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La Page Grise 66


Fil info Pascal Nordmann

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Julien Boutreux


Vingt et un noms de ?

Vingt et un noms de ?

 

 

 

mon premier est l’arête d’un poisson

mon second l’est aussi

mon troisième est une fleur

et mon tout n’existe pas

 

 

mon quatrième se terre dans l’œil d’un serpent

mon cinquième a peur du noir

mon sixième est une couleur rare

et mon tout n’a pas de nom

 

 

mon septième n’a pas d’oreilles

mon huitième parle à travers une bouche

mon neuvième possède un corps translucide

et mon tout cherche un lieu à habiter

 

 

mon dixième est invisible

mon onzième est inaudible

mon douzième est intangible, inodore, insipide

et mon tout est illisible

 

 

mon treizième cherche un enfant sans tête

mon quatorzième trouve un oiseau mort

mon quinzième est un nombre compris entre zéro et l’infini

et mon tout ressemble à la vérité quand elle se trompe

 

 

mon seizième brusque les choses

mon dix-septième exsude du sens par tous ses pores

mon dix-huitième produit de la poésie

et mon tout exorcise sa propre possession

 

 

mon dix-neuvième est comme mon vingtième

mon vingtième est comme mon vingt-et-unième

mon vingt et unième ne veut rien dire

et mon tout n’est pas différent des précédents

 

 

mon vingt-deuxième est un oiseau qui disparaît

mon vingt-troisième a tout l’air d’un poisson volant

mon vingt-quatrième se réveille dans ses rêves

et mon tout est une partie sans tout

 

 

mon vingt-cinquième vient d’une exoplanète

mon vingt-sixième parle une langue familière

mon vingt-septième est étranger à son propre langage

et mon tout n’a pas de solution

 

 

mon vingt-huitième cherche Dieu dans sa tête

mon vingt-neuvième ne le trouve pas

mon trentième doute de tout

et mon tout est semblable au rêve d’une pierre

 

 

mon trente et unième est une question ouverte

mon trente-deuxième formule des réponses

mon trente-troisième n’écoute personne

et mon tout parle à tout le monde

 

 

mon trente-quatrième cherche à faire le vide

mon trente-cinquième accumule le non savoir

mon trente-sixième collectionne les cailloux

et mon tout voudrait être une chose

 

 

mon trente-septième est un champ magnétique

mon trente-huitième tient la porte ouverte

mon trente-neuvième garde bouche close

et mon tout est attiré par les longs couloirs vides

 

 

mon quarantième a les mêmes yeux que l’aube

mon quarante et unième embrasse les ombres du regard

mon quarante-deuxième guide un chien aveugle

et mon tout dévore la nuit qui l’habite

 

 

mon quarante-troisième parle bas

mon quarante-quatrième ne parle pas

mon quarante-cinquième n’entend rien

et mon tout a tout oublié

 

 

mon quarante-sixième a sa subjectivité comme objectif

mon quarante-septième est un sujet

mon quarante-huitième est un objet

et mon tout est une place vide

 

 

mon quarante-neuvième est un thème

mon cinquantième est un prédicat

mon cinquante et unième aurait dû être une phrase

et mon tout n’est même pas un mot

 

 

mon cinquante-deuxième lance les dés comme un poète

mon cinquante-troisième est mort d’avoir trop joué

mon cinquante-quatrième est une sorte de main tendue

et mon tout ne s’en saisit pas

 

 

mon cinquante-cinquième est un vide détaché du vide

mon cinquante-sixième est un plein faisant partie du tout

mon cinquante-septième croit être ce qu’il croit être

et mon tout n’est pas ce qu’il n’est pas                      

 

 

mon cinquante-huitième attend qu’on vienne le chercher

mon cinquante-neuvième est déjà parti

mon soixantième est une montre arrêtée

et mon tout a oublié de venir

 

 

mon soixante et unième est un miroir sans reflet

mon soixante-deuxième réfléchit tout le temps

mon soixante-troisième cherche une ressemblance

et mon tout ne sait pas ce qu’il est

 

 

—   qui suis-je ?



***




Fil info Pascal Nordmann


Poèmes d'actualité



nous mettons du sens là où il n’y en a aucun



Houston, Texas. D'importants documents à verser au dossier de la conquête lunaire viennent de faire leur apparition. L'astre n'aurait pas été complètement désert. Il s'y serait trouvé une casserole. Une Grande Casserole. L'objet, doué de parole, se serait exprimé. Seulement, il se serait contenté de donner la recette d'une sauce tomate italienne aux olives et au basilic. C'est ce dernier point qui aurait décidé les autorités à tenir secrète son existence.



Science et vie 27.03.2021



Pueblo, Nouveau-Mexique. Chaque soir, à la nuit tombante, cet ancien président des Etats- Unis danse avec un squelette indien sur la frontière mexicaine. Les observateurs affirment avoir reconnu une mèche blonde caractéristique mais ils ont oublié le nom de l'homme. Un seul point fait l'unanimité: si l'Indien est d'un autre siècle, l'homme à la mèche est dans un état de décomposition bien plus avancé. Et pour cause! On lui a volé son élection.



Phoenix Tribune 12.06.2021



Tanger. Dans une aquarelle du carnet que le peintre Delacroix ramena du Maroc, l'on distingue une bougie allumée sur un toit de Meknès. La même lueur brille sous la plume du poète apocryphe Jean Thée de Troyes, dans l'œuvre de Jorge-Luis Borges. C'est encore cette flamme qui s'alluma dans mon cœur le jour où s'endormit au creux de ma paume un escargot que j'avais recueilli. Lorsque la terre brûlera sera-ce toujours la même flamme ?



Tribune des arts 21.08.2021



Paris. Ce couturier taille des vêtements dans la pluie qui tombe. Quelques gouttes, un peu de brume et voici le col. Le fond d'un nuage, trois flocons de neige pour les manches: le tour est joué. A travers le monde, on s'arrache ses manteaux de pluie. Mais pourquoi cet homme de grand talent et de si bon goût, pourquoi cet homme si doué est-il incapable de donner un toit à ceux qui, ayant perdu le leur, vivent sur le trottoir devant son atelier?



Les échos de la mode 28.08.2021



Rome. Dix-huit chiens discutent derrière une église. L'existence est courte, si courte! A peine commencée, déjà terminée. Il faudrait sauver ce que l'on peut. La mémoire, les amours, les bateaux, la lumière, les moineaux. Un monde sans moineaux? Impossible! On s'échauffe. On monte des plans. On organise le sauvetage des moineaux. Tous les moineaux? Le plus grand nombre possible. Mais la lune se couche, on se secoue, il est l'heure. On rentre chez soi.



Il gazzettino 18.09.2021



Kalai-Kumb, Tadjikistan. Au-dessus du Pamir, le toit du monde, l'air est léger, si léger, un rien suffit à le dissoudre, il fuit, il court, il se disperse, l'air, il n'est plus, c'est un oiseau, un doux insecte qui, à force de se dissoudre, finit par disparaître. Ainsi sommes-nous, nous montons, nous grandissons, le désir de grandir nous tient tout entier puis, nous désirons la légèreté, léger, léger, jusqu'à se dissoudre, jusqu'à n'être plus rien.



Tadjik Press 09.10.2021



En plein ciel. C'est un nuage. Il survole une ville où chacun s'affaire, peaufine ses cercles, ses cubes, cultive son opinion. Idées, pensées, structures, on crépite, on ronronne, on masse, on mouline. Lui, le nuage, se retourne. Dos en bas, ventre en haut. Un de ses doigts s'amuse à flatter un oiseau qui voyage. Mais ses oreilles bourdonnent. La ville! Il bâille, s'étire. 'Qu'il est bon, qu'il est doux, qu'il est agréable, qu'il est juste de ne pas avoir d'opinion sur tout.'



Ciel et espace 06.11.2021



Chamonix. Cette année encore, le mont Blanc s'est déplacé. Trente centimètres vers le sud. Notre reporter a voulu en savoir plus. - Vous bougez, Monsieur? - Je pars, Monsieur. - Nos vallées ne vous plaisent plus? - Il y a un homme, Monsieur. Régulièrement, il plante son drapeau et hurle vive la patrie! Je n'en peux plus. Je suis un admirateur des Carnets d'orient du peintre Delacroix. J'irai m'établir dans l'Atlas marocain. On y fait, dit-on, un thé de menthe revigorant.



Le Dauphiné libéré 08.01.2022



Saint-Ouen. Un bougeoir d'argent s'entretient avec un collègue. 'Le métier est ingrat! Porter la même bougie des années durant dans le silence, sans jamais se plaindre, la crampe guette, les doigts sont gourds, on a soif, les tempes bourdonnent, il faut attendre que quelqu'un allume et lorsque cela arrive c'est la bougie que vous portez que l'on remarque, pas vous. Je crois que je vais lancer quelques fusées, quelques obus sur une ville, n'importe où. Parions qu'alors on me remarquera enfin.'



Journal des chiffonniers 23.07.2022



Wilmington. Une fraise s'adresse au président des États-Unis. - Je vous trouve le teint bien pâle. - C'est qu'il est épuisant de devoir faire tourner le monde. Rien ne va jamais comme vous le voulez. L'eau des mers monte, la pluie manque, les virus sont partout et je ne vous parle pas de politique. - Allons, allons, il vous faut des vitamines et quelques litres d'un bon pesticide pour vous protéger, c'est tout! Pour le pesticide, j'aurais une adresse, je vais vous la donner. Ils sont très bien, vous verrez.



East coast observer 20.08.2022