La
page
blanche

Le dépôt

Notes

Notes 5 - Jérôme Fortin : Trouble identitaire - jéeôme Fortin : LGBTQIA2S+

NB Notes et notules de lpb


les notes de la revue lpb ont en général le format de la note ci-dessous. Les notules sont, comme leur nom l'indique, des notes de petite taille, elles déclenchent une lumière à leur passage qui éclaire la page noire -

noire parce que dans l'ombre de la page blanche, en attendant que Matthieu Lorin les remarque et les publie sur la page blanche. Les auteurs invités au dépôt ont un libre accès aux notes et notules de la page noire et peuvent y laisser leurs mots en me prévenant ou en prévenant Matthieu Lorin.

Tous les sujets, pas seulement les sujets de critique littéraire, peuvent être abordés dans la partie critique de la revue lpb.


exemples de notules : https://lapageblanche.com/le-depot/page-noire/notules-1/notules-5-david-spailier-isabelle-h


Pierre Lamarque



TROUBLE IDENTITAIRE

 

  Pascal se plaisait à décrire l’homme comme un fragile roseau qu’une goutte d’eau un peu trop obèse, ou en tout cas bien localisée, pouvait écraser. Au-delà des considérations purement balistiques de cet intéressant propos, ce frêle herbacé, développait encore Pascal, restera toujours, quoiqu’il advienne, plus noble que l’univers ou la société qui l’aura écrasé. Car il pense ce roseau ; enfin si on admet que le verbe penser désigne, dans ce bavardage de temps pluvieux, autre chose qu’une juxtaposition mécanique de signaux sonores entendus à la télé ou au PMU — ou encore, pour les plus brillants d’entre nous, lus dans des livres ou des journaux à vocation progressiste. Car celui qui pense vraiment crée, devrait créer, son propre alliage de pensées, comme le poète authentique crée son propre alliage de mots à partir de ceux qu’il retrouve aux chiottes en feuilletant, par exemple, le Paris Match ou le Bulletin des Agriculteurs. Tout comme chacun synthétise ses protéines singulières à partir des acides aminés qu’il croque, le penseur authentique synthétise des pensées propres à partir des bribes d’information polluant son atmosphère cognitive. Le penseur authentique est donc, par définition, un libre penseur, terme qui tend à devenir une étiquette infâmante, une étiquette qu’on associe volontiers aux épouvantails du moment que sont par exemple l’extrême-droite et le complotisme (pensons au terme Querdenker utilisé en Allemagne durant la crise sanitaire). Cela dit, le penseur authentique n’est pas nécessairement un bon penseur. Il peut même être un parfait imbécile ou un fou incohérent. Mais un esprit libéré sera toujours préférable à un esprit programmé, aussi brillant soit-il ; d’où, je pense, par épuration de ce qui précède, en déduire l’abstraction suivante que le problème est purement identitaire. Mais avouons qu’on est encore loin, ici, de la trouée bleue qu’attendait peut-être le lecteur exaspéré qui commence à avoir mal à la tête. L’identité étant, par définition, celle d’un groupe distinct vis-à-vis d'un autre, qui se définit par l’autre, elle est antinomique à la libre pensée. On s’en sortirait presque si le gros là-bas ne répliquait en gueulant : ‘oui, mais un libre penseur est libre d’adhérer au groupe de son choix !’ (Comprenons ici : la gauche progressiste pour les uns, la droite populiste pour les autres). Car, défendra-t-on, la situation est grave, et il est impératif de s’unir contre l’ennemi commun. Et pour bien se reconnaître, pour être sûr de ne pas botter dans le but ennemi, il nous faut des uniformes. Des Docs Martens ? Des cheveux colorés avec des anneaux dans le nez ? Des costumes trois pièces avec rouflaquettes et raies sur le côté ? Car, avouons-le, Bock-Côté aurait l’air moins réactionnaire avec les cheveux roses et Greta Thunberg moins progressiste teinte en blonde et moulée d’une mini-jupe vermeille. Les équipes se sont formées ; de nouveaux conformismes ont été mis en place, et celui qui refuse de s’y conformer court le risque d’être rejeté par ses vieux amis et détesté par ses nouveaux. Car ainsi est le roseau, le stupide roseau : il aime être entouré d’autres roseaux qui, par multiplication, confèrent un volume géométrique à son insignifiance verticale. Mais le poète, lui, préfèrera toujours sa verticale fragilité à la sécurité rectangulaire du troupeau. Ou enfin… peut-être lui plaira-t-il parfois de retrouver un troupeau hétéroclite, déchiré de lumière, indéfinissable, assemblé par pur accident et exempt de toute idéologie politique cohérente. Mais il doit toujours faire gaffe de ne pas se faire piéger. Car, lorsque piégé, il arrive que le poète se suicide ou devienne fou, lorsqu’il réalise que ceux qui l’ont aliéné le rejettent une fois sa tâche cosmique accomplie. C’est exactement ce qui est arrivé à un certain Vladimir Maïakovski, auteur du Nuage en pantalon et amateur inavoué de crêpes bretonnes. Mais je ne suis pas un spécialiste.


Jérôme Fortin




LGBTQIA2S+


Ça commence à faire beaucoup de monde dans un seul acronyme imprononçable, non ? Un caractère pour chaque couleur de l’arc-en-ciel (j’avoue avoir une petite préférence pour les ‘A’, les asexuels – au moins, celles ou ceux-là, contrairement aux sexuels, qu’ils soient homos, hétéros ou fluides, n’embêtent personne dans les transports en commun*). Il est aussi intéressant de constater que, de strictement numérique, le code est passé à l’alphanumérique avec l’addition de ce 2S machin qui, si Robert Dupont, salarié de gaz de France et père de trois enfants, a bien compris, signifie ‘bispirituelle’ - conférant ainsi à cette soupe alphabète un statut transcendant celui qu’il croyait, dans son inscience, être : une représentation purement récréative de l’inventivité humaine côté fesses, secondaire à son état initial. Mais c’est drôlement plus sérieux et compliqué que ça. On parle ici ‘d’identité de genre’, de l’être dans son irréversible consubstantialité, son moi immobilisé au sein de tous les possibles, de toutes les dysphories, figé à jamais (un pénis ou un clitoris ne repoussent pas) et isolé par le besoin de se voir convenablement décrit par lui-même et les autres ? Besoin qui, bien que certainement légitime dans sa forme pure, risque fort de plaire à des gens parfois très riches et qui, on le sait, ont tendance à faire rimer progressisme social et profitabilité (et nous faire croire que ça rime vraiment). La colère identitaire, la rupture d’équilibre de notre grande toupie, est une arme aussi efficace que bon marché pour ces capitalistes de la bonne conscience ; et quand les grands pourfendeurs de la tolérance et de la diversité commencent à manquer d’humour, devenir de vieux moules fatigués et, pire, à scander des menaces de mort envers les TERF et les femellistes qui critiquent leurs certitudes (ou y opposent des certitudes contraires), on devine, toujours, tristement, qu’il y a quelqu’un quelque part qui se remplit les poches en riant.


*Étant sérieux dans ma démarche j’ai effectué une recherche sur YouPorn afin de mieux comprendre la signification de toutes ces lettres. À la lettre ‘A’, j’ai vu des vidéos troublants de couples jouant aux échecs



Jérôme Fortin