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AUTEUR-E-S - Index I

73 - Alta Ifland

L'enfant merveilleuse - Moi - Je me dissous - Noces après la fête

L'enfant merveilleuse


Au seuil de la maturité, j'ai commencé à rêver les yeux ouverts d'une petite fille qui m'accompagnait partout et qui était moi et mon enfant à la fois. Elle était légère et vivace, sage et cependant sensible, proche et cependant lointaine. Dès le moment où elle eut apparu dans ma vie, je chassai de mon âme tout désir de jamais aimer un homme, tout désir d'aimer, tout désir.  ( « Tout »  est une façon de parler, bien sûr.) Je lui offris tout mon sang et la moelle de mes os et me mirai dans ses yeux comme dans un puits sans fond et l'enfant merveilleuse grandissait, et plus elle était réelle, plus je devenais, irréelle.


Alta Ifland

Voix de glace - punctumbooks


-L'enfant merveilleuse-


Au seuil de la maturité, j'ai commencé à rêver les yeux ouverts d'une petite fille qui m'accompagnait partout et qui était moi et mon enfant à la fois. Elle était légère et vivace, sage et cependant sensible, proche et cependant lointaine. Dès le moment où elle eut apparu dans ma vie, je chassai de mon âme tout désir de jamais aimer un homme, tout désir d'aimer, tout désir.  ( « Tout »  est une façon de parler, bien sûr.) Je lui offris tout mon sang et la moelle de mes os et me mirai dans ses yeux comme dans un puits sans fond et l'enfant merveilleuse grandissait, et plus elle était réelle, plus je devenais, irréelle.


Alta Ifland

Voix de glace - punctumbooks



-Moi-


  Quand je regarde ces photos de vieux paysans des Balkans au regard dur et sombre, fourrures jetées sur l’épaule, visages hâlés, creusés de rides, démarche droite et comme enveloppée dans la fumée du passé qui s’envole, je m’exclame comme la touriste que je suis devenue : “Quels visages! Et quels beaux manteaux!” Autant dire : exotiques. Et des abîmes du passé qui revient, les visages de mes grands-parents remontent, bruns et secs, pareils à l’écorce sans voix, et je sais qu’ils sont toujours là, en moi, mais comme en retrait, lointains, invraisemblables.

Qui est moi?



-Je me dissous-


Je me dissous dans les pelures épluchées d'un miroir liquide où mon visage se reflète dans toute sa non-existence. Le vent du dehors a cassé la vitre et le dehors que je suis s'égoutte dans l'encensoir doré d'une transe infinie. Il hurle et se débat avec la force animale d'un simple d'esprit, alors que, sur une balançoire, une pauvre fille idiote – la sœur du vent ? – a avalé sa langue, son nez et ses yeux, et il n'en reste que le coup, sans tête.




-Noces (après la fête)-


Les apothicaires des volupté versent des potions enchantées dans les verres circoncis, laissés dehors, sur la table. Les invités sont partis. À un coin de la table, l'épouse gît endormie, la bouche entrouverte, un fil de salive s'apprête à tomber dans le décolleté ravagé, portant encore l'empreinte des mains de l'époux qui, quelques heures auparavant avait essayé de trouver ce que Balzac a une fois appelé " les deux colombes blanches ".

Quelqu'un cherche l'époux, mais il est introuvable. Seuls les mégots jetés par terre et les restes de vomissure savent qu'il est lové sous la table, braguette, ouverte, nez saignant, œil oublieux. Il rêve d'une grande étendue d'eau, et, inspiré, décharge sa vessie, pataugeant bientôt en une flaque d'urine puante. De son côté, l'épouse gémit en rêve et ouvre ses jambes, mais non pour l'époux. Pour rien.