Le dépôt
poèmes
(hommes approximatifs)
la mémoire triste fauve déchire la trame
ses crocs d’alligator sourient au bord de fleuves
ses cent yeux de lune s’ouvrent sur une nuit d’encre
une couronne de flammes fait une marque à nos fronts
il y a longtemps que nos rêves ont brûlé avec nos cheveux
jusqu’au dernier
je corrige quelques lignes à l’histoire de ma vie
c’était hier je me rappelle tous ces morts mes amis
nous riions attablés autour de victuailles
quelque chose de perdu était encore palpable
en nous et entre nous quelque chose dans l’époque
qui nous rendait vivants
c’était avant le soir la force qui nous plie
nous replie nous piétine
avant la métamorphose de la nuit qui s’installe
à pas de loup
des précipices cernaient nos existences
et confiants nous marchions sur le fil
*
(souvenir)
nous marchions au hasard du monde
apercevions notre reflet dans les flaques
miroirs se brisant dans une éclaboussure
c’était bientôt l’hiver et les nuits s’allongeaient
jusqu’à toucher nos pieds
nous nous perdions parfois sur des chemins sans lune
mais portés par les bonnes étoiles
nous évitions miraculés les chiens errants et noirs
les précipices, et puis le matin venu
nous nous allongions sous les ciels immenses
comptions sur nos doigts les siècles qui passaient
sauf que les jours eux-mêmes étaient déjà comptés
entre nos mains le livre aux pages innombrables
que nous lisions chaque soir
alors qu’un feu crépitait à nos côtés
et que le vent s’infiltrait dans nos crânes attentifs
nos cils battaient, nos lèvres murmuraient
des silhouettes apparaissaient graduellement dans la nuit claire
revenantes qui réunies en cercle autour de nous
écoutaient le long récit de leurs vies perdues
à la fin du chapitre dans un grand soupir toutes
s’effaçaient tels des souvenirs trop anciens
se diluaient à nouveau ou bien venaient peupler
nos corps, nos têtes
alors nous refermions le livre avant d’aller dormir
lovés dans nos pensées