Le dépôt
Souvenirs et grillages
Matthieu Lorin : matthlorin@yahoo.fr
(Recueil protégé par la SGDL sous la forme de l'empreinte numérique47511 et paru en septembre 2022 aux éditions Sous le sceau du Tabellion)
Suivent les cinq premiers poèmes, des liens critiques vers des revues qui ont consacré un/plusieurs article (s) à ce recueil :
1/ https://www.dechargelarevue.com/Matthieu-Lorin-trois-poemes-inedits.html
2/ https://www.dechargelarevue.com/I-D-no-1005-Souvenirs-et-grillages-de-Matthieu-Lorin.html
3/ https://www.recoursaupoeme.fr/43915-2/
4/ https://revuedissonances.com/lorin-matthieu-souvenirs-et-grillages/
Et si jamais vous souhaitez commander, c'est par là!
https://www.sceaudutabellion.fr/catalogue
1
Coupe le grillage des mots avec une pince et écarte-le comme on le fait des entrailles du loup dans les contes. Tu y liras mon avenir. Car les augures ont changé : aujourd’hui, on découvre le futur dans les poèmes éventrés.
Entre maintenant dans le jeu, pénètre ces textes en essuyant tes vertiges : c’est sur moi que tu marcheras, sur la tranche de mes souvenirs que tu danseras,
avec la sensation d’abattre un mur de refend.
2
Souvenir de lecture
William Faulkner
J’ai trouvé à l’ombre d’un banc un morceau de déni abandonné. Le ramasser et le mettre dans la poche aurait été le reconnaître. Elles étaient pleines de toute façon :
de noix coupantes comme des rêves
de la rage de Némésis
d’une graine condamnée à n’être plus que ce qu’elle est.
Je me suis levé et les mains ont suivi, de ce mouvement flasque qu’ont les membres inutiles, comme la crête du coq ou les mamelles de l’ânesse en route pour l’abattoir.
Un homme s’est approché et, sans cérémonie, a pris place sur le banc. Il avait une courte barbe, un sac en bandoulière et les idées en désordre. A la main, un livre : Tandis que j’agonise.
J’ai quitté le parc avec la sensation étrange de sortir d’un labyrinthe. Je n’ai pourtant pas d’ailes et mes enfants ne savent pas nager…
3
Longtemps j'ai été cet oiseau foudroyé que l’on trouve sur le bitume au petit matin. Je n’ai pas changé mais le sol, lui, s’est transformé : d’abord en un parapluie ouvert, puis en de fines plaques de tôle posées en quinconce. Il est aujourd’hui une étendue d'eau, paisible comme la courroie brisée qui traine au pied du véhicule remis à neuf.
Quand je chute, mes ondes se répercutent désormais bien après moi, à l’arrêt et déjà oublié.
Ainsi en sera-t-il de ce poème, si la chance est avec lui…
4
Souvenir de lecture
Yukio Mishima
Devant la gare, un carton sèche au soleil. Etendu sur une corde à linge de fortune, on espère que l’humidité dont il est imprégné s’estompe, oubliant que le fil déchire ses entrailles comme la césure scinde la phrase en deux, d’un côté Caïn - et de l’autre Abel.
Certes, le carton deviendra plus présentable mais il se déchirera à la moindre bourrasque. La corde, elle, continuera à défier vents et humeurs joyeuses.
Ma mémoire est semblable à ce carton. J’ai vécu trop longtemps voûté sur moi-même pour qu'il n'en reste pas une odeur rance. Que trouvera-t-on sous cette peau de papier-mâché lorsqu’elle se déchirera ?
J’aimerais que ce soit un arc-en-ciel,
un souvenir vaporeux d’alcool,
un lambeau de côte normande,
ou un roman de Mishima.
Je crains pourtant qu’il n’y ait ni ébriété, ni falaise crayeuse, ni seppuku…
5
Souvenir de lecture
Thierry Metz
Depuis ta fenêtre, tu n’as jamais su si c’étaient les oiseaux qui tombaient ou l'atmosphère qui faiblissait. Même le vol des insectes penchait et ressemblait à ces pierres jetées au loin par des enfants : ton ciel n’avait plus le courage de supporter quoi que ce soit.
Il nous reste seulement les mésanges qui nichaient dans ta tête, comme des cartes routières qui s’envolent.