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AUTEUR-E-S - Index 1

41 - Patrice Parthenay

Maman

Mon cher ami le Père Gilles Drouin a évoqué la vie de ma maman en lecture.

On n'a reçu qu'une maman et elle n'a à vivre, avec ses proches et amis, qu'un seul enterrement. Ce fut une belle messe.



Quelques mots sur Hélène, ma mère 



Formidable ou Extraordinaire sont des mots souvent revenus parmi ceux qui ont connu ma mère dans une certaine intimité. Maman choisissait ses expertes (ou ses experts) merveilleusement, mais, discrète, elle ne se confiait qu'à Axelle, son Osthéopathe admirable, ou Annie, sa très fameuse et vigoureuse « Réflexologue » ou Ly Ly, sa sage et très compétente coiffeuse, malgré une mèche irrésistiblement rebelle de cheveux raides, pires que ceux de Thierry feu mon frère.


maman


Thierry et moi


Il est bien évidemment singulier d'avoir une mère remarquable et, dans le même temps, réservée, sobre, modeste, peu expansive dans la démonstration.



Très sincèrement, je crois cependant ces adjectifs justes et je me permets de vous écrire ceci dans la peine, sans parvenir à la faire quelque peu évaporer.




Peut-on être objectif, à l'évidence, à évoquer le souvenir de Hélène, maman, à parler de sa mère, surtout si chérie.


Toutefois, elle me semble bien avoir montré par son très sage sens des responsabilités ce côté extraordinaire, formidable et non pas seulement par sa vie raisonnable et réussie avec une forte bienveillance, sans nulle recherche avide de pouvoir, d'argent ou d'honneurs.


Hélène est née le 5 avril 1931 dans une famille ouvrière à Champigny sur Marne (en « Ceinture rouge » : Charles, mon grand-père, son mentor, était, solidement fiable humainement, un fort adroit travailleur menuisier, employé plus qu'artisan (l'époque marquant peu la différence). 

Pépé était aussi jardinier émérite et éleveur de poules et de lapins, tueur de rats (voleurs d'œufs), tout pour nourrir en responsabilité sa famille.


Pépé, Mémé, Papa, mon cousin Bernard et moi.


Thierry avec ses cheveux


Ma mémé était sa chère épouse généreuse (mais jalouse) : Marie, ma mémé alsacienne (cardiaque), et leurs trois enfants :


- Ma tante Alice, merveille inoxydable à tendance organisatrice de cheffe, jusqu'à ses bientôt 98 ans,

- Ma maman, décédée le 12 juillet, à 92 ans et

- Charles, mon oncle et parrain très aimé, décédé du cœur à 72 ans et suivi de peu par ma chère tante Liliane, inconsolable.



Maman a toujours beaucoup travaillé : aide comptable dans des messageries maritimes auprès de tonton Etienne, à vivre avec lui et ma tante Alice à Marseille, puis, revenue a Paris, facturière en semaine au CCOM dans la vente en gros d’outillages pour la reconstruction nationale de la Libération et vendeuse en pâtisserie-boulangerie le week-end. 


Gérard, mon père, si gentil, même aisément ronchonneur, Gégé si bonhomme engageant en relations authentiquement aimables, quoique bien masculin, avec son intelligence secrète, a réussi à l'épouser !


Il voulait une vie simple, agréable et modeste.

Maman fondait davantage d'ambitions. Elle les bien reporta sur ses fils. 


Papa courtisait Maman qui hésitait, mais, pour la Saint-Valentin de 1959, il lui offrit des cadeaux somptueux. Notamment, ils comportaient un billet pour l'Opéra, avec Carmen. Hélène pressentait le côté désireux chez Gérard d'une vie sans histoire. Elle envisageait ainsi de rompre. Face aux cadeaux, cependant, elle n'avait rien sous la main. Elle annonça donc, en toute loyauté, par compensation. qu'elle allait le présenter à ses parents. Papa avait gagné ! Ils se marièrent en 1960. Je suis né le 28 avril 1961 (neuf mois au jour près après le voyage de noces mouvementé, (Maman dut pousser la voiture en panne d'essence) ; je naquis (malgré moi, avec les fers) de ce moment fatal d'une maman qui, jamais, ne fut femme fatale. Ma maman, loin de Carmen ou de Hélène la Troyenne, aimait jusqu'à la perfection ses multiples devoirs et ses menus bonheurs, sans recherche d'emportants puissants plaisirs.




(Photo du voyage de noces : une merveille, malgré une panne d’essence avec Maman jusqu’à devoir pousser la voiture ; Papa détestait la voir conduire : une affaire d’homme ; la nuit de noces, également, avait été mémorable : en pleine nuit, Papa et Maman ne retrouvaient plus l’auberge, (surtout Papa).


Maman aimait à travailler. J'ai pu ainsi quelques années bénéficier, en plus de mes grands-parents adorés et adorants, après ma nourrice : « Maman Mone » (Simone) qu’il fallait distinguer de Maman Toucour (Tout court = ma vraie mère) d'une nounou merveilleuse : ma Mamy, âgée, avec son blanc chien Milou, mon « petit flèle » (jeune enfant, je ne prononçais pas les R).


Mamy et moi 


Mam et moi

moi


Ensuite, pas longtemps en parallèle, j'eus Thierry, un petit frère ; aussitôt, je détestais l'aimer ou devoir l'aimer : sa naissance survint avec 15 jours d'anticipation, lui pressé de vivre. C'était, prématuré, un dimanche un jour de festin gourmand somptueux, par moi attendu depuis longtemps et encore aujourd'hui mémorable, chez nos amis les Rodde, les ex-employeurs pâtissiers.


Pour une fois, je piquai une crise inédite et, dans l'émoi avec l'affolement général, ça réussit ! Seul de ma famille, donc, à eux confiés, j'eus droit au déjeuner inouï !! 


J'étais très très sagement méritant (né 9 mois au jour près après un soir du voyage de noces) : pourquoi se détournait-on de moi ? Puis, à 4 ans, je fus surresponsabilisé : ma mère exigea, elle me demanda avec solennité de m'occuper de lui !?! Peu après, je quittais ma Mamy (et Milou). J'avais aperçu depuis sa fenêtre que l'institutrice donnait la fessée à un enfant. J'obtins d'être quasiment dispensé de la maternelle.


Une fois Thierry né, quelques temps, Maman n'a plus travaillé pour s'investir dans l'éducation de mon frère et de moi. Elle m'a ainsi entièrement appris à lire, par crainte de la méthode globale : j'étais un enfant dyslexique (et mal latéralisé). Je sautai donc une classe : arrivé à l'école Saint-Marcel, je savais parfaitement lire.


Elle, omnisciente, omniprésente, omnipotente, anticipait tout, toujours ou presque et elle voulait une bonne retraite ; donc, « elle faisait des ménages » (déclarés) chez une sympathique et honnête voisine institutrice, en charge d'un homme charmant et de trois enfants.


Puis, Maman voulut reprendre le travail et, alors, le mari de la crémière : M. Follet, le nourrisseur de crocodiles, sut la recommander. Il la fit entrer au jardin des plantes. La fonction publique, désertée à l'époque, allait lui permettre de rester près de son domicile et de ses enfants et d'exprimer professionnellement, de puissants talents.


Hélène Parthenay devenait la secrétaire du professeur Charles Sadron, titulaire de la chaire de Biophysique, grand résistant (employé dans la base nazie des V2 du Pas de Calais vers l'Angleterre, il les sabotait très finement) et à la tête de multiples structures de recherche ou universitaires entre Orléans et Strasbourg (sans T.G.V.). Le grand professeur très souvent absent, elle s'ennuyait et, à plusieurs reprises, elle faillit démissionner.


Unique employée du professeur Sadron, après qu'il eut pris sa retraite, survint Claude Hélène, le nouveau professeur. Il l'a bien bien davantage sollicitée.

Lorsque maman a pris elle-même sa retraite, près de 20 après, maman était toujours sa secrétaire, avec sa collègue et amie Catherine, mais plus que de direction, quasi secrétaire générale, et le laboratoire comptait près de 50 chercheurs, thésards ou collaborateurs. Maman bâtissait, suivait, gérait et jonglait avec de multiples et très différents budgets : Inserm, CNRS et Muséum avec des projets et des programmes venus de partout, sur des appels d'offres parfois compliqués. Pour des machines, elle passait les commandes de produits et de matériels et elle dactylographiait sans cesse courriers, articles ou même des thèses, par goût gracieux de rendre service. Parfois, elle travaillait 50 heures par semaine ou plus, mais toujours, par refus de se syndiquer, munie du plus petit grade d'une fonction publique très pauvre : le Muséum, en annexe longtemps déshéritée de l'Éducation Nationale. 


Son patron le professeur Claude Hélène savait réfléchir, y compris dans l'inédit, manager, reconnaître les talents dans l'équité et, à dormir fort peu, il travaillait sans cesse. En particulier grâce au fidèle soutien discret d'Hélène Parthenay, Claude Hélène devint membre de l'académie des Sciences et également directeur scientifique mondial pour Rhône-Poulenc (où travaillait mon père) plus tard Sanofi. Claude Hélène, homme de mérites puissants et de vastes réussites, hélas, mourut encore jeune d'un cancer insoupçonné, fléau sur lequel il engageait des recherches.



Par ailleurs, Maman se montrait très bonne ménagère (pour un homme et deux garçons, avec lavage et repassage parfaits de vêtements aux odeurs délicieuses), fameuse cuisinière avec l'Alsace = Cocagne comme fréquente thématique, et la diététique, en connaissance, avec la main verte pour gérer son jardin dans notre petite maison de campagne en Puisaye (Yonne), adroite bricoleuse, couturière émérite (mais j’attendais mon pull blanc en cachemire mité et l’attendrai toujours), fort douée avec toutes sortes d'animaux (pour plumer les poules et les oies, mais surtout avec Minette notre chatte campagnarde, qui, en Puisaye, nous ré-adoptait à chaque vacances, avec Pupuce - d'abord Titus - notre cochonne d'inde, avant ma merveille de chat blond vénitien persan Gyksès des Persaïdes qu'à former aux quatre coins de France, je ne pouvais plus garder).


Excellente praticienne en homéopathie et magnétiseuse extrêmement douée, Maman trouvait ses capacités en baisse et, pour soigner Thierry, styliste, elle prit sa retraite. 


Mon frère était poursuivi de très près par la guigne. Le plus souvent, la déveine le rattrapait. La tartine, pour lui, presque toujours, tombait beurrée et confiturée du mauvais côté. Stagiaire ou employé chez Balmain et Lanvin, il ratait constamment les bonnes opportunités et grands postes, parfois de peu. Pour le professionnellement finir, chez un sous-traitant d'accessoires pour la haute couture, son licenciement intervint : il pouvait moins travailler pour les salons ses soixante heures par semaine, avec, de nuit, cafés, alcool et cigarettes. Parfois absent, car malade du Sida qui l'emporta, on le vira. Thierry n'avait pas 30 ans. Son décès causa, dans le non-dit, dans la vie de ma mère, celle de mon père et aussi dans ma vie, divers ras de marée affectifs et pour moi, professionnels.



Hélène, ma Maman, survécut presque 12 ans à Gérard, mon très brave homme de papa, souffrant terriblement et parti d'un cancer généralisé. Il fut fatalement et in extremis décelé sur la table juste avant une opération, jamais réalisée. 


Maman, exigeante, mais charmante et tellement bienveillante, est décédée. 

Il y a cette perte abrupte et immense. 

Le temps, peut être un peu l'adoucira. 

Son absence, je le sais, m'est cruellement inguérissable.




A bientôt ! Patrice