des figures politiques profondément réactionnaires et antidémocratiques : 

https://www.youtube.com/watch?v=rlnCkL1D9Bk&t=173s






"structure des mythes"


https://fr.m.wikipedia.org/wiki/La_Structure_des_mythes



"formule canonique du mythe"


https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Formule_canonique_du_mythe