La
page
blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index 2

41- Frédéric Bertrand

Bureau

LE HURLEMENT DES CHIENS DE SANG 


Tout avait commencé par une nuit froide de janvier à faire trembler les pierres. Quelque chose a gratté après le bois usé de ma porte.

Machinalement j'ai ouvert. Il s'est mis directement le dos à ma cheminée. Drôle d'époque où les gens abandonnent tout. Les chiens, les chats, les serpents et parfois même les rêves d'enfants. Cette fois ci c'était un mot que je venais de recueillir. Il n'était pas pucé.

Pas même un nom à lui donner. Ses yeux noirs me disaient bien quelque chose, mais rien de précis, sinon un malaise mêlé d'attirance indéfinissable. La première nuit, le mot se contenta de se réchauffer auprès de mon feu de frêne, avant de disparaître comme un agile fantôme. Le lendemain et les jours qui suivirent, les yeux noirs revinrent. D'abord furtivement, peu à peu toute la journée.

Puis ils ne me quittèrent plus, allant jusqu'à manger mes nuits. Sans le connaître j'avais nourri ce mot.

Il avait grandi. Jusqu'à faire partie de moi.

Les yeux noirs m'avaient apprivoisé et maintenant j'appartenais à la horde des chiens maudits. Il y a eu les nuits de violence noyées dans des alcools d'assassins.

Cet orage permanent qui mangeait la plus petite parcelle d'âme.

Le regard triste des amis déçus qui se détournaient, remplacé par celui, hagard, des seigneurs vomisseurs de comptoirs.

Les soirées gyrophares. Un coup les pompiers, un coup les flics. Souvent les deux. Le remord à ignorer le lendemain. Pour mieux recommencer en pire. Les années passèrent comme des journées avant que je ne trouve un nom pour mon mot.

Je l'ai amené au bois.

Nous avons fendu des bûches noueuses à souhait si tard que la fatigue baillait. Quand ce n'était pas assez, mon corps poussait de la fonte jusqu'à faire taire le tonnerre rouge.

Puis il y a eu ces gens qui vous font grandir d'un seul sourire, d'un seul poème. Les anges blancs ont apaisé les hurlements des chiens de sang. Un beau jour, Colère avait disparu.

Pas à jamais. Elle revient parfois.

Je la prends brièvement dans mes bras, juste le temps de la réchauffer. Puis j'en fais un poème avant de la relâcher. Donnez-moi votre colère, j'en ferai quelque chose de bien. Lâchez sur moi votre haine.

J'en ferai quelque chose de grand.