Le dépôt
La Grâce
La grâce
La grâce, ce sont les gouttes de pluie
qui s’attardent au bord des feuilles et des pétales,
avant les branches nues
Le chant d’un petit oiseau
dans un paysage de givre,
ce chant qui lui arrache
un soupçon de vapeur,
c’est la grâce
La grâce,
c’est la mousse épaisse
qui s’égoutte au printemps,
en bord du fleuve irlandais Shannon
Regarder le vent,
le vent occupé avec un arbre
dans une prairie fleurie,
c’est aussi la grâce
La grâce,
c’est avancer en barque à travers des étendues bucoliques
et tendre le bras
pour toucher la consistance
de tout ce vert
Le bout des ailes des cygnes
qui frôlent l’eau au décollage,
c’est la grâce
La grâce,
c’est le papillon
lorsqu’il imprime ses couleurs
sur le bleu du ciel,
au-dessus d’un repas de fleurs
La lumière,
lorsqu’elle dévoile non seulement
des fils d’araignée à travers la végétation
mais aussi le duvet des oisillons
du Chevalier gambette,
c’est aussi la grâce
La grâce,
c’est l’arc-en-ciel,
peu importe la couleur du ciel
La goutte d’eau
dans le plumage d’une grive huppée
qui couve ses œufs,
c’est la grâce
La grâce,
c’est cette ile verte,
une ile perdue dans l’immensité lacustre,
une ile, qui plus est, à la forme d’un cœur
Le vent qui s’amuse avec les akènes des pissenlits,
moment éphémère par excellence,
c’est aussi la grâce
La grâce,
c’est la façon de faire du martin-pêcheur
lorsqu’il ressort de l’eau
nimbé de gouttelettes
Les oiseaux qui traversent
le disque orange du couchant,
laissant l’être qui a regardé
en proie à la nostalgie,
c’est la grâce
La grâce,
c’est le vol des éphémères
et la pause qu’ils s’accordent
sur l’eau
Cette feuille de fougère
qui a le mérite d’avoir changé
la trajectoire à fleur d’eau
d’une chauve-souris,
c’est aussi la grâce
La grâce,
c’est l’aigrette d’un blanc-pur
en train de s’arrimer à la branche d’un arbre
Le saut d’un écureuil,
dans les arbres qui sont les siens,
c’est la grâce
La grâce,
ce sont les nuées d’étourneaux sur fond de ciel rose
au-dessus du fleuve Shannon,
leurs mouvements créent des formes et des bruissements
dont l’âme s’empare
La rame qui mélange le reflet de la lune,
faisant glisser dans la masse brillante du fleuve
la barque avec son « maitre »,
c’est aussi la grâce
La grâce,
ce sont tous ces moments fugaces
retenus pour l’éternité.
(Iocasta Huppen)