Le dépôt
L'ABSENTE [vingt cinq fragments poétiques - publiés dans le n°28 de la revue TRIAGES, 01/06/2016]
au matin, un veau errant
dans une lumière d'arbres secs
racines de cendres,
ces quelques gestes des mères ––
le fil blême du sang
soleil pierreux, cloué sur les eaux ;
les arbres comme des abîmes ;
têtes d'écorce des hommes ;
les chemins rouillent et s'enlisent
dans le gris de la plaine ;
les enfants rêvent de la boue ;
le temps te sembla dur, épais ;
brûle la lumière sèche des visages ;
des fleurs de feu, des allumettes ;
un âne se perdit dans l'ombre aveugle ;
puis les lignes sombres des villages ;
ainsi dure le feu la terre –– et ses liquides noirs ;
mur de nuit : silex, sa cendre; la vase morcelée des étangs ;
ta tombe entre les ajoncs
tête massive –– l'hydrocéphale aux yeux d'enfant ;
fenêtre d'ombre –– le feu de la route,
le rivage noir –– poussière de sang, sternes, pour les morts
le lait gris coulant de tes seins –– silence ––
le froid
sous le soleil sec –– poumons,
un hanneton crevant d'une patte l'arrondi du sein ;
ses mains, entre feu et rouille ;
des fourmis sortaient de sa bouche
dans le jardin brillaient des écorces blanches ;
le vieux cheval s'y frottait ;
des cris d'enfants dans les cours ; en toi le soleil était toujours plus
noir ;
le froid des galets ; tes poches pleines d'herbes ;
il y eut ce rasoir de lumière pâle –– pour toi, sœur ––
au matin ces coutures –– ta peau –– puis les heures : de vieux sacs ;
silhouettes de pluie –– les insectes cherchent la boue du jour
l'étang aux charognes ; ventres pâles et maigres ;
les herbes jaunes où flottaient nos jeux d'enfants ;
lune de ronces ; rues vides; fenêtres fossiles ;
les façades écarlates; ça sent le linceul ; têtes de fumée
des voisins ; les vieux pommiers ;
l'étendue dénudée où ton amour se fana ; puis
les cierges d'or ; les carcasses de moutons,
chaleur des veaux ; les gestes lourds des pères ;
lumière de porcelaine ; ciel de chiffons ;
pense à ces visages,
à présent cendres, nourrissant les morts
une rose
dans son lit de pluie ;
le froid marbré et noir de l'orage
quelques éclats, les ombres
les vertèbres, graines de sang
dans le champ noir ––
la neige de ton dos ––
lumière malade –– dans la chambre,
des cendres blanches –– sommeil,
comme un feu mort
aphasie –– les bêtes
mangeant les ronces ; terres mortes ;
l'astre décrépi; un couteau rouillé
le chat empaillé l'œil noir du lavabo ;
l'oiseau mort dans l'assiette
blessures : fleurs fanées ;
l'innommé buvant
l'obscurité du lait
linceul solaire –– l'île
dans la noirceur de l'air ;
l'eau la cendre –– des moutons des ânes
rongeant le brouillard ;
plaie lunaire de cette terre ;
le sable gris la jument nageant
sous le volcan noir
le cimetière –– ces lilas d'ombre; le vieux sang,
les pâles asters, tes mains cherchant encore
le visage du temps fané –– ici, un soleil noyé dans ta bouche
naufrage incessant de ces jours maigres ;
le noir du feu se brisant sur ton front ;
la soif, l'absence : sœur –– l'étoile en sang
la terre devenue épaule et dos ; un feu vierge
près de l'abattoir –– la lumière écaillée ;
l'herbe sombrant dans l'oubli ; l'os rongé ;
la ligne ténue de l'ombre courant vers les eaux
colline –– fragments du delta,
cette prune sombre –– dans l'ombre
dévastée, ton visage ––
sa pulpe de mort
les mots fanés, au bord
œillets rouges ; ta pupille
d'or le champ sevré d'aube ;
la poussière d'une lampe
l'intérieur –– sable gris
la gorge serrée ;
le désert brisant les lampes,
la sœur rassemble les os ;
l'innommé se lavant dans l'air muet ;
vers le soir ils enterrèrent les cendres du cheval
les chiens léchaient la boue ;
ils avalèrent goulûment des grillons ;
l'heure noire devint leur désert ;
le père fou se mit à gémir,
le fauteuil : rester immobile, disait-il,
devant la lampe ––
le linge sentait la vieille lumière
la rade comme une plaque de sel,
la lumière noire du sable,
les bêtes d'abîme
l'asphyxie –– soubresauts,
maigre chair –– l'étrange tête
au bord du vide
coquelicots –– l'air rouge ;
l'usine endormie dans l'herbe
le dos noir d'une colline
bravant le vent lépreux,
le lait brûlant du matin ;
l'oreille du veau, pleine de mouches
se désassemblent les bêtes
par delà le cirque de l'œil,
le delta et ses ajoncs ;
le mur du crâne –– la fadeur
des fenêtres ;
une poupée morcelée
dans la boue noircie ––
la lumière étranglée
gel –– la lampe inguérissable ;
cette chambre où gîtent
de petits rats aveugles –– lilas terreux,
porcelaine noire –– le feu immobile
l'araignée grise –– ronce
poussant sous le sternum –– lait noir ––
une lune de bois –– les brebis broutant près du lac ––
ce pâle sommeil –– l'âne, le soir ––
l'auréole du pauvre –– défaire ta robe de pluie ––
les fruits morts, la douceur du feu ––
ton front –– une poterie nue
lumière noire au chevet du sang
décomposition de l'île brune ; la poussière d'or des vautours ;
lavabo ensablé –– scarabées –– plaies ;
bouches desséchées, moutons, le rivage désert ;
dessin noir de la falaise portant tes os ;
herbes pour le feu ; tôles ; cercles de fumée ;
la créature venue du fond, vers toi, son silence noir qui t'enlaça ; cerveau d'araignée
nervures, bras tendus
poussière d'un vieux soleil ; petits animaux aux cœurs de terre ;
un lapin, le dos brisé, rampant sur le bitume ;
cirque de marionnettes cassées ; boue, poupées de chiffons,
jambes de bois ; tulipes ; souffrance muette des têtes ;
l'abeille vidée de son sang d'ardoise ; hommes, le foie pourri
l'hirondelle décomposée ; sa puanteur sèche ; racines ;
siphon de terre ;
la vieille femme à la langue coupée ;
le profond pourrissoir du vent ; masques d'air ;
lagune pleine d'iris ;
le vieux cheval près du mur ;
ciel de plâtre crevant les eaux mortes ; solitude, enfin
le sternum lumière de plaie
vieille terre vieux cheval
l'asphodèle dans le creux
les difformes cherchant l'été
le champ lourd prairie
où pousse le plomb carnage
langue du ressuscité des lépreux
du pur corps ainsi
hébété
je suis la chose morte
tête basse
régime sec
portant le feu,
ce cafard enfant,
les fleurs dans la morgue,
l'aphasie ; un mur de cendres