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Année 2025 - Expres cultural
Fondoianu (5) - Expres Cultural - Mai 2025
Les études sur Fundoianu suivent une ligne, disons, adaptée au modèle connu de la recherche sur le profil d'un écrivain. Au fil du temps, un modèle tacitement respecté s'est formé dans les études littéraires, maintenant ainsi une structure prévisible. Dans chacun des segments abordés, des coutumes de recherche s'appliquent, avec des normes établies pour chaque séquence. Or, une telle recherche spécialisée trahit le caractère particulier de l'existence littéraire de Fundoianu, qui est un auteur peu ordinaire, non seulement parce qu'il s'exprime dans plusieurs domaines (de nombreux écrivains s'illustrent sur plusieurs plans), mais aussi parce qu'il dépasse avec une fluidité naturelle les frontières entre les genres, passant de l'un à l'autre (poésie, critique littéraire, essais sur les thèmes les plus variés, philosophie, etc. ) comme s'il ne s'adaptait pas à de nouvelles hypostases culturelles, mais adaptait les genres à son essence manifeste. L'approche conventionnelle - études sur sa poésie, études sur la critique qu'il a pratiquée, études sur son esthétique, études sur sa philosophie - schématise la personnalité créatrice, ignorant la caractéristique existentielle : la recherche continue, l'état d'inquiétude sublimé dans l'expression. Cela marque une évolution vitale caractéristique. L'expression de ses recherches a été cataloguée comme existentialisme et a été rapidement associée à l'influence de Chestov. Mais, à mon avis, le philosophe russe n'était que la limite nécessaire à la fluidité de la création de Fondane, il était, pour utiliser une image, l'équivalent des digues qui fixent les limites du torrent prêt à se disperser autrement sur des surfaces beaucoup trop vastes et indéfinies. Chestov, malgré ses refus, poursuit des objectifs philosophiques, cherche à convaincre de quelque chose. Fondane est seulement obsédé par le refus de trop trahir son essence. Une essence composée avant tout – cela peut sembler paradoxal – de refus. En 1938, il publie le Faux Traité d'Esthétique. Selon le titre – aussi faux soit-il, un traité reste un traité –, il devrait nous présenter la manière dont s'articulent un certain nombre de convictions dans le domaine précisé. Mais le faux traité de Fondane consiste avant tout en des délimitations, en des dénégations de certaines réalités qui lui sont proposées. Les thèses de Fundoianu sont, par leur négation, on ne peut plus modernes – ce modernisme qui cherche ses principes dans la remise en question des certitudes. Dans les articles de la période roumaine (l'auteur était très jeune), Fundoianu se montrait méfiant à l'égard des « instruments » de la critique, de ses moyens d'analyse, misant sur une charge exclusivement subjective, sur une mobilisation de la sensibilité existentielle (comme nous l'avons montré dans l'épisode précédent). On retrouve la même position dans Faux traité , ouvrage souvent attribué à l'influence de Chestov, publié à l'époque où Fondane était le plus proche de ce dernier. La continuité avec les positions du très jeune critique, encore loin de devenir le disciple de Chestov, est toutefois manifeste. « Il est vrai que la matière commune : le langage, les sentiments, les parties du discours, entre par inspiration dans une combustion chimique dont aucune force ne pourrait la retirer, la restituant à sa figure originelle. Parler des « idées » d'un poème, des « sentiments » qui y sont exprimés – que leur présence soit souhaitée ou violemment rejetée – revient à prouver que les préjugés les plus stupides jouissent de la vie la plus tenace. » L'arsenal critique, utilisé encore aujourd'hui avec abondance et suffisance, réduit la compréhension de la poésie à des interprétations didactiques, ordonnées rationnellement. J'insiste sur le terme rationnel, car c'est celui que Fundoianu rencontre dès ses premiers exercices critiques/essais. La poésie est donc autre chose que des idées, des sentiments, un ordre... grammatical... : « ... l'acte poétique s'incorpore dans quelque chose pour pouvoir agir, tout comme le radium entre dans une série de matières ou comme Dieu se fait homme ». En dernière analyse, le poème ne peut être connu. Et cette incapacité à le connaître est finalement à l'avantage du poétique. (« L'étude des procédés qui l'ont façonné permettra-t-elle de percer le secret du poème ? Je ne le crois pas. Je ne vois aucun inconvénient à ce que ma propre hypothèse soit déclarée, à son tour, inadéquate ou fausse : tout ce qui échappe à notre compréhension n'est pas nécessairement au détriment du poème. Au contraire, ILS gagnent pleinement à rester incompris. ») Dans la même introduction du Faux traité..., Fondane rappelle une constatation de Jules de Gaultier selon laquelle la religion et l'art ont pour vocation d'inhiber les instincts inférieurs de l'individu. Mais, constate-t-il, une atmosphère dominée par l'esprit critique a supprimé la foi, sa capacité à s'opposer à de tels instincts, avec pour conséquence que seul l'art a conservé le pouvoir d'activer les inhibitions civilisatrices. Fondane ajoute toutefois que cette même faculté critique « a pour effet d'abolir la poésie ». Notre auteur ne se préoccupe pas de la mission moralisatrice de l'art et des religions. Il estime que « la vie a besoin d'eux pour d'autres raisons... et celles-ci sont... les plus importantes ». Du point de vue de l'auteur du Traité... l'art n'est pas exclusivement le Beau, ni le Bien - « c'est quelque chose de plus consubstantiel à la vie, une substance dont la vie ne peut se séparer pour la projeter hors d'elle-même et l'objectiver - dans une science, dans un nom - sans contribuer à sa propre destruction inévitable ». Constat suivi d'un appel inévitable : « Oh, laissons à l'art ses ténèbres, sa confusion, l'opacité de son discours ! ». Au fond, le Traité... ne propose que de rendre « à la vie ce qui appartient à la vie ». À la fin de la préface du Traité... l'auteur souligne une fois de plus sa position vis-à-vis de la raison. Les mots n'ont plus aucun rapport avec la réalité qu'ils désignent. Une constatation qui n'est pas déconnectée de ce qui se passait à ce moment-là dans le monde. « Des mots tels que mythe, ignorance, primitivisme, sang n'ont cependant rien à voir avec le mythe, le primitivisme et le sang rationnels, œuvre exclusive et subtile de notre époque. »
La rationalisation, dit Fondane, et il faut être attentif au fait qu'elle se trouvait sous la réalité des années 1938, lorsque son Traité apparaît, transforme les mots en mythes : « Les droits de l'homme, le progrès, la vérité, la justice, le droit sont tous des mythes ». L'époque mettait en circulation des mythes - dans la réalité, ils ne couvraient plus les mots. « Une raison qui se nie pour des raisons rationnelles reste une raison, et il n'existe actuellement rien, dans notre Europe folle, qui ne soit un produit - ou un sous-produit - de la raison. Ou même de la folie rationnelle... Je me sens presque honteux de devoir rappeler de tels lieux communs.
L'humanité avait commencé à parler de mythes (nation, voix du sang, espace vital, etc.), mais la réalité était tout autre. C'était la réalité brutale du fascisme en pleine ascension. En effet, l'Europe de ces années-là couvrait ses calculs sanglants de mythes, dans une imprudence dont Fondane sera lui-même victime quelques années plus tard. Dans la première partie du Traité..., la description des limites de la raison se poursuit. Cette fois-ci, l'auteur fixe son propre point d'ancrage. Dans une société imaginaire qui miserait tout sur la raison, il développe son discours, la rigueur s'imposerait dans tous les domaines, y compris ceux qu'il considère comme incompatibles avec elle : l'histoire et la poésie. Dans une telle société, tout serait réduit, par l'absurde, « à des structures, des lois, des essences, des institutions, des relations » ; on en arriverait à réduire le réel au rationnel, et le rationnel au bien. L'éthique deviendrait donc ce qui peut être rationnel. Il en résulte, nous dit-on, « une horreur non dissimulée de la réalité empirique : arbitraire, contingente et transitoire ; un mépris sincèrement avoué pour tout ce qui est personnel, affectif, subjectif, sentimental, imaginatif ; une tendance à peine réprimée à considérer l'existence, dans la mesure où elle est irréductible à l'Idée, comme une hallucination irrationnelle des sens, une sorte de projection mythique ». Mais à une telle époque, se demande l'auteur, comment pourrait-on encore comprendre des activités telles que l'art, qui ne peuvent s'inscrire dans la formule de pensée imposée par « le développement actuel des sciences physiques » ? Pour illustrer la manière dont la nouvelle pensée, dominée par la connaissance scientifique, se trouve dans une impasse lorsqu'il s'agit de penser la poésie, Fondane s'arrête à l'essai du jeune Roger Caillois, à l'époque, Le Procès intellectuel de l'art. Dans la description de la pensée contemporaine assumée par Caillois, la poésie apparaît avec « son étrange refus de toute « rigueur », avec sa capacité à produire un effet plutôt « physiologique » qu'intellectuel ». Fondane rappelle que l'incompatibilité entre raison et poésie n'est pas actuelle, elle remonte à l'Antiquité, lorsque Platon exila le poète de la Cité, le considérant comme un imitateur, un incitateur à l'émotion, en d'autres termes celui qui discrédite la raison - or, celle-ci devait devenir le fondement du bon fonctionnement de la cité. À l'historique de la perpétuation du conflit entre raison et poésie, notre auteur ajoute une dimension supplémentaire. Contrairement à l'époque antique, à l'ère moderne, un nouvel obstacle s'ajoute à l'« adversité » en question. Il l'appelle la conscience honteuse du poète, cette conscience honteuse du poète étant une nouvelle « capitulation », une capitulation supplémentaire face au rationalisme. À l'époque moderne, le poète « a commencé, à son tour, à mépriser le « charme », a perdu confiance en la vertu qui fait de lui un poète, en est venu non seulement à détester, mais aussi à perdre la capacité de comprendre le transcendant, le religieux, le mystère : ses supports métaphysiques, ainsi que les passions « frivoles », les affects « irréfléchis » : ses supports existentiels ». En d'autres termes, à l'époque moderne, le poète cède devant la raison : « Pour échapper à l'opprobre universel, il s'est volontairement jeté dans les bras du mécanicisme, du scientisme, de l'éthicisme, de la pensée spéculative ». C'est à ce moment-là que le cas du surréalisme est invoqué pour étayer ces affirmations. Le surréalisme explore l'irrationnel, l'indéterminé « à l'aide de techniques capables de le justifier et de justifier en même temps l'exploitation rationnelle de l'irrationnel ». L'initiative surréaliste aurait volé l'innocence de la poésie, « en aspirant au titre de connaissance, en aspirant au « document » mental, en se donnant des airs scientifiques et en créant l'œuf le plus bizarre qu'on puisse imaginer : le miracle naturel, le mystère mécanique, l'inspiration automatique ». À l'attaque de Fondane contre le surréalisme s'ajoute le chapitre de l'exégèse du courant qui relie la « technique » de dictée automatique aux découvertes de Freud, fondateur d'une science de l'inconscient.
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B. Fundoianu (I) - (janvier 25)
En commentant le livre d'Ibrăileanu L'esprit critique dans la culture roumaine (dans deux articles parus dans « Sburătorul literar »), Fundoianu présente implicitement son point de vue sur la critique roumaine. Son évaluation commence par la situation générale de la société roumaine. Notre espace étant soumis aux vicissitudes de l'histoire, nous avons joué un rôle « immense », dit Fundoianu, en endiguant les vagues d'envahisseurs se dirigeant vers l'Europe, mais ce mérite s'est traduit par une absence culturelle. Nous n'avons pas défendu notre culture parce que... nous ne l'avions tout simplement pas... Nos débuts ont été tardifs, à une époque où le continent occidental possédait déjà des traditions, une culture et une civilisation. Les emprunts aux pays développés étaient inévitables. « La voie n'était pas très bonne, mais il n'y en avait pas d'autre. C'est ainsi que commence « l'histoire culturelle des Roumains ». En d'autres termes, l'histoire des « moyens de transplantation des valeurs politiques, littéraires et historiques trouvées ailleurs ». Mais l'assimilation a nécessité un discernement dans le choix de ce qui nous aurait convenu, de ce qui pouvait être adapté à l'esprit local. Un esprit critique nécessaire. Jusqu'à Maiorescu, nous avions une critique culturelle parce que « la critique culturelle devait opposer quelque chose à la culture européenne qui se déversait sans mesure dans les Principautés : elle opposait à l'imitation littéraire sans limites un fonds propre : la poésie populaire ; à l'exagération et à l'hystérie, l'école critique opposait le bon sens... » A partir de 1880, cependant, son action cesse. « La critique culturelle, poursuit Fundoianu dans sa présentation de l'œuvre d'Ibrăileanu, constatant que la seule chose que nous faisions était l'importation culturelle, l'a encadrée ; mais à partir de 1880, que faisions-nous ? L'importation culturelle.../.../ Alors qu'avant 1880 nous étions conscients de ce phénomène et le surveillions, aujourd'hui notre vanité ne nous permet plus de le faire, nous apportons la culture sans contrôle, et c'est tout ». La déviation de la critique culturelle vers la critique littéraire a été l'un des plus grands dommages causés à la culture roumaine ». Bien qu'il semble que des progrès aient été accomplis depuis 1848, nous sommes en réalité restés au même niveau. On se souvient de la maturation des capacités d'expression, de la langue. « Depuis lors, le facteur culturel le plus important qui soit s'est constitué : la langue. C'est donc dans la langue que nous avons une petite tradition, c'est dans la langue que nous trouverons les limites des emprunts à l'Europe, c'est dans la langue que nous trouverons des modèles ». Mais ce n'est que dans la langue que nous trouverons des modèles - chez Odobescu, Eminescu, Arghezi, Galaction - poursuit l'auteur. Mais ils ne peuvent pas être présentés comme des modèles littéraires, car les pays étrangers peuvent fournir « un archétype » pour chacun d'entre eux. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'écrivains originaux, propres à la culture roumaine - leur modèle artistique peut être identifié ailleurs. Une conclusion soulignée dans l'esprit de la préface d'Images et livres de France : « La littérature roumaine n'a eu pour l'instant que la valeur d'un modèle linguistique - tout comme la critique roumaine (culturelle et littéraire) n'a eu d'autre valeur que celle de l'action, une valeur nationale, pragmatique - jamais esthétique, et donc jamais européenne ». En résumé, la manifestation de la critique culturelle avait été bénéfique en ce qu'elle permettait de prendre conscience de ce qui était pris ailleurs ; après le renoncement à ce type de critique et la diffusion exclusive de la critique « esthétique », la seule chose qui a progressé a été le raffinement de l'expression, de la langue littéraire, le reste se faisant sous l'égide de l'imitation. N'oublions pas l'exubérance des « esthètes » qui méprisaient la critique culturelle... Pendant longtemps, ce type de critique, post-majoritaire, a méprisé ce qu'avait fait Maiorescu. Il avait eu la mauvaise habitude de comparer les repères culturels européens avec les productions locales. Cette méthode a été abandonnée lorsque tout a été limité aux productions nationales. Dans les nouvelles circonstances, d'innombrables « grandes valeurs », « grands talents », « œuvres exceptionnelles », etc. émergent. La valeur est... amplifiée si le cercle des personnes pour lesquelles elle a un pouvoir de circulation est limité. Bien sûr, dans un village (nous avons longtemps été un pays éminemment agraire), il y a des gens à la tête de la communauté qui apparaissent différemment si on les place au niveau d'une ville (d'où le dicton roumain : mieux vaut être à la tête du village qu'en bas de la ville...) ; sans parler du changement de perspective lorsqu'il s'agit de comparer avec la littérature européenne ou mondiale... Le jeu avec les « grandes valeurs » locales commence avec le moment capté par Fundoianu - et se poursuit aujourd'hui. La conclusion du jeune commentateur est catégorique : « nous ne pouvons pas plus avoir une critique esthétique aujourd'hui que nous ne pouvions avoir une critique esthétique en 1840 ». La critique culturelle n'est pas seulement la seule possible, elle est la seule nécessaire ». L'imitation, qu'on le veuille ou non, est devenue la condition de la littérature roumaine - une condition qui se manifeste encore aujourd'hui. Dans tous les domaines, y compris la critique et la théorie littéraires. Ce que Fundoianu a dit il y a un siècle est toujours valable. L'exercice de la critique roumaine a la valeur d'une action nationale et pragmatique - un élément nécessaire pour réguler le fonctionnement d'une activité littéraire nationale. Dans un contexte plus large, dépassant les frontières de la culture roumaine, il est rarement devenu significatif.
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Cette excursion dans l'histoire de la critique roumaine devient l'occasion de clarifier sa propre position dans le contexte de la critique roumaine. Fundoianu avoue qu'il appartient « à l'école critique moldave de Russo, Kogălniceanu et des “Junimei” ». Il avoue avoir eu un moment l'idée de faire de la critique littéraire - mais la tentation « était là dès le début », « vaincue par le besoin national /.../ de remplir avant tout notre rôle d'importateur de la culture européenne ». L'auteur justifie donc son attitude dans Images et livres de France par un acte de critique culturelle. « J'ai expliqué dans le livre qui a assumé cette activité (Images et livres de France) pourquoi un livre sur les écrivains français est un livre de critique roumain - je l'ai expliqué comme un impératif culturel et, en même temps, comme un travail de sélection, de limites. Le texte de M. Ibrăileanu nous aide à sortir du chaos ; nous revenons alors au point de départ de Maiorescu, à la critique culturelle, c'est-à-dire à la critique des possibilités de croissance, d'enrichissement et de désassimilation d'une culture ». L'examen des thèses dans L'esprit critique dans la culture roumaine est suivi par la question de la contribution roumaine à la culture universelle. (Non sans avoir reproché à E. Lovinescu, dans la revue duquel il a publié, de s'être limité à la littérature, celle-ci ne pouvant exister seule, mais devant être liée à l'ensemble de l'existence culturelle...) « La culture roumaine n'a-t-elle rien apporté de nouveau, rien de spécifique ? /.../ Aucune contribution, heureuse et nouvelle, n'a pu être produite depuis notre apparition dans l'histoire ? » La réponse n'est plus catégorique, comme dans le cas de la préface incriminée - bien qu'elle ait une certaine touche d'originalité. L'idée d'attribuer l'un des traits marquants de la vie historique des Roumains à... leur passion pour les livres est en effet inédite. (Il convient de souligner que cette remarque remonte à 1922, lorsque ce compte rendu du livre d'Ibrăileanu a été publié dans « Sburătorul literar » ; car s'il était question de l'amour des livres chez nos compatriotes aujourd'hui...) L'auteur poursuit en disant que les Roumains croient au monde des livres, aux libraires - transformés ainsi par Fundoianu en un peuple de livres... Nous avons apporté quelque chose de nouveau - d'une valeur culturelle inimaginable - et si nous devons toutes nos infirmités à cette nouveauté, nous lui devons, en retour, le fait d'avoir une existence nationale, une physionomie. Mais cet apport n'est pas le fait de la génération de 48, il remonte aux sources les plus anciennes de l'histoire roumaine : les chroniqueurs en ont été les véritables créateurs. La Roumanie d'aujourd'hui, d'origine obscure, traco-roumaine-slavo-barbare, doit son existence et son appartenance européenne actuelle à une erreur féconde qui est devenue, au service de l'instinct de conservation, une idée fixe : l'idée de nos origines latines. Sans cette illusion, nous serions peut-être restés une tribu incohérente et balkanique. L'histoire politique et culturelle des Roumains n'est rien d'autre que l'histoire et l'aventure de cette idée fixe et féconde. /L'illusion d'Israël, par exemple, d'être le peuple élu, l'a poussé vers son aventure, unique dans l'histoire. Notre illusion, transformée en vérité, d'être latins, a créé un pays et nous a donné des besoins européens, dont le premier est de faire partie de l'Europe. Nous sommes latins depuis aussi longtemps que nous pensons l'être, c'est-à-dire depuis environ 300 ans. Notre culture a alors apporté sa seule et plus grande note spécifique ; l'idée de notre latinité est un produit exclusivement culturel, mais avec des fruits culturels et politiques. . Si elle nous a poussés vers la France, et si notre rôle de colonie de la France était inévitable, c'est une conséquence de la prémisse que nous sommes latins - voici le revers de la médaille. » Fundoianu en tire les conclusions qui s'imposent : « Si l'idée que nous sommes latins nous a été d'une utilité inimaginable, cette idée nous empêche aujourd'hui d'élaborer l'autre note spécifique sans laquelle nous ne pouvons pas exister. » Si nous restons de simples « consommateurs de la culture européenne », nous ne pourrons pas créer une identité européenne distincte - une idée que l'on retrouve chez de nombreux analystes du phénomène roumain dans la première partie du XXe siècle - en commençant par Iorga et en finissant par Cioran. L'article, publié la même année que Images et livres de France, se termine par un espoir. « Espérons que le temps viendra où nous pourrons apporter notre contribution personnelle à l'Europe. Il y a un siècle, Bielinski et Tchaadaef pensaient tous deux que la Russie n'apportait rien de nouveau à l'Europe, si ce n'est le samovar. La Russie est née après cette ironie, qui était à l'époque une vérité, une vérité douloureuse. La Roumanie se trouve dans la même situation que la Russie vue à travers les lunettes de Bielinsky. Attendons. D'ici là, observons l'assimilation continue de la culture étrangère (qu'elle se fasse plus lentement, mieux et plus personnellement que le code civil de 1865) ; revenons donc à la critique culturelle ». Sa critique visait, comme on peut le voir, un effet constructif. D'une manière spécifique.
32) Le jeune Fundoianu (III) - (Fev 25)
B Fundoianu ne figure pas parmi les noms d'écrivains cités partout, lors de réunions officielles ou d'occasions moins officielles... Cette discrétion est quelque peu compréhensible - bien que regrettable - compte tenu de son type d'écrivain, que l'on peut considérer, sans exagération, comme unique - du moins dans l'espace culturel roumain.
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Fundoianu est sans aucun doute un personnage non conventionnel. Mais non conventionnel dans un sens particulier - nous pourrions l'appeler un... authentique non conventionnel. Un homme au destin tout à fait singulier - dans la culture et dans la vie. Pourquoi une telle précision ? Parce que même les non-conventionnels ont tendance à agir en troupeau. Ainsi, les innovateurs, les démolisseurs de statues, à leur tour, tombent rapidement dans la routine... Les groupements, les alliances, etc. annulent l'arrogance de la singularisation. Ce n'est pas le cas de Fundoianu. Les personnes vraiment indépendantes sont seules, elles n'appartiennent pas à des groupements, des mouvements littéraires, artistiques, etc. J'utilise ici le terme conventionnel dans le sens de lieux communs, acceptés, répétés, mis en discussion par instinct. Dans la culture, le conventionnel est un danger. La création culturelle est le résultat de l'action des individus - même si les « gloires » du domaine sont favorisées par... les réseaux de propagation des actes culturels. L'histoire de la culture est tracée par des explosions individuelles se produisant dans le cours égalisateur du continuum... des actes culturels communs... La communication gère la perception des valeurs authentiques, elles n'appartiennent qu'aux individus. Fundoianu est sans aucun doute un écrivain moderne - sans être affilié à aucun groupe.
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B Fundoianu (le futur Benjamin Fondane) publie dans des revues roumaines depuis son adolescence. Au moment de sa migration définitive en France (à l'âge de 29 ans), il a écrit un nombre impressionnant d'articles et d'essais dans la presse de l'époque, ainsi que des poèmes. Le volume Imagini și cărți din Franța (Images et livres de France), qui rassemble une partie de son travail médiatique en langue roumaine sur les écrivains français, paraît en 1922 - lorsque la décision de passer à la scène culturelle française est prise. (Il convient de noter que sa vaste activité journalistique en roumain est largement anthologisée dans l'important recueil Imagini și cărți, publié par la maison d'édition Minerva, 1980, avec une étude introductive de l'un des meilleurs connaisseurs de l'œuvre de l'auteur - le critique Mir- cea Martin.) Sa personnalité culturelle commence à se révéler dès les premières manifestations médiatiques. Dès le début, son écriture se caractérise par un trait qui le distingue. B Fundoianu ne se subordonne pas aux sujets qu'il traite - et ce, non seulement dans l'expression tranchante de jugements personnels, rarement ... conventionnels, mais aussi dans ses incursions dans de nombreux domaines, de la poésie à la philosophie, en passant par l'histoire, la sociologie... Dans ses contributions de vulgarisateur, il élargit toujours l'horizon du commentaire et place la littérature, les arts et les idées en relation avec les développements sociaux et historiques, aspirant dans la plupart des cas à imposer des méditations intégratives. La critique, selon lui, doit nécessairement aboutir à... l'esthétique. « On pourrait dire de la critique : intelligence créatrice. Et l'intelligence créatrice comprendra la sensibilité créatrice. Le critique, dans ce cas, aura une somme de vertus qu'on appelle l'esthétique ». L'opération imposée au critique devrait être de différencier les individus créatifs authentiques - et il y a « autant d'esthétiques que d'individus ».
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Le désir de Fundoianu d'imposer un certain mode de commentaire - dans lequel la liberté de pensée prédomine - est perceptible dès les premières années de sa présence dans les pages des publications. En cela, il se distingue radicalement du critique typique - qui est, par définition, un glossateur. Le jeune intellectuel n'est jamais - même plus tard, lorsqu'il tombe sous le charme de Shestov - soumis au livre, au phénomène, etc. qu'il commente ; au contraire, on le voit faire un effort, et le rendre visible, pour adapter sa liberté aux contours de ce qui est commenté. La règle des glossateurs - ne jamais dépasser les contours du modèle commenté, lui obéir - n'est pas acceptée. Une telle attitude n'est pas présente dans la structure génétique de l'auteur. La capacité à développer le commentaire va au-delà du modèle. Fundoianu a dès le départ une vocation spéculative, il tend vers des constructions théoriques ambitieuses - ainsi seront ses livres publiés plus tard en France. Il a une vision intégrative - c'est pourquoi il est plus proche de la critique d'Ibrăileanu, par exemple. Comme nous l'avons montré, la critique, dans son rôle de critique culturelle, lui semble être la seule critique appropriée à la condition de la littérature roumaine.
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C'est dès ses premiers articles que nous apprenons l'existence d'options littéraires dans l'espace littéraire roumain. Pour Fundoianu, l'écrivain roumain le plus important après Eminescu est Arghezi. C'est un choix naturel, étant donné les critères sur lesquels se fondent ses dissociations de valeurs : l'expression, la langue dans laquelle l'oeuvre est réalisée et le style. « Un écrivain n'est pas jugé sur ce qu'il a réalisé en termes d'idées, mais sur ce qu'il a réalisé en termes de langage. Par ce qu'il a réalisé dans la langue. Eminescu a créé la langue roumaine. Arghezi a cassé le moule et l'a créée à nouveau ». Arghezi est, nous dit-on, le seul écrivain roumain à avoir créé « un style qui lui est propre ». Et bien qu'écrites il y a un siècle, ses analyses sont toujours justes et valables aujourd'hui.
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Dans l'un de ses premiers articles de périodique, anthologisé dans ce recueil, il commente un livre aujourd'hui oublié, le futur écrivain de langue française méditant sur le destin de la littérature. Le style du commentateur est encore hésitant, tenté par... des images plastiques du... règne végétal. mais la « scène » est globale, sans généralisation. « L'homme ne veut pas être ignorant. Il y a de la médiocrité, pour qu'il y ait de la médiocrité, et sa pensée jette des mots, comme on jette du millet pour des canaris. Dans le monde littéraire, personne n'est tenu pour responsable. Nous écrirons donc sur la littérature de demain. » Bien sûr, un sujet trop vague le circonscrit à des observations générales. Nous ne connaissons pas le présent même si nous parlons de ce qui se passe dans le monde. « Mais la connaissance n'est pas nécessairement une condition de l'écriture. L'individu inculte réduit l'univers à l'intuition. » Le cheminement de la pensée est encore hésitant, mais l'auteur est clair sur ses repères. Le présent est mal connu, mais il s'agit de l'avenir de la littérature... La réalité est représentée par la domination... du sens commun. Dominé - hier, dominé aujourd'hui... - par la médiocrité. « Nous aimons la médiocrité et l'art national, parfois le talent.
La guerre venait de se terminer, et les gens de l'époque étaient « dans un âge de népotisme » ; la guerre allait donner naissance à une nouvelle mentalité ; mais les grands événements sociaux, observe-t-il, ne troublent pas beaucoup les grands écrivains : les grands écrivains du passé ne trahissent pas leur contemporanéité avec les événements sociaux troublés... Et le jeune auteur (l'article est publié en 1919, alors que l'auteur a à peine 20 ans) se lance déjà dans un projet : « Nous nous donnons pour tâche de prouver un jour que c'est faux et que les mouvements littéraires ont moins de rapport avec les mouvements sociaux qu'on ne le croit généralement. » Et de conclure, sceptique et catégorique : « La littérature de demain ? Mais l'espèce humaine, pourrie et bâtarde, sera-t-elle capable de produire une littérature de demain ? » L'article n'est pas bien articulé, ni stylistiquement précis, mais il montre d'emblée la tendance de l'auteur à passer de faits peu significatifs à des images globales. Et tant qu'à faire, notons aussi une définition personnelle de l'histoire littéraire (tirée d'un autre article) : « L'histoire littéraire /.../ n'est pas seulement une sélection : c'est un cimetière. C'est l'histoire des épidémies littéraires ». Après les... épidémies littéraires... par lesquelles nous sommes toujours passés, y compris au cours des dernières décennies, nous pouvons constater qu'il est difficile de prouver une telle affirmation. Chaque épidémie avec ses morts - les gloires d'un moment, honorées dans l'histoire des épidémies littéraires.... dont les historiens de la littérature ne parlent plus guère...
En restant dans le domaine des premières clarifications de Fundoianu sur la création littéraire, il convient de noter ses réflexions sur le langage littéraire - qui coïncident avec les réflexions sur le langage littéraire de certains théoriciens de l'école du formalisme. Bien entendu, il ne fait allégeance à aucune école littéraire. Mais il affirme avec force que la langue littéraire est la langue écrite - qui est très différente de la langue parlée. Connaître le roumain à l'écrit est très différent de connaître le roumain à l'oral. Je dirais que leur sens est aux antipodes. Dans la phrase parlée, l'homme est un reproducteur. Sa langue est un pastiche, plutôt une copie de la langue qu'il a apprise enfant, bien mémorisée, les mots ne se détachant pas des objets qu'ils représentent. L'artiste, dans le langage, est un créateur. /Jusqu'à ce qu'il puisse voir son originalité dans autre chose, l'écrivain est obligé de la montrer dans la langue. // Son devoir est de donner naissance à de nouveaux mots ou de tuer les anciens. Laver les mots de la rouille ou changer leur sens. Les mettre dans un ordre différent, afin que du nouveau rapport jaillisse avec véhémence non pas la clarté des mots, mais la clarté de l'image évoquée à partir des mots comme un décalque ». La langue devient un matériau que l'écrivain doit modeler, comme le plasticien le matériau avec lequel il travaille. L'artiste utilise le langage de manière très différente de ceux qui écrivent des messages pratiques. La conclusion ? « ...il y a un génie de la langue /.../ , un génie qui permet la liberté, dans les limites d'une ethnie stable. » Il en déduit que la liberté est limitée par le sens commun propre à la langue roumaine. Spécificité qui, bien sûr, peut varier dans le temps, qui évolue. D'ailleurs, les noms cités par l'auteur (Dosoftei, Miron Costin, Creangă, Arghezi) à des époques si différentes confirment une évolution évidente.
Pas une seule fois au cours de ses observations, les remarques ne s'étendent à des jugements généraux sur la dynamique des espaces culturels. Une discussion sur le symbolisme roumain l'amène à constater qu'à l'époque le symbolisme en France avait quelque 70 ans, alors que dans notre pays il n'était présent que depuis 20 ans... Il fixe, sans l'avoir suivi, le décalage de plusieurs décennies qui apparaît toujours dans notre pays entre les applications locales et les modèles artistiques copiés dans les centres où ils se développent. Ce décalage est encore présent aujourd'hui - je l'ai signalé dans mon essai Postmodernisme postfestum.
Comme je l'ai mentionné, les commentaires dépassent le domaine strictement littéraire. C'est souvent le cas lorsqu'il s'agit d'auteurs paradigmatiques - Creangă, par exemple, considéré comme « le pur écrivain roumain ». « Creangă reflète /.../ avec une clarté effrayante, les vertus, ainsi que les défauts de l'âme roumaine, il désigne sa capacité, clarifie ses possibilités et indique ses limites. » Voyons comment Fundoianu voit le monde roumain tel qu'il apparaît dans les écrits de l'auteur de Humulești (d'autres l'ont également fait, considérant Creangă tout aussi représentatif dans ce sens) : » Voilà, une sensibilité stagnante et superficielle, comme un étang ; une absence de fantaisie ; une volonté qui se dessèche vite et pas de pensée du tout ; les mots sont plastiques avec excès ; jamais musicaux, ils vivent de leur beauté, seule ; l'humour, autant qu'il y en a dans les proverbes, dans les ronflements, dans les cimetières ; la narration pour la narration (comme aux séances de spiritisme), sans qu'il soit nécessaire de donner à l'anecdote une cible ou une coquille de symbole. » Au cours de l'analyse des écrits de Creangă, Fundoianu arrive à une conclusion qu'il soupçonne lui-même d'être choquante - mais qui n'en est pas moins valable. « Creangă est un artiste - et un artiste des mots - dans le même sens que l'art de Mallarmé peut avoir un sens. » Le rapprochement devient possible en direction de la magie des mots, qu'il découvre dans les deux cas - les mots eux-mêmes, avec leur matérialité, avec leur... existence indépendante. Car ce n'est qu'une telle position à l'égard des mots qui rend possible une lecture correcte de Creangă. Mallarme est un artiste ... qui aimait les mots comme des idoles », Creangă est “un artiste qui rencontre joyeusement les mots pour la première fois”. Une telle lecture exige une maturité artistique. Fundoianu affirme également que l'écriture de Creangă n'est en aucun cas destinée aux enfants - contredisant ainsi un cliché pédagogique persistant.
Le jeune Fondoianu (IV) - (mars 25)
Dès son plus jeune âge, Fundoianu annonce la perspective dans laquelle il percevra les phénomènes culturels. Il se contente rarement de simples critiques (dans les magazines culturels) ou de comptes rendus de livres (dans les publications scientifiques) - le plus souvent, ou de simples résumés des œuvres présentées. Dans des commentaires sur différents auteurs ou dans des réponses directes à des points de vue contraires, Fundoianu s'attaque à des questions fondamentales. Certains auront sans doute vu dans cette tendance une qualité, d'autres un défaut. Il est beaucoup plus confortable de lire une critique dans laquelle on vous raconte une histoire que d'être soudainement jeté au milieu d'une controverse d'idées - comme cela se produit, une fois n'est pas coutume, dans les écrits du jeune gazetier/essayiste. Fundoianu traite d'un large éventail de sujets, mais la littérature prédomine, et parmi les écrivains, il est surtout attiré par les auteurs français, anciens et nouveaux. Remy de Gourmont est un auteur qui plaît particulièrement au jeune Fundoianu. Cette attirance n'est pas inhabituelle, elle est caractéristique de son futur parcours intellectuel. Remy de Gourmont (1858-1915) a vécu à une époque d'effervescence intellectuelle, avec des contemporains favorables à l'originalité - mais même à cette époque, il s'est distingué par sa trajectoire particulière, par la culture d'idées non conformes à l'esprit du temps, par ses dissociations originales - bref, il a été un auteur singulier, en cela il s'est distingué de beaucoup de ses contemporains. Chez Remy de Gourmont aussi, on trouve ce qui fixera plus tard le profil de l'auteur roumain : dépasser les « limites » des sujets commentés, englober les phénomènes dans des cercles concentriques de méditation qui s'éloignent progressivement du centre, du point de départ... La même soif de questions, dissipée dans des genres variés (romans, commentaires critiques, littérature d'idées), tout comme Fundoianu s'illustrera dans des genres multiples... Son commentateur le suit même dans l'exploration des problèmes grammaticaux. Identité même dans... les détails. Remy de Gourmont avait dit que « ...un écrivain, qu'il soit poète, philosophe ou romancier, doit être aussi grammairien ». J'ai déjà mentionné la préoccupation de Fundoianu pour la syntaxe. L'un des problèmes culturels qui préoccupait le jeune intellectuel était le rapport entre la modernité et la tradition. Et il trouve une illustration de ce rapport chez Remy de Gourmont. De manière apparemment paradoxale, Fundoianu estime que « la tradition ne se respecte pas en imitant, mais en innovant ». Parce qu'imiter signifie user et vulgariser, l'auteur commenté a fui la tradition, la trouvant ainsi « au bout du chemin, née de l'effort ». « Il a trouvé la tradition comme on trouve, quand on fuit la photographie et la description, la nature ». À travers l'image, Fundoianu affirme que Gourmont trouve ainsi les vraies racines, la tradition authentique, inattaquable dans les reproductions conventionnelles. Il convient ici de noter comment Fundoianu en vient à pratiquer le commentaire critique. Ses textes abondent en images de ce type, ce qui a été « critiqué » par les commentateurs du volume Images et livres, qui comprend également ses commentaires sur Remy de Gourmont. L'auteur y répondra dans le cycle d'articles Critique - vieux problèmes dans « La Rampe ». La réponse, qui concerne un conflit vraiment ancien, entre la critique scientifique et la critique dite d'impression, mérite sans doute un commentaire à part. Pour l'instant, notons qu'aux objections de Felix Aderca, le critique de son livre, qui pensait que dans la critique il fallait maintenir le niveau d'un discours rationnel sans métaphores, l'auteur répond que la critique ne peut pas être séparée de l'art - de sorte que l'utilisation d'images est tout à fait justifiée. Le plaidoyer de la série d'articles susmentionnée est toujours d'actualité - aujourd'hui encore, la querelle de la critique scientifique contre la critique d'impression est parfois déclenchée... Mais revenons au commentaire sur les écrits de Rémy de Gormont. J'ai mentionné la variété des genres dans lesquels Gormont s'exprime. Fundoianu estime que dans cette variété, la critique littéraire occupe néanmoins la place dominante. Et le critère esthétique a toujours été présent dans l'exercice de ses multiples capacités critiques. Le résultat des incursions de l'auteur français dans divers domaines peut donc être réduit à la critique littéraire. Car, conclut Fundoianu, « ...ayant bien établi que, faux dans la connaissance, le monde comme représentation reste un postulat de la critique littéraire. Et Remy de Gourmont pensait que cela suffisait ». Dans son deuxième essai consacré à Remy de Gourmont (L'idéalisme de Remy de Gourmont), il approfondit la question de savoir si la critique doit se situer du côté de la science ou du côté de... la sensibilité. L'art est la création du monde selon sa propre sensibilité. « Avec la naissance de la représentation, le pouvoir de l'art est né ». Ces représentations ne sont pas identiques pour tous les individus (si elles étaient identiques, l'art n'existerait pas). La critique a cherché à expliquer l'essence de l'art, mais en utilisant des méthodes « biologiques, économiques ou mécaniques ». Mais « avant d'avoir une méthode pour connaître les choses, il fallait savoir de quoi se compose la connaissance. Nous devions savoir /.../ de quelle manière notre perception force la réalité à changer ». C'est un principe qui a transformé les sciences exactes - depuis que l'on a compris que l'observateur influence l'observation. Ces précisions sur la subjectivité de la perception permettent à Fundoianu de conclure que le critique est « un fabricant de représentations personnelles comme l'artiste ». Mais ses représentations sont différentes. « Dans la critique dogmatique, le critique impose sa représentation, comme la première loi de l'esthétique. Sa représentation s'appellera : tradition, bon sens, et, au nom de ces deux idoles, tous les autres qui auront osé se révolter seront pendus. » Si nous transposons l'observation de Fundoianu à la réalité du commentaire littéraire d'aujourd'hui, nous reconnaîtrons non seulement la lutte récente entre... la vieille... critique (celle qui mettait au premier plan la capacité de recevoir l'œuvre et de systématiser les impressions comme support de l'action critique) et la critique scientifique (qui, du structuralisme aux idées de Franco Moretti - inspirées de celles d'Immanuel Wallerstein sur le système mondial - sont, en dernier ressort, la transposition des méthodes des sciences sociales, économiques, etc. au phénomène culturel). Il ne s'agit plus, comme dans la critique dogmatique envisagée par Fundoianu, d'imposer à l'art les représentations d'un critique particulier, qui transforme ses perceptions en un dogme généralement valable - mais, dans le cas de... la critique scientifique moderne, d'appliquer aux analyses littéraires des méthodes formulées dans d'autres types de recherche. Bien entendu, les deux hypostases critiques ont des limites évidentes, qui dépendent de plusieurs facteurs, dont la spécificité culturelle de l'environnement dans lequel elles sont pratiquées. Si nous nous référons à des cas concrets, prenons la réalité critique roumaine, avec ses hypostases caractéristiques. En ce qui concerne la critique impressionniste, dans laquelle les particularités de l'« appareil réceptif » du critique sont au premier plan et sont d'une importance égale aux moyens d'expression qui parviennent à imposer l'auteur, les personnalités convaincantes de Lovinescu et de Călinescu se distinguent. Gherea et Ibrăileanu ont été des critiques notables qui ont vu le phénomène littéraire encadré par des déterminations dépassant les limites strictement esthétiques, pour se référer aux classiques du genre. Cependant, en général, si nous nous situons au niveau de la vie littéraire actuelle, conformément à la spécificité culturelle locale, que trouvons-nous ? D'une part, une critique feuilletonesque, dite d'impression, censée fixer une lecture personnelle, subjective - mais qui (à l'exception des personnalités, qui se comptent sur les doigts d'une main, le cas échéant) a le comportement général de clans, de ghettos, de bandes, si l'on veut, dont les intérêts... dirigent... en fait... des impressions personnelles... ..... Ce genre de critique, avec les exceptions qui apparaissent toutes les quelques décennies, voire plus rarement, sont, sous la façade de... la critique impressionniste, la voix des groupes d'intérêt (c'est une question d'impression, mais l'impression du groupe envers les alliés, les ennemis, les non-alignés, etc.) D'autre part, la critique dite scientifique a connu des épisodes clairement délimités par la vogue des orientations critiques venant de l'extérieur. C'est ainsi que nous avons eu une ère de critique stylistique, une ère structuraliste, post-structuraliste, sémiotique, postmoderniste, et aujourd'hui une ère... d'extraction... morettienne, pourrait-on dire (la théorie des centres d'influence et des zones périphériques de Franco Moretti s'applique parfaitement ici... Il y a des zones qui, comme on le voit, restent définitivement périphériques...) Il s'agit d'applications - toujours et seulement d'applications - de méthodes empruntées à l'un ou à l'autre camp. (la France il y a quelques décennies, les USA aujourd'hui, on verra demain). Bien sûr, on ne peut pas être mainstream si l'on n'est pas en phase avec les autres ; les habitudes culturelles sont devenues universelles : tout le monde porte des jeans bleus et des t-shirts, manie les smartphones et s'inscrit sur les réseaux sociaux. La personnalité est reléguée à l'arrière-plan. Dans une critique comme dans l'autre, le trait dominant est spécifiquement local, conforme à la structure culturelle : le groupe, la société de type médiéval... La pratique de groupe les unit, elle est caractéristique, en fait, des deux camps, en tant que trait spécifique...
Nous avons insisté sur une caractéristique locale pour souligner la sigularité de la personnalité de Fundoianu. De l'œuvre de Gourmont, notre analyste dégage les opérations proprement subjectives : « Devant les choses, dit Gourmont, les hommes font des associations et des dissociations d'idées. Certains associent des relations : mots, images ou sentiments. D'autres dissocient. L'artiste opère sur les sentiments. Le critique, sur les idées. Le critique est un créateur, comme l'écrivain ». Le critique cherchera l'originalité dans ses œuvres (il fallait bien en arriver à cette banalité...). Mais là encore, nous tombons dans le bourbier des incertitudes qui ne peuvent être résolues que par le caractère, l'indépendance, le non-alignement - car rien n'est plus facile à proclamer ou à nier que... l'originalité. A condition de ne pas confondre l'originalité avec le goût délibéré du choc - qui a été atteint par les avant-gardes artistiques - qui est autre chose ; et le choc délibéré, programmatique, sans autre ambition, est l'élément le plus éphémère de l'art.
Selon Fundoianu, la méthode de Gourmont consiste en deux opérations. L'une de différenciation, l'autre de mise en situation. La première justifierait l'histoire littéraire - la seconde, la mise en situation (par le style) serait la critique proprement dite. Mais la méthode seule ne suffirait pas. On ne devient pas critique en s'appropriant une méthode. Pour être critique, « il faut du talent, de l'intuition, du goût ». « La critique ne fait plus partie de la physique ou de la géométrie. Elle fait partie de l'art, aussi légitime que l'œuvre, aussi belle et aussi égale ». Après un détour instructif par l'œuvre de Gourmont, Fundoianu en arrive à des vérités connues depuis toujours. L'œuvre critique n'est que le résultat du talent, de l'intuition, de la personnalité, de la capacité d'expression... Des choses connues. Mais la fascination des essais de Fundoianu publiés en roumain réside aussi dans le parcours nécessaire pour y parvenir.
Constantin Pricop - Point de bascule - Avril 2025 - Expres Cultural - trad G&J
Les drames historiques sont-ils « négligés » par les écrivains, par les gens de culture en général ? Ceux-ci se sentent-ils plutôt libres de fréquenter les cercles littéraires, les lancements, les éloges et les ignorances mutuelles, de donner des spectacles sans problème là où on les sollicite ? Selon certains, c'est une vie normale, comme elle doit être, sans être perturbée par ce qui ne relève pas du domaine dans lequel chacun excelle... B. Fundoianu constatait (dans l'article Literatura de mîine - Littérature de demain, écrit alors qu'il était très jeune) que les grands bouleversements de l'histoire... ne laissent aucune trace dans la littérature. Corneille, Racine, Molière, Boileau, observait-il, étaient contemporains des guerres de Louis XIV, mais leurs écrits n'en font nullement mention. Goethe et Schiller auraient été « contemporains du désastre allemand », mais ils ne sont pas devenus plus pessimistes. Il ne découvrirait qu'une seule exception : « Seul le romantisme français, c'est-à-dire sa source, pourrait être soupçonné de concubinage avec la révolution. » Si l'on ajoute mon observation, on dirait que le romantisme allemand était beaucoup plus lié aux événements historiques - le romantisme allemand étant à l'origine du nationalisme ethnique - qui efface encore aujourd'hui les consciences à un certain stade de développement... À la fin de l'article en question, Fundoianu se proposait de prouver - qu' un jour, dans le futur – « que les mouvements littéraires ont moins de liens qu'on ne le croit avec les mouvements sociaux... ». Cette observation aurait pu être une réponse abrupte au type de littérature exigé avec insistance par les dictatures de divers types, par les partis totalitaires, qui prétendaient que l'art devait... refléter rapidement et sans déviation les réalités sociales (en fait... les réalisations du régime, car toute... réflexion critique était rapidement censurée...). L'observation de Fundoianu doit être replacée dans un contexte plus large. Elle ne concerne pas seulement la nature du talent artistique, propre à chacun, mais aussi les structures sociales dans lesquelles l'artiste résonne plus ou moins avec les réalités qui l'entourent. Il suffit de penser que dans un monde où les communications avaient la vitesse d'un courrier à cheval, l'auteur pouvait non seulement s'isoler, mais s'il ne vivait pas dans les rares villes densément peuplées de l'époque, il était en fait isolé et ne pouvait que réfléchir aux traits généraux et permanents de l'humanité. Bien sûr, l'isolement n'était pas obligatoire, ce qui importait davantage, c'était le rythme auquel ces mondes évoluaient et, comme nous l'avons montré, les types de sensibilité des créateurs. L'étude de la relation entre les œuvres des écrivains et les événements qu'ils vivent est un vaste sujet de recherche et d'étude. Des personnalités importantes ont résonné aux grands événements de l'histoire (passée ou contemporaine), de Homère à Léon Tolstoï et à de nombreux écrivains contemporains. Mais ce qui me semble plus important, ce n'est pas tant la manière dont un poète, un prosateur, un essayiste, etc. présente les événements dont il est témoin, mais les mutations culturelles que les séismes de l'histoire peuvent produire dans l'espace culturel. La question n'est pas simple et n'a pas de réponse unique. Mais nous ne pouvons pas ignorer que nous nous trouvons actuellement à un tel tournant et nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur les conséquences que cela pourrait avoir pour l'avenir des générations futures, voire de l'humanité... Des événements graves se produisent dans le monde - il se pourrait que dans un an, voire moins, nous jetions un regard nostalgique sur l'équilibre relatif auquel nous nous sommes habitués... Les grandes puissances manœuvrent pour modifier l'équilibre des forces mondiales, équilibre stable depuis les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Cela a été près d'un siècle de paix. Aujourd'hui, l'Europe est prise entre l'agression barbare de la Russie en Ukraine (et, comme on pouvait s'y attendre, avec une menace pour d'autres régions) et les décisions (disons pour l'instant... controversées) de la nouvelle administration américaine. Sous cette tension, les petits États semblent avoir un rôle négligeable s'ils ne s'unissent pas et n'agissent pas ensemble. C'est une renaissance de l'époque des grands empires et des confrontations mondiales entre eux. Pour rester un élément décisif dans cette sarabande pleine d'imprévus, l'Europe unie doit s'adapter, se reconfigurer. Au cours des deux dernières décennies, des mutations économiques importantes se sont produites, même si elles ne sont pas perçues par la majorité de la population. L'UE a mis en place des systèmes de protection sociale, des restrictions écologiques, etc. qui ont assuré aux Européens un niveau de vie supérieur, sans les privations dues aux crises de toutes sortes. Les données statistiques montrent clairement comment les choses ont évolué. En 2005, le PIB de l'UE et des États-Unis, zones d'importance majeure dans l'économie mondiale, était à peu près égal, avec un léger avantage pour l'économie de l'UE. Aujourd'hui, selon le même indicateur économique, l'économie américaine est manifestement plus importante, presque le double de celle de l'UE. Sur le plan militaire non plus, l'Europe n'a pas progressé, s'appuyant sur le garant universel de la paix, les États-Unis. L'Europe est aujourd'hui confrontée à des défis majeurs, tant sur le plan économique, suite aux droits de douane imposés par l'administration Trump, que sur le plan militaire (l'agression de la Russie contre l'Ukraine est entrée dans sa quatrième année de conflit sanglant). Le mode de fonctionnement de l'UE montre ses limites ; l'unanimité dans la prise de décision est une exigence remarquable du point de vue démocratique, mais elle devient aujourd'hui un obstacle sérieux en temps de crise, lorsque des composantes telles que la Hongrie ou la Slovaquie, au lieu de consacrer l'unité, deviennent les soutiens de l'adversaire. Face à ces nouvelles réalités, il n'est pas difficile d'imaginer que les puissances du continent puissent envisager des solutions encore inconnues mais absolument nécessaires. Soit l'UE devient une fédération, avec tout ce que cette transformation implique, soit elle se restreint pour former une alliance compacte entre les pays qui ont le plus de poids, principalement ceux de l'ouest et du nord du continent, en se débarrassant des éléments excentriques. Actuellement, la tendance est à l'élargissement de l'UE, mais si l'évolution mondiale l'impose, le processus pourrait s'inverser. Parmi les États qui ont été sous la botte russe, les pays baltes, la Pologne, la Slovénie et la République tchèque continueront à faire partie de l'Europe unie, en vertu de compatibilités culturelles évidentes - les autres pourraient rester à l'écart - ou devenir une partie grise de l'Union, où leur importance sera considérablement réduite (y compris en matière d'aide économique...). Le poids culturel dans les évolutions actuelles est indéniable. On constate deux orientations contradictoires. D'une part, l'esprit pro-européen, qui exige une plus grande cohésion de l'UE ; d'autre part, un courant dit souverain, en fait extrémiste pro-Poutine... La Russie a réactivé ses prétentions impérialistes - elle a toujours été définie par une mentalité impérialiste qu'elle ne peut manifestement pas dépasser. Elle reste une puissance dont l'idéal principal est de s'étendre sur de nouveaux territoires, prête à sacrifier ses ressources matérielles et humaines pour réaliser son ancienne tendance à subordonner d'autres pays, d'autres peuples. Il est difficile d'imaginer qu'elle sera prête, dans un avenir plausible, à renoncer à sa disposition permanente à l'agression. Au crépuscule de son règne, Poutine s'est lancé dans une agression brutale contre la civilisation européenne. La guerre en Ukraine n'est qu'un premier pas. L'Europe a toujours été considérée comme une menace pour le projet eurasien qui anime depuis toujours la Russie, quel que soit son ordre social ; il est illusoire de penser que les projets de Moscou vont fondamentalement changer à l'heure actuelle. La haine de l'Europe, de la démocratie, de la modernité, l'idée de soumettre le continent au bon vouloir de Moscou font partie des projets de la Russie. Ses « penseurs » nationalistes, anciens ou nouveaux, ne peuvent concevoir autre chose que... l'Eurasie, une Eurasie russe bien évidemment.
Après la Seconde Guerre mondiale, Staline avait mis la main sur la moitié de l'Europe. Pendant des décennies, dans les pays dominés par l'empire communiste, Moscou a coupé et pendu, instauré la terreur policière, la censure, « contrôlé » le développement économique, modifié la composition sociale, détruisant effectivement les anciennes élites et en érigeant de nouvelles... « élites ». Ces « élites » ne peuvent dépasser leur ancienne condition de vassalité vis-à-vis de la Russie. Une mentalité dont une partie des citoyens des pays autrefois soumis ne se sont pas encore débarrassés aujourd'hui, une attirance qui persiste, dans une proportion destructrice, et qui fait obstacle à l'évolution européenne de leurs communautés. Il est évident que des intellectuels de qualité se sont manifestés entre-temps, certains formés dans les écoles occidentales, mais le mal est profondément enraciné et même certains de ceux qui ont été éduqués dans l'esprit de la démocratie sont tombés, peut-être sans être conscients de la réalité de l'époque, ou conscients, coupables de cela, dans le piège des tendances de l'impérialisme russe…
Dans un contexte mondial agité où l'UE a un rôle important à jouer, la Roumanie est bloquée dans des débats sur un usurpateur auquel l'État n'a pas su – ou n'a pas voulu – réagir comme il se doit. L'ascension de personnes portées par une vague de manipulations étudiées sur les réseaux sociaux, soutenues par des nostalgiques, des membres des services secrets et même des délinquants, montre que la démocratie européenne est encore fragile chez nous, aussi fragile que possible. Sur le plan extérieur, les conséquences de cet épisode peuvent être graves. Des émissaires du Premier ministre ont transmis à l'administration Trump des messages qui montrent en substance que la situation est instable, même au sommet de la hiérarchie. L'opinion publique dans le pays est focalisée sur... le spectacle avec lequel un tiers des électeurs menace de mettre fin à l'européanisation de la Roumanie. L'apathie de la majorité pro-européenne ne peut rester sans conséquences importantes.
Un changement de paradigme à l'échelle mondiale peut-il rester sans conséquences culturelles ? Difficile à imaginer... Chez nous, les intellectuels ont toujours suivi sans hésiter les directives données par les plus puissants. L'Europe en général, mais la France en particulier, a été le modèle suivi pendant des décennies. L'espace culturel roumain a été dominé par les influences de la culture française. Le structuralisme, Roland Barthes, etc., pour nous référer à une période plus proche de nous, ont créé des clones qui ont occupé le devant de la scène pendant plusieurs décennies. À la fin des années 70, la boussole de l'imitation s'est réorientée vers ce qui venait des États-Unis, en général dans le domaine de la langue anglaise. Le mouvement beat et le postmodernisme sont devenus les points de repère des dernières générations. Aujourd'hui, si l'administration Trump rend l'Amérique à nouveau si grande qu'elle commence à s'isoler du reste du monde, que restera-t-il à imiter ? Peut-être assisterons-nous à un retour vers l'Europe. Cela ressemblerait en quelque sorte à un retour aux sources..
Fondoianu (5) - Expres Cultural - Mai 2025
Les études sur Fundoianu suivent une ligne, disons, adaptée au modèle connu de la recherche sur le profil d'un écrivain. Au fil du temps, un modèle tacitement respecté s'est formé dans les études littéraires, maintenant ainsi une structure prévisible. Dans chacun des segments abordés, des coutumes de recherche s'appliquent, avec des normes établies pour chaque séquence. Or, une telle recherche spécialisée trahit le caractère particulier de l'existence littéraire de Fundoianu, qui est un auteur peu ordinaire, non seulement parce qu'il s'exprime dans plusieurs domaines (de nombreux écrivains s'illustrent sur plusieurs plans), mais aussi parce qu'il dépasse avec une fluidité naturelle les frontières entre les genres, passant de l'un à l'autre (poésie, critique littéraire, essais sur les thèmes les plus variés, philosophie, etc. ) comme s'il ne s'adaptait pas à de nouvelles hypostases culturelles, mais adaptait les genres à son essence manifeste. L'approche conventionnelle - études sur sa poésie, études sur la critique qu'il a pratiquée, études sur son esthétique, études sur sa philosophie - schématise la personnalité créatrice, ignorant la caractéristique existentielle : la recherche continue, l'état d'inquiétude sublimé dans l'expression. Cela marque une évolution vitale caractéristique. L'expression de ses recherches a été cataloguée comme existentialisme et a été rapidement associée à l'influence de Chestov. Mais, à mon avis, le philosophe russe n'était que la limite nécessaire à la fluidité de la création de Fondane, il était, pour utiliser une image, l'équivalent des digues qui fixent les limites du torrent prêt à se disperser autrement sur des surfaces beaucoup trop vastes et indéfinies. Chestov, malgré ses refus, poursuit des objectifs philosophiques, cherche à convaincre de quelque chose. Fondane est seulement obsédé par le refus de trop trahir son essence. Une essence composée avant tout – cela peut sembler paradoxal – de refus. En 1938, il publie le Faux Traité d'Esthétique. Selon le titre – aussi faux soit-il, un traité reste un traité –, il devrait nous présenter la manière dont s'articulent un certain nombre de convictions dans le domaine précisé. Mais le faux traité de Fondane consiste avant tout en des délimitations, en des dénégations de certaines réalités qui lui sont proposées. Les thèses de Fundoianu sont, par leur négation, on ne peut plus modernes – ce modernisme qui cherche ses principes dans la remise en question des certitudes. Dans les articles de la période roumaine (l'auteur était très jeune), Fundoianu se montrait méfiant à l'égard des « instruments » de la critique, de ses moyens d'analyse, misant sur une charge exclusivement subjective, sur une mobilisation de la sensibilité existentielle (comme nous l'avons montré dans l'épisode précédent). On retrouve la même position dans Faux traité , ouvrage souvent attribué à l'influence de Chestov, publié à l'époque où Fondane était le plus proche de ce dernier. La continuité avec les positions du très jeune critique, encore loin de devenir le disciple de Chestov, est toutefois manifeste. « Il est vrai que la matière commune : le langage, les sentiments, les parties du discours, entre par inspiration dans une combustion chimique dont aucune force ne pourrait la retirer, la restituant à sa figure originelle. Parler des « idées » d'un poème, des « sentiments » qui y sont exprimés – que leur présence soit souhaitée ou violemment rejetée – revient à prouver que les préjugés les plus stupides jouissent de la vie la plus tenace. » L'arsenal critique, utilisé encore aujourd'hui avec abondance et suffisance, réduit la compréhension de la poésie à des interprétations didactiques, ordonnées rationnellement. J'insiste sur le terme rationnel, car c'est celui que Fundoianu rencontre dès ses premiers exercices critiques/essais. La poésie est donc autre chose que des idées, des sentiments, un ordre... grammatical... : « ... l'acte poétique s'incorpore dans quelque chose pour pouvoir agir, tout comme le radium entre dans une série de matières ou comme Dieu se fait homme ». En dernière analyse, le poème ne peut être connu. Et cette incapacité à le connaître est finalement à l'avantage du poétique. (« L'étude des procédés qui l'ont façonné permettra-t-elle de percer le secret du poème ? Je ne le crois pas. Je ne vois aucun inconvénient à ce que ma propre hypothèse soit déclarée, à son tour, inadéquate ou fausse : tout ce qui échappe à notre compréhension n'est pas nécessairement au détriment du poème. Au contraire, ILS gagnent pleinement à rester incompris. ») Dans la même introduction du Faux traité..., Fondane rappelle une constatation de Jules de Gaultier selon laquelle la religion et l'art ont pour vocation d'inhiber les instincts inférieurs de l'individu. Mais, constate-t-il, une atmosphère dominée par l'esprit critique a supprimé la foi, sa capacité à s'opposer à de tels instincts, avec pour conséquence que seul l'art a conservé le pouvoir d'activer les inhibitions civilisatrices. Fondane ajoute toutefois que cette même faculté critique « a pour effet d'abolir la poésie ». Notre auteur ne se préoccupe pas de la mission moralisatrice de l'art et des religions. Il estime que « la vie a besoin d'eux pour d'autres raisons... et celles-ci sont... les plus importantes ». Du point de vue de l'auteur du Traité... l'art n'est pas exclusivement le Beau, ni le Bien - « c'est quelque chose de plus consubstantiel à la vie, une substance dont la vie ne peut se séparer pour la projeter hors d'elle-même et l'objectiver - dans une science, dans un nom - sans contribuer à sa propre destruction inévitable ». Constat suivi d'un appel inévitable : « Oh, laissons à l'art ses ténèbres, sa confusion, l'opacité de son discours ! ». Au fond, le Traité... ne propose que de rendre « à la vie ce qui appartient à la vie ». À la fin de la préface du Traité... l'auteur souligne une fois de plus sa position vis-à-vis de la raison. Les mots n'ont plus aucun rapport avec la réalité qu'ils désignent. Une constatation qui n'est pas déconnectée de ce qui se passait à ce moment-là dans le monde. « Des mots tels que mythe, ignorance, primitivisme, sang n'ont cependant rien à voir avec le mythe, le primitivisme et le sang rationnels, œuvre exclusive et subtile de notre époque. »
La rationalisation, dit Fondane, et il faut être attentif au fait qu'elle se trouvait sous la réalité des années 1938, lorsque son Traité apparaît, transforme les mots en mythes : « Les droits de l'homme, le progrès, la vérité, la justice, le droit sont tous des mythes ». L'époque mettait en circulation des mythes - dans la réalité, ils ne couvraient plus les mots. « Une raison qui se nie pour des raisons rationnelles reste une raison, et il n'existe actuellement rien, dans notre Europe folle, qui ne soit un produit - ou un sous-produit - de la raison. Ou même de la folie rationnelle... Je me sens presque honteux de devoir rappeler de tels lieux communs.
L'humanité avait commencé à parler de mythes (nation, voix du sang, espace vital, etc.), mais la réalité était tout autre. C'était la réalité brutale du fascisme en pleine ascension. En effet, l'Europe de ces années-là couvrait ses calculs sanglants de mythes, dans une imprudence dont Fondane sera lui-même victime quelques années plus tard. Dans la première partie du Traité..., la description des limites de la raison se poursuit. Cette fois-ci, l'auteur fixe son propre point d'ancrage. Dans une société imaginaire qui miserait tout sur la raison, il développe son discours, la rigueur s'imposerait dans tous les domaines, y compris ceux qu'il considère comme incompatibles avec elle : l'histoire et la poésie. Dans une telle société, tout serait réduit, par l'absurde, « à des structures, des lois, des essences, des institutions, des relations » ; on en arriverait à réduire le réel au rationnel, et le rationnel au bien. L'éthique deviendrait donc ce qui peut être rationnel. Il en résulte, nous dit-on, « une horreur non dissimulée de la réalité empirique : arbitraire, contingente et transitoire ; un mépris sincèrement avoué pour tout ce qui est personnel, affectif, subjectif, sentimental, imaginatif ; une tendance à peine réprimée à considérer l'existence, dans la mesure où elle est irréductible à l'Idée, comme une hallucination irrationnelle des sens, une sorte de projection mythique ». Mais à une telle époque, se demande l'auteur, comment pourrait-on encore comprendre des activités telles que l'art, qui ne peuvent s'inscrire dans la formule de pensée imposée par « le développement actuel des sciences physiques » ? Pour illustrer la manière dont la nouvelle pensée, dominée par la connaissance scientifique, se trouve dans une impasse lorsqu'il s'agit de penser la poésie, Fondane s'arrête à l'essai du jeune Roger Caillois, à l'époque, Le Procès intellectuel de l'art. Dans la description de la pensée contemporaine assumée par Caillois, la poésie apparaît avec « son étrange refus de toute « rigueur », avec sa capacité à produire un effet plutôt « physiologique » qu'intellectuel ». Fondane rappelle que l'incompatibilité entre raison et poésie n'est pas actuelle, elle remonte à l'Antiquité, lorsque Platon exila le poète de la Cité, le considérant comme un imitateur, un incitateur à l'émotion, en d'autres termes celui qui discrédite la raison - or, celle-ci devait devenir le fondement du bon fonctionnement de la cité. À l'historique de la perpétuation du conflit entre raison et poésie, notre auteur ajoute une dimension supplémentaire. Contrairement à l'époque antique, à l'ère moderne, un nouvel obstacle s'ajoute à l'« adversité » en question. Il l'appelle la conscience honteuse du poète, cette conscience honteuse du poète étant une nouvelle « capitulation », une capitulation supplémentaire face au rationalisme. À l'époque moderne, le poète « a commencé, à son tour, à mépriser le « charme », a perdu confiance en la vertu qui fait de lui un poète, en est venu non seulement à détester, mais aussi à perdre la capacité de comprendre le transcendant, le religieux, le mystère : ses supports métaphysiques, ainsi que les passions « frivoles », les affects « irréfléchis » : ses supports existentiels ». En d'autres termes, à l'époque moderne, le poète cède devant la raison : « Pour échapper à l'opprobre universel, il s'est volontairement jeté dans les bras du mécanicisme, du scientisme, de l'éthicisme, de la pensée spéculative ». C'est à ce moment-là que le cas du surréalisme est invoqué pour étayer ces affirmations. Le surréalisme explore l'irrationnel, l'indéterminé « à l'aide de techniques capables de le justifier et de justifier en même temps l'exploitation rationnelle de l'irrationnel ». L'initiative surréaliste aurait volé l'innocence de la poésie, « en aspirant au titre de connaissance, en aspirant au « document » mental, en se donnant des airs scientifiques et en créant l'œuf le plus bizarre qu'on puisse imaginer : le miracle naturel, le mystère mécanique, l'inspiration automatique ». À l'attaque de Fondane contre le surréalisme s'ajoute le chapitre de l'exégèse du courant qui relie la « technique » de dictée automatique aux découvertes de Freud, fondateur d'une science de l'inconscient.