La
page
blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index I

43 - Allan Graubard

Cercle de pierres à l'aube

Les jeux marquent nos vies, avec toutes leurs couleurs et leurs valeurs. SUN STEP BLACK LAKE ajoute son éclat à cette merveilleuse tradition. À partir des œuvres de John Welson, Allan Graubard écrit des textes (récits et poèmes en prose). À partir des textes d'Allan, John crée ses œuvres. L'échange est réciproque, inspirant et libre. Venez jouer avec nous, les portes sont ouvertes...


Allan Graubard





Aube pierre cercle


Lorsqu’au début de l’été le soleil se lève sur la

colline, le cercle de pierre projette sa première

ombre. C’est un moment inoubliable. Lorsque

la mince ligne sombre apparaît faiblement puis

distinctement à la base de chaque pierre, que ce

soit devant ou derrière, selon son emplacement,

le cercle entier semble se pencher en avant et en

arrière. L’animation contrapuntique que cela donne

au site néolithique sur la faible élévation tronquée

de la vallée qui le sépare de la colline incite à

une avidité curieuse ceux qui sont venus vivre ce

moment. Alliée au rire, cependant commande, bien

qu’elle ne soit pas encore vocale, la convulsion

soudaine et implacable du diaphragme qui incite la

bouche à s’ouvrir, la langue à se courber vers le haut

ou vers le bas, les lèvres à se séparer et les yeux à

briller.

Pour certains physiologistes qui ont étudié le

phénomène précurseur des éclats de rire, ses effets

sont parallèles aux pulsations rythmiques qui

précèdent l’orgasme. Et compte tenu des preuves

archéologiques trouvées sur le site – des pierres

malléables ressemblant à des fétiches grossièrement

sculptés comme des simulacres d’organes sexuels

masculins et féminins, de forme ovale et allongée –

il y a lieu de croire que tout ce qui nous sépare de

nos ancêtres, au-delà de la technologie, est d’une

prétention stérile.

Les plaisirs qui s’enracinent dans la stimulation

visuelle ont moins à voir avec l’histoire telle que

nous l’avons enregistrée qu’avec le désir et la

passion ; une caractéristique première de notre

espèce.

À cet égard, prendre le cercle de pierre comme

un objectif qui concentre notre attention sur une

forme d’autoérotisme, même pour les premières

minutes de l’aube, n’est pas si farfelu. Par la suite,

et je veux dire par là une à deux minutes après, avec

le soleil qui s’est levé beaucoup plus haut, a grandi

beaucoup plus lumineux, les ombres beaucoup

plus larges, ces effets commencent à s’estomper.

Pourquoi cela se produit est une question que ni

moi, un écrivain intrigué par le phénomène, ni les

scientifiques qui l’étudient, ne peuvent expliquer

autrement qu’en reconnaissant sa cause et notre

réaction à celle-ci, qui vieillit rarement.

Les hommes et les femmes de 80 ans rapportent

des sensations aussi piquantes et délectables que

celles de leur adolescence et de leur vingtaine. La

seule différence tend à être la localisation dans le

corps, le dernier groupe profitant de sa diffusion

dans toute la musculature tandis que le premier le

ressent le plus dans le pénis et le vagin.

Il ne s’agit pas d’exclure d’autres explications

possibles qui attribuent les effets à des pulsions

moins holistiques ou plus urgentes qui peuvent ne

pas être purement sexuelles. Mais il ne fait guère

de doute que la sexualité intervient, peu importe

comment elle se produit, où elle se produit et avec

quelle intensité.

Malgré l’aspect temporel – ces quelques minutes

pulpeuses pendant lesquelles les téléspectateurs

rient presque, si proches sont-ils de la vocalisation

primitive – plusieurs répondants (une très petite

minorité des grands groupes interrogés) admettent

en fait rire, il est clair que le cercle nous excite

comme il l’a fait pour ceux qui nous ont précédés,

et c’est peut-être la raison pour laquelle ils l’ont

construit pour durer.

Tout ce que vous avez à faire est d’être là tandis que

tombe le début de la nuit d’été et que la lumière du

soleil nimbe le sommet de cette colline un demi-

mile environ en face de l’élévation basse où le cercle

de pierre se trouve. Puis, alors que les ombres se

forment, vous pouvez me dire comment tout s’est

passé, ce que vous avez ressenti, où vous l’avez

ressenti, et comment l’étoile qui nous donne la vie a

fait de nous de nouveau acolytes de son prodigieux

pouvoir de brûler, guérir et engendrer.



Allan Graubard - trad. G&J

Extrait de Foulée soleil lac noir

Peintures John Welson

Éditions Lpb - disponible fin octobre en librairie







Sunrise Stone Circle


When in the early summer the sun rises over the far hill, the stone circle throws its first infant shadow. It is a moment to remember. As the thin dark line appears faintly then distinctly at the base of each stone, whether in front or behind, depending on its location, the entire circle seems to lean forward and backward. The contrapuntal animation this gives to the neolithic site on its low stubbled rise from the valley that separates it from the hill incites a curious avidity in those who have come to experience just this moment. Allied to laughter although not yet vocal – the sudden inescapably pleasant convulsions of the diaphragm that prompts the mouth to open the tongue to curl upward or downward, the lips to part and the eyes to glisten – it yet commands.

For some physiologists who have studied the phenomenon, this precursor to guffaws, its effects parallel the rhythmic pulsations that precede orgasm.

And given the archeological evidence found at the site – pliable fetish-like stones crudely carved into simulacra of male and female sexual organs, oval shaped and elongated — there is reason to believe that whatever separates us from our ancestors, beyond technology, is useless conceit.

The pleasures that root in visual stimulation have less to do with history as we have charted it than they do with desire and passion; a premiere characteristic of our species.

In this respect, taking the stone circle as a lens that focuses our attention on a form of autoeroticism, for even those first few minutes of dawn, is not so far-fetched. Thereafter, and I mean by that one to two minutes thereafter, with the sun having risen that much higher, grown that much brighter, the shadows that much broader, the effects begin to fade.

Why this occurs is a question that neither I, a writer intrigued by

the phenomenon, nor scientists who study it, can explain other than by

recognizing its cause and our response to it, which age rarely tempers.

Men and women in their 80s report sensations as piquant and delectable as those in their teens and 20s. The only difference tends to be its localization in the body, with the latter group enjoying its diffusion throughout the musculature while the former feels it most in the penis and vagina.

This is not to foreclose on other possible explanations that attribute the effects to less holistic or more urgent compulsions that may not be purely sexual. But there is little doubt that sexuality does intervene, however it happens, where it happens and with what intensity.

Notwithstanding the temporal aspect – those luscious few minutes during which viewers almost laugh, so close are they to primitive vocalization – with several respondents (a very small minority of the larger groups interviewed) admitting to laughing in fact, so overcome were they – it is quite clear that the circle excites us as it did those who came long before us, and which perhaps is the reason they built it to last. All you have to do is be there as the early summer night lessens and the sunlight halos the top of that hill a half-mile or so across from the low rise where the stone circle sits. Then, as the shadows form, you can tell me how it all went, what you felt, where you felt it, and how the star that gives us life has once again made us into acolytes of its prodigious power to burn, heal and engend.


Allan Graubard

Extrait de SUN STEP BLACK LAKE

Ed. Broken Sleep Books, United

Kingdom (2024)