La
page
blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index I

75 - Julien Boutreux

poèmes

(hommes approximatifs)

 

 

la mémoire triste fauve déchire la trame 

ses crocs d’alligator sourient au bord de fleuves 

ses cent yeux de lune s’ouvrent sur une nuit d’encre 

une couronne de flammes fait une marque à nos fronts

il y a longtemps que nos rêves ont brûlé avec nos cheveux 

jusqu’au dernier

 

je corrige quelques lignes à l’histoire de ma vie

c’était hier je me rappelle tous ces morts mes amis

nous riions attablés autour de victuailles

quelque chose de perdu était encore palpable

en nous et entre nous quelque chose dans l’époque

qui nous rendait vivants

 

c’était avant le soir la force qui nous plie

nous replie nous piétine 

avant la métamorphose de la nuit qui s’installe 

à pas de loup

 

des précipices cernaient nos existences 

et confiants nous marchions sur le fil



*


(souvenir)

 

 

nous marchions au hasard du monde

apercevions notre reflet dans les flaques

miroirs se brisant dans une éclaboussure

c’était bientôt l’hiver et les nuits s’allongeaient

jusqu’à toucher nos pieds

nous nous perdions parfois sur des chemins sans lune

mais portés par les bonnes étoiles

nous évitions miraculés les chiens errants et noirs

les précipices, et puis le matin venu

nous nous allongions sous les ciels immenses

comptions sur nos doigts les siècles qui passaient

sauf que les jours eux-mêmes étaient déjà comptés 

 

entre nos mains le livre aux pages innombrables

que nous lisions chaque soir 

alors qu’un feu crépitait à nos côtés

et que le vent s’infiltrait dans nos crânes attentifs

nos cils battaient, nos lèvres murmuraient

 

des silhouettes apparaissaient graduellement dans la nuit claire

revenantes qui réunies en cercle autour de nous

écoutaient le long récit de leurs vies perdues

à la fin du chapitre dans un grand soupir toutes 

s’effaçaient tels des souvenirs trop anciens

se diluaient à nouveau ou bien venaient peupler

nos corps, nos têtes

alors nous refermions le livre avant d’aller dormir 

 

lovés dans nos pensées