Le dépôt
À moins que Marseille
À moins que Marseille - Extrait
la pluie contre explicative
spectrale dans l’arrière-cour
des petites filles maquillées récoltent des friandises dans la nuit
elles sont si pauvres que les rues n’y croient pas
puis un rat sort d’un soupirail fonce vers les poubelles
hors champ façades aux volets clos
au café chacun regarde obstinément son smartphone
chaises de plastique orange coiffure pour hommes
boutique clinquante un Maghrébin répare sa voiture
faite de journaux machés et de corde
une peinture a parié sur le noir
l’atelier n’a pas de mots juste murs blancs
sol de ciment en attente des artistes et de la foi
alors tu tutoies la ville orgasmique
qui dégueule ses poubelles à ciel nu
canapé chaussures pain vêtements meubles TV cartons
chaque rue abrite ses propres rats
parfois crevés éclatés par les voitures
autour gravitent femmes et hommes
ils ont compris
que la ville est poubelle à ciel ouvert hors lutte
que l’humanité rejette sa propre engeance
et cette ville-là ne ment pas
elle se jette désespérément dans la vie avec la fureur des peuples pauvres
elle intègre la mort à son chemin de paria
elle mise sur le soleil et les visages
avec ses bretelles d’autoroute en béton qui surplombent
les mers ancestrales et africaines
hors mythe la ville se vit
il n’y a plus aucun phocéen sur le port
juste notre mémoire factice d’intellectuels fatigués
la ville marche klaxonne puis salue l’étranger
Belsunce plus africaine qu’antique
une géographie souillée de poubelles et de rats
une multiplicité féconde et vivante
ville en marche sillonnée par les peuples réels
souks ouverts boutiques basiques enfoncées
à mi sous-sol donnant sur ruelles grouillantes
après surgit Saint Charles
avec ses escaliers géants
départs/arrivées immédiats
au coin avant la porte d’Aix les pâtisseries orientales
lueurs de miel et d’ambre dans la vitrine
ville friandise qui se mange en plein jour
döner kebab tacos viandes grillées
puis une Africaine vend des peluches automatisées
de petits chiens mouvements saccadés
assise sur le trottoir sur une grande couverture
trois flics ferment une ruelle
tandis que la ville vit
l’Alcazar semble ne pas y croire
deux mondes hermétiques
la gratuité sauvera-t-elle la donne
des cafés d’hommes exclusifs
on palabre hors circonstance
Canebière semi-piétonne
mais personne ne marche au centre
on reste sur les trottoirs
on croit encore en la voiture-reine
Belsunce un algéco pour test covid
un homme se charge de l’organisation
mon frère je te tutoie mets-toi dans la file
le Black ne sait pas écrire comment remplir
le papier fourni comment prouver
son identité (liasse de papiers informes sortis du sac à dos
tu veux bien me les tenir) sans carte vitale
le monde devient discussions interminables
mais on a le soleil dit-il calme toi
tu es à Marseille ici de toute manière
on trouve toujours une solution l’ordinateur
plante cela tombe toujours sur moi la fille
derrière l’ordinateur sort fumer une clope
vexée puis revient et tout recommence
les tests version papier car smartphone aléatoire
mettre et baisser son masque sans cesse gel
hydroalcoolique offert mais non utilisé
je dois rentrer au pays dans trois jours
sans rendez-vous 100% pris en charge le test
dans la rue la santé va au peuple
algéco blanc devant l’Alcazar et le döner kebab
on entre on sort on se bouscule médecins infirmiers
parlent arabe parlent toutes langues humaines
pour solutionner l’absence de cartes de papiers d’identités
identifié par les pouvoirs le Covid
est une foire d’empoigne quotidienne
juste un problème de plus
quantifié comme la mort
dans la rue une vieille femme à une autre
à Marseille on n’a pas peur du Covid c’est le Covid qui a peur de nous
devant un amas significatif de poubelles
quelque chose à voir avec le sud
avec le destin la fatalité les Moires
les Parques et tutti quanti
à Marseille tu ne trouveras pas un seul Grec
ou si peu
tu deales avec l’Afrique
qui poursuit l’œuvre méditerranéenne
telle l’Afrique d’un Pasolini extériorisé
quelques trams sillonnent la ville
trottinettes électriques slalomant
vélos tous risques
voitures voitures déviations prennent
le sens interdit klaxonnent montent
sur les trottoirs se doublent se
croisent voitures voitures écrasant
rats et poubelles éclaboussant ciel bleu
garées dans les interstices pissant
sur les règlements se faufilant
parmi les vies possibles
elle dégueule ses poubelles
quelque chose de Naples en plein mois d’août
des odeurs de pisse avant que ne tombe
la pluie méditerranéenne d’automne
déglutissant des immondices informes
qui toutes finiront à la mer
(le vieux port déborde puis avale
les plastiques qui flottent sans regret)
les poubelles escaladent trottoirs et rêves
quelque chose de Naples
une indolence une indifférence comme si
les poubelles n’étaient que le prolongement de l’humain
une nécessité du sud un tropisme assimilé ou alors
une habitation réaliste des mondes modernes
de l’atelier tu entends portières de voiture fourgonnettes
livrant les boutiques mais sans fenêtre
tu es au cœur de la ville
entre béton et nuit
sans arbre sans arbre
dans la ville pure avec les seules scories humaines hors végétal
puis une mouette crie ne sait que crier
A moins que Marseille (recueil inédit), 2021