Le dépôt
Épiphanies
L’art est un laboratoire mental où des forêts
De Roumains installent leurs caravanes
Afin d’escamoter les 4X4 allemands.
En partenariat avec les jumelles d’ARTE
Nous observons cette Montagne magique.
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Pourquoi le massif des Tétons attire-t-il tant de Français
Quelle joie particulière peuvent-ils éprouver à dévaler
Ses pentes rebondies, ses collines mamelues ?
A ces questions les responsables de la station
Répondent par un écran total.
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Soirée littérature, quartier nord de Marseille
C’est la nuit du passé antérieur (cris d’horreur !!)
Ebaubis, décomposés, les accords complexes
S’échappent d’un verbe pronominal
A la barbe d’un adjectif de couleur.
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Ulysse à son petit déjeuner
Fatigué d’appeler Pénélope
Imagine l’appareil électrique
A balancer des toasts
Sur la gueule des Troyens.
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Technologie ! Technologie !
Les yeux noircis par la poussière
Dans le cloître du soleil, Tsahal ouvre la porte
Un projectile en forme de crotte de souris
Explose le blindage du chef de tribu.
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Crédule est la créature confiante
Mais redoutable celui qui distribue
La terre en guise d’amour
Le diable a décidé de le transformer
En casque bleu.
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Aimons-les !… Aimons les petits voisins, ces bâtards, nos copains
Qui viennent de nous éliminer au football
A l’heure des “Après-midi Citoyens”
QUAND ON DEVAIT ETRE SEULS SUR LE TERRAIN, hurle l’entraîneur
Qui s’en bat les couilles de la République Française.
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Je fais de gros rêves qui sentent après leur passage
Je souille tout ce qui est à portée de ma conscience
Comme je suis seul à nettoyer après
On me dit nègre
Ou artiste.
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Durant l’Occupation
On mit au point
Le micro-poème
A la Libération naquit
Le macro-trottoir.
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Le poète est comme un joueur de casino il met des pièces dans la machine à sous
Met des pièces, met des pièces, il met des pièces dans la machine à sous, met des
Pièces, met des pièces, le poète met des pièces dans la machine à sous, il met des
Pièces dans la machine à sous, il met des pièces, met des pièces dans la machine
Il met des pièces dans la machine à sous avec l’espoir de voir une phrase s’aligner.
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Quand la réclame parlait en direct à la France
Qu’un pâle soleil jaune comme Casanis claquait
D’une persienne aux couloirs datés de l’amour
La soubrette observait un cuisinier en majesté
Gonfler tout doux su’ le cul à madame la baronne.
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Grâce à l’avidité de leur comportement
Ils se sont unis dans un paradis fiscal
Où leur appétit généreux de nouveaux profits
Devint promesse de bonheur partagé
Qu’ils soient égoïstement heureux. Mazel tov !
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Je porte la jugulaire des eaux courantes du monde
Je suis la jeunesse qui déplore les histoires familiales
Ma bouche rit tel un ruisseau à l’approche du fleuve
Déclare le véritable démocrate,
Celui qui ne fait peur à personne.
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J’étais en pleine possession de mon art
Lorsque Mozart est arrivé, nous dit Ludivine
Bontempi, une compositrice de quatorze ans
Aux menstrues impeccables
Belle comme une symphonie concertante.
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Dans un ciel constellé d’automobiles
On klaxonne, les jeunes virevoltent
Les adultes s’impatientent et les vieux
Etourdis, pathétiques, ne pensent qu’à
Ecouter France Inter.
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Dans l’euphorie des chiffons on a prononcé ton nom
La femme de ménage a soufflé : -“L’Oréal ! L’Oréal !…”
Ma fille a beuglé : -Papa, c’est “L’Oréal !” au téléphone
Bénédicte a ajouté : -Je te passe “L’Oréal !”
Alors je me suis décidé à prendre l’appel.
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La chasse c’est l’art de l’évitement, constate le gibier émerveillé
Par tant de nuages bleutés qui s’invitent entre la poire et le fromage
Ne vient-on pas de m’égorger, sanglier vénérable, vous imaginez
Mourir à vingt ans, ça vous confère un air de beauté guerrière
Dit le poilu avalant le couteau étoilé – lumineux à la cime du cuir.
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Une mitraillette postée sur internet les étincelles d’une violence lointaine
Enfant poète dessinant l’arborescence du sommeil dans un biceps d’orage
Adolescent berné par la réalité, les couleurs incroyables du ciel m’engagent
A crever le sac des devinettes comme si la terre aux yeux blêmes de chaleur
Répandait son lait de paresse sur les traces masculines d’une ligne de coke.
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“S’il vous plaît, s’il vous plaît mon enfant est malade”
Une mélodie usante glisse parmi la foule impatiente
La Polonie cherche une aiguille dans le chapeau
De la reine d’Angleterre qui accueille un rayon de soleil
En écartant le bracelet électronique de ses chevilles.
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L’instant me rend puissant et malin
Ma chemise s’ouvre toute seule
Le vent s’engouffre dans les yeux
Du fantôme de mon père
Je suis bien.
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Au parfum de misère qui attend la suite
A l’odeur de bois oubliée par la nature
Au cortège enflammé devenu citrouille
A la bouillie de mots qui sent le papier
Rimbaud songe, sourit, trottine, bondit, chante et danse comme une parfaite idiote.
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Chaque jour tu épouses la Souffrance
Pour qu’elle te crache au visage
Comme Noé
Badigeonnait d’avenir
Les flancs de son vaisseau.
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Nous sommes des créatures égarées pour un temps
Qui nous est compté et dont les plus sages espèrent
Contre toute logique humaine, le mieux profiter
L’hiver dernier encore nous passions l’été en Bretagne
Répond-elle en se fourrant un sèche-cheveux dans la chatte.
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Fantasque comme un poète à la fête du livre
Il rectifie son nom mal orthographié sur le casier
Du gymnase glacial par une dédicace chaleureuse
Un smiley d’affection au directeur de la prison
Qui n’est pas fortiche en prénoms arabes.
***
Satisfaction des autres
Ravit conscience de soi
Ici prendre c’est donner
Déclare le matin joyeux
A la radio vietnamienne.
***
Un rapide regard jeté sur la vitre du métro confesse
Ce n’est pas toi que je regarde, c’est ta jeunesse
Le silence qui nous sépare se mesure en années
Lumière des couloirs, bousculade des secondes
Classe du type au bar qui m’attend tranquillement.
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Et puis l’instant où l’on se rencogne au fond du canapé
Musique parfaite, repas délicieux, convives adorables
Champagne prêt-à-porter de la vie, lucidité gracieuse
On admire sa robe estivale en rêvant un art de vivre
Familier et déprimant comme un poème de Verlaine.
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La poésie redoute l’après-midi
Mina s’endort entre les bras de la lumière
Presse-livre de la mémoire dans les baraquements du style
Mina, c’est mon chat
Ses yeux crevés n’ont d’autre fatigue que ma rime exiguë.
***
Nous aurions pu être deux diamants
S’enflammant pour l’éternité de la vie
Mais nous nous sommes aimés
En bloc. Rien à jeter.
Chacun s’est taillé.
***
Ravi de vous connaître
Davantage
Enchanté de vous voir disparaître
S’amuse le parisien,
Ce magicien des temps modernes.
***
La lingerie de tes yeux bleus sertie de crépuscule
Rappelle que c’est bientôt Noël sur la place Rouge
D’un côté une vitrine fuselée LVMH haute couture
De l’autre la foule moscovite qui prend le métro
A peine distraite par la vulgarité du luxe français.
***
La Balance danse derrière la douleur
Tony et Gino discutent à la verticale
La précision neurologique du Verbe
Hélas, le plomb brûlant passe seul
Et la lune dodeline à travers la tête.
***
Ecrire !… Je voudrais épouser le galbe d’une sirène
Sentir la satisfaction de me lover au frais
Et surfer de concert avec les étoiles
Comme un fourbu d’idéal s’assoit
Au milieu de la page blanche.
***
Le jour trahit le jour
L’enfance trahit l’enfance
L’amour trahit l’amour
Ainsi balance le Verbe
A l’audience de la Vie.
***
Les nuages n’en font qu’à leur tête
Ils passent et puis disparaissent
En restant sur place
Pareils à des femmes
De petite vertu.
***
L’oreille est affamée de rimes
L’intelligence réclame du sens
Et le sang sa dose de rythme
Merveilleux hôpital
Que la poésie.
***
Lorsque les caresses domestiques s’épuisent
Lorsque l’Allemagne et la France s’imaginent
Solidaires aux extrémités pointues de la terre
La comédie des amours s’achève, une clope
Entre les lèvres : -Tu m’as traité de Versailles ?
***
Clin d’œil vers les étoiles
Poing fort comme l’amour
Il en profite d’instinct
Seule vers les nuages elle traverse la couette comme
Bondit un éclair de violence où l’amour se consume.
***
Un vent... Le bruit des bijoux sur le miroir
Entretient l’agitation de la pénombre
Une porte ! On se presse. Un escalier ?
Une porte un escalier, l’opéra est grand
Et les toilettes sont au sous-sol, chéri.
***
Si j’aime Offenbach c’est que chez lui
Le drame côtoie la légèreté
Comme chez tout le monde ?
Comme chez tout le monde ?
(Le cœur) : Comme chez tout le monde ?
***
Il déguste ce verre de vin délicieux
En plaçant la main sur son ventre
Telle une chorégraphe boulimique
De Tchaïkovski balance son héro
Dans la cuvette du lac des Cygnes.
***
Et son cœur qui enfle à l’aune de ses désirs comme on voudrait percer le mystère
D’un vin !… Beau projet. On guette une céleste rencontre. La comtesse s’avance
Sur le front blanchi de l’amant la mort imprime un costume martial de compagnie
Provisoire et douteuse. A l’entrée de l’opéra les ouvreuses, veste noire, jupe noire
Chemisier et rouge à lèvres intense avalent en pouffant des comprimés de neige.
***
Pour les femmes africaines
Nous avons aussi : dans le
Répertoire de tes caresses
J‘écoute la pluie qui danse
Sur le nombril du bonheur.
***
Du Nord au Sud, d’Est en Ouest le poète voudrait voyager au cœur des paysages
Faire siennes les plus arides journées, dénuder les fils de la paix indienne, livrer au
Vaudou les chaises de l’église qui électrisent la mort près de Varsovie la blonde
Condamner les sortilèges africains de l’Amérique en état de gratte-ciel à Jérusalem
“C’est éclairé chez les voisins”, dit mon berger allemand en rentrant de promenade.
***
Les plus beaux compliments littéraires
Tout entiers contenus dans une boîte
De mouchoirs en papier virevoltent
Imprimés sur chaque feuille –
Encore une idée Monoprix.
***
Quand tu es tout habillée je rêve
A la fin de ton corps
Où glissent des nuages allongés
Sur le drap du ciel
Qui s’envole.
***
Quand tu es nue
Tu marches
Sur la pointe des pieds
Et la lumière
Renverse le silence.
***
A l’heure où la jeunesse dorée boit le jazz sous les pommiers
A l’heure où le soleil s’échappe dans un foutoir d’hémorroïdes
Les grosses vaches blondes comme des soles normandes
Viennent brouter le premier fil à soie de la rosée nocturne
Epais, odorant et filandreux comme la prose à Maupassant !
***
Les gens s’embrassent lorsque l’avion s’écrase
Sans quoi ils se querellent
A propos des performances de l’appareil
Et de ce satané “Aimez-vous les uns les autres”
Qui ne clignote qu’en cas d’urgence !
***
Le poète remonte le temps
Avec la grâce rigoureuse
De celui qui sait tout
Mais n’a encore
Rien vu.
***
Il est d’usage au sommet de l’Etat que la Vérité se promène toute nue
Depuis Vincent Auriol les journalistes débattent sous un vieux porche
Mitterrand enserre la nuit bleue algérienne d’un poing nonchalant
Détrônant les buissons de labradors pesants et fous comme la misère
Suspendus à la ceinture vertigineuse de Vercingétorix, notre père à tous.
***
Entre deux conférences, Seiji Fujimori, un japonais de 98 ans
Séjourne à l’hôpital d’Hiroshima. Le voici, feuilletant le passé
Il parle au soleil noir comme d’autres s’adressent à l’infirmière
Qui va nettoyer la plaie. Cotonnade du cul, un doigt de crème
A la pointe de l’existence où fleurit le trou du ciel printanier.
***
Il y a de la grandeur dans ce que nous sommes
Par intermittence
Par fragments
Des scories lumineuses
Des étincelles d’amour. Des escarbilles de Beauté.
***
La tentation est grande de graver l’immensité du vide
Sur les lignes prévisibles de la mémoire bienveillante
A l’heure où cette sensation devient humaine
Je peux la partager et rafraîchir son essence fugace
Lorsque la douleur vient à manquer.
***
Etre le crayon
Planté
Dans le chignon du poème
Comme un poignard
Dans le soleil de l’habitude.
***
Oui ma chérie oui mon amour tu es partie
Je t’ai virée de mon cœur et je m’en mords
Les artères j’ai du sang plein les yeux. – O
Je travaille à un livre qui te rendra justice
Fais-moi confiance.
***
Gloire à dieu chemin des Poètes ! s’amuse l’Inspiration
Toi qui supportes sur ton dos des brouettes de fleurs
Fanées, toi qui balances la Beauté par les fenêtres
N’oublie pas d’ouvrir les grilles du château au fumier
Qui rembourre mes rayonnages de Parole imprévue.
EPIPHANIES
De Guillaume Poutrain