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Simples poèmes

Simple poème 3 - Rémi Letourneur - Frédéric Bertrand - David Rolland

Halte



Les lueurs oxydées du premier matin glissent sur le dos du hangar, d’un gris d’étain. Porte éventrée, fragments de tôles en rides, nos pas s’allongent au sol sans sol d’un souvenir que le temps a couvert de poils longs - des pieds jusqu’à la tête. Tu me demandes ce qu’il faut faire

ici, toi que les secondes poussent aux semelles, car il n’y a rien dis-tu. Et moi, je pose mon oreille à l’une de ces parois - visage échelonné d’une fissure en couleur - qui lance, relance et renvoie l’écho d’une image étrangère, et qu’aucun vide jamais ne recouvre. Qu’aucun vide

jamais ne recouvre. Je dis qu’il faut reconstituer, mais tu me presses et j’avance, puisque toujours, c’est ainsi, l’horizon nous déroule.

Aux recoins du hangar, les bâillements du ciel - passant aux filtres de fenêtres ciselées - projettent tubes et machines d’un regard perle et rouille. Ossatures sans noms, cadavres - ou reliques pour cette image que l’écho réanime en vain -, pantins sans articulations qui flottent

plat, contre le bitume et les carreaux débraillés : quel est ce parfum que je vois fuiter de vos pores de métal ? Tu te demandes aussi quelle est cette odeur, toi qui jamais ne prêtes le nez aux gestes des minutes. Et moi, je te réponds que les années compactes suintent aux choses

qui tiennent debout. Tu avances, je te suis, puisque toujours, c’est ainsi, l’horizon nous déroule.

Déambulons par les artères calcinées du hangar, jusqu’à la bassine vide - cœur en attente - où la flaque des jours et des nuits qui ne se perdent nulle part, résonne chaque seconde sous le coup net et sans bavure d’une goutte de toit. Résonne chaque seconde en écho d’une goutte

de toit. Il me dit tu vois qu’il ne reste plus rien, traversons le hangar et reprenons la route.

Mais moi, sous les jets céladon qui s’enroulent - comme une couronne - au-dessus du grand toit, qui ricochent sans heurts sur les vitres fendues, atterrissent sans bruit au bitume écaillé… Mais moi, je vois les murs, les piliers, les monceaux de fer gris, tout ce qui est suspendu, tout

ce qui est abîmé… Je les vois toutes ces choses s’effilocher en images aux ailes vives : Mains en couleur et lèvres inclinées, chant de tapis, cylindre en poudre et fumée claire, pluie d’automne et soleil bas d’hiver… Toutes ces images qu’il faut prendre, qu’il faut assembler et

qui s’envolent… Toutes ces images qui s’envolent ont laissé le hangar à nu.

Il voit bien que je vois mais ne voit rien, avance. Dans mon dos, la résonance frénétique se

mêle au silence du matin, doucement. S’éteint. Tout au bout du hangar, l’embrasure du portail s’est coiffée d’une tignasse de lierre. Lumière touffue et brise à portée courte, nous sortons lui et moi d’un pas de plume. D’un pas lesté d’images. Le soleil incline sa tête de pastel, mesure

à mon corps l’étendue des secondes dont je viens de maigrir. Je le regarde, tu me demandes ce qui m’a pris. Et moi, je réponds que j’aime les pièces reculées du monde. Les pièces où l’épaisseur de l’espace colle au regard comme une larme sèche.

Que j’aime ces pièces, où nous ne sommes qu’une halte.


Rémi Letourneur



LE HURLEMENT DES CHIENS DE SANG 


Tout avait commencé par une nuit froide de janvier à faire trembler les pierres. Quelque chose a gratté après le bois usé de ma porte.

Machinalement j'ai ouvert. Il s'est mis directement le dos à ma cheminée. Drôle d'époque où les gens abandonnent tout. Les chiens, les chats, les serpents et parfois même les rêves d'enfants. Cette fois ci c'était un mot que je venais de recueillir. Il n'était pas pucé.

Pas même un nom à lui donner. Ses yeux noirs me disaient bien quelque chose, mais rien de précis, sinon un malaise mêlé d'attirance indéfinissable. La première nuit, le mot se contenta de se réchauffer auprès de mon feu de frêne, avant de disparaître comme un agile fantôme. Le lendemain et les jours qui suivirent, les yeux noirs revinrent. D'abord furtivement, peu à peu toute la journée.

Puis ils ne me quittèrent plus, allant jusqu'à manger mes nuits. Sans le connaître j'avais nourri ce mot.

Il avait grandi. Jusqu'à faire partie de moi.

Les yeux noirs m'avaient apprivoisé et maintenant j'appartenais à la horde des chiens maudits. Il y a eu les nuits de violence noyées dans des alcools d'assassins.

Cet orage permanent qui mangeait la plus petite parcelle d'âme.

Le regard triste des amis déçus qui se détournaient, remplacé par celui, hagard, des seigneurs vomisseurs de comptoirs.

Les soirées gyrophares. Un coup les pompiers, un coup les flics. Souvent les deux. Le remord à ignorer le lendemain. Pour mieux recommencer en pire. Les années passèrent comme des journées avant que je ne trouve un nom pour mon mot.

Je l'ai amené au bois.

Nous avons fendu des bûches noueuses à souhait si tard que la fatigue baillait. Quand ce n'était pas assez, mon corps poussait de la fonte jusqu'à faire taire le tonnerre rouge.

Puis il y a eu ces gens qui vous font grandir d'un seul sourire, d'un seul poème. Les anges blancs ont apaisé les hurlements des chiens de sang. Un beau jour, Colère avait disparu.

Pas à jamais. Elle revient parfois.

Je la prends brièvement dans mes bras, juste le temps de la réchauffer. Puis j'en fais un poème avant de la relâcher. Donnez-moi votre colère, j'en ferai quelque chose de bien. Lâchez sur moi votre haine.

J'en ferai quelque chose de grand. 


Frédéric Bertrand



David Rolland


Aucune brutalité No brutalitad


Aucune forme de brutalité

C'est la Parole, sa consigne, un ordre

Les relations, ne pas rompre hors respect


Aucune forme de brutal désordre

Les êtres vivants, jamais de violence,

Physique psychologique verbale


Aucune forme d'inintelligence

L'erreur, non cultivé et non brutale,

Reste appréciée à sa juste valeur

No brutalitad, chaque chance à l’heure


David Rolland

source Youtube

https://youtu.be/B-wmhldY9h8?si=m2gU9Q2iiVv-4H1h