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blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index I

7 - Simon A Langevin

Extrait de Faune, p. 116-118.

Parti dans la direction qu’il suppose être la bonne, Victor se sent malgré tout nu sans son t-shirt sur le dos. Le tenant d’une main, il se sert de l’autre afin d’écarter les branches qui pourraient le grafigner. D’avoir une grande partie de sa peau exposée à l’air libre en pleine forêt le met dans une position de vulnérabilité. D’autant plus que la lumière du jour s’abaisse inéluctablement. Le soleil s’enfonce par degré vers l’ouest, se cache tranquillement derrière les arbres.

À mesure qu’il se fraye un chemin à travers la broussaille, la forêt s’ouvre devant lui. Évidemment, il ne reconnaît pas la route qu’ils ont empruntée plus tôt. Comment s’y retrouver parmi tant de végétation? La bière qu’il a bue plus tôt ne lui a pas permis de rester vigilant et de remarquer quelques détails qui auraient pu le guider et lui être utiles. De sorte que maintenant, à moitié nu, à plus ou moins une heure avant le crépuscule, il se trouve seul dans les bois, ne sachant trop comment en sortir, n’ayant pour se diriger, que cette intuition d’aller vers le soleil.

Le temps presse un peu. Il ne voudrait pas se perdre définitivement et se voir contraint de passer toute la nuit dehors. Pourtant, la maison ne doit pas être bien loin. Ils n’ont pas eu à marcher longtemps tout à l’heure afin de se rendre près de ce terrain miné de roches. S’il est parti dans la bonne direction, il devrait pouvoir s’en sortir bientôt. Il ne doit pas paniquer.

Durant sa marche, il se met à prêter attention aux sons qui l’entourent. Les feuilles bruissent sous l’action du vent, des branches ou des troncs craquent pendant qu’ils vacillent, un merle chante quelque part perché sur la branche d’un arbre, de petits animaux fureteurs déplacent les feuilles sèches qui couvrent la terre dans leur fuite. Puis, un grondement sourd d’origine inconnue se laisse entendre. Inquiet, Victor s’arrête net et tend l’oreille. Est-ce Roy et Maurin qui poursuivent leur petit jeu en voulant l’apeurer? Difficile à dire, et surtout, difficile de savoir ce qui pourrait bien produire un tel son.

Il attend. Depuis cette espèce d’éructation, plus rien d’autre ne se fait entendre. On dirait que toute la forêt s’est tue. Et malgré ce silence général, Victor ne se sent plus seul. Peu importe ce qui a pu produire ce grognement rauque, c’est ici, tout proche. Il ressent la même chose que lorsqu’il était en train de subir l’assaut de Roy, et que celui-ci avait quitté sans raison apparente. Une force couve quelque part dans ce bois, se met-il à imaginer. Sans toutefois se sentir menacé. Au contraire, ose-t-il croire, on dirait qu’on le protège.

Le son se répète, tout doucement, devant lui, sur sa droite. Est-ce une invitation? Toujours est-il que l’envie d’aller vers la source de cette basse modulation le prend, et que, sans trop savoir pourquoi ni comment, une certaine confiance l’investit. Il bifurque alors et tente de se rapprocher. Mais il ne voit rien ni personne dans les alentours. Aucun animal de quelque espèce non plus ne semble se trouver dans les parages. A-t-il été victime d’une acousmie due à l’accident qui lui aurait fait croire des choses ou bien est-ce l’alcool qui n’a pas encore tout à fait disparu de son sang?

Malgré tout, il poursuit son chemin dans cette voie et bientôt, devant lui, au travers les arbres qui s’éclaircissent, il entrevoit la maison qui se dresse au centre du terrain. Il est «sauvé» se dit-il. Il a retrouvé la maison qui abrite ces gens qui lui fournissent un refuge. Il est doublement sauf.

Hermine, sur le perron, lui envoie la main. Il va droit vers elle. Il se rend soudainement compte qu’il est torse nu, mais trop tard, malgré la gêne, il la rejoint. Arrivé près d’elle, il garde les yeux baissés.


p. 116-118