Le dépôt
Poésies pour La Page Blanche
la grâce de tes jours
paraît que tu ne ressembles pas à ta photo
paraît que ta barbe blanchit à vue d'œil paraît que t'as refusé un poste à la SNCF
paraît que t'as un penchant pour les lesbiennes qui sucent
paraît que t'as fait l'armée paraît que t'as aimé ça mais pas au point de la refaire
paraît que tu peux toucher ton nez avec ta langue
paraît que ton nez tordu c'est suite à un cunnilingus qui a mal fini
paraît que t'es un poète très ordinaire toi
un poète pas très crédible aussi
vu que tu bosses en hypermarché
été précoce
le ciel bleu est un gros bloc
le ciel bleu est un gros con
les déjections canines grésillent sur les trottoirs
à la plancha
à l'arrêt de bus une femme enceinte se gratte la fouffe à travers sa jolie robe mauve
le peuple bermuda a repris les rues
et ce spectacle essaie de te tuer
tu te défends tant bien que mal contre leurs carrures leurs polos roses leurs espadrilles
leurs lunettes de soleil leurs tatouages leurs statuts de demi-dieux aux valeurs spécieuses
du genre à socialiser les pertes
du genre à confisquer les gains
oraison jaculatoire
tu rentres chez toi trinquer avec un cendrier plein de pisse
au passage tu dégondes une porte sans trop savoir pourquoi
et puis tu pars à la douche
joie de vivre
doigt dans le cul en pensant à Gwenn la gouine
qu'elle repasse dans le coin
tu serais pas contre
au cas où
tu refais ta coiffure pubienne
au cas où
tu coupes les ongles de tes pieds
et ton coupe-ongles t'explose littéralement à la gueule
tu n'en tires strictement aucune conclusion
un de ces quatre
tu te verrais bien devenir disciple d'un ermite
ou alors arbitrer des matchs de ping-pong vaginal
tu as toujours su que tu n'aurais pas d'enfants
tu as toujours su que t'avais une malédiction à briser
généraliser est une erreur
ne pas le faire en est une autre
huis-clos partout quand soudain tu prends une décision qui te semble importante
remettre de l'ail dans ta bouffe
mais oué putain
le plus vieux médicament du monde
bruits de journaux froissés dans les arbres où les tourterelles s’enculent
t'es un mec du XX ème siècle toi
tu rêves de slows et de machines à écrire
(Paru dans Paraît que, tiré à part de la collection délit buissonnier,2021)
des jours en plus
il n'y a pas de filles bizarres il n'y a que des filles
et hasard Mademoiselle Sam est une fille vachement bonne
pour rendre ma vie beaucoup moins conne
et c'est quand même bizarre comme sensation
Mademoiselle Sam peut bailler 32 fois pendant la messe
ou pendant les slows
et mettre tout son poing dans la bouche sans rien remarquer
des yeux mystiques des garçons qu'elle remorque
Mademoiselle Sam peut aussi se confectionner
une robe de mariée avec les mains mortes des arbres
mais Mademoiselle Sam ne veut pas se marier sauf avec moi
dont le sexe n'est pas spécialement à délitement buccal
Mademoiselle Sam n'a plus de jambes sitôt qu'elle m'aperçoit
Mademoiselle Sam est très joueuse
sitôt qu'elle s'intéresse à mes fesses
Mademoiselle Sam peut venir pisser dans ma baignoire
quand elle veut
Mademoiselle Sam rajoute des jours en plus
dans le calendrier des jours heureux
Mademoiselle Sam avec toute la délicatesse
des jeunes filles ambidextres
me fait du bout des doigts dans l'eau danser
ses longs bras de mer m'apprennent à nager en secret
là où je n'arrête pas de me noyer
de me donner à manger aux mammifères marins
et tous ses dons sont doux qui me couronnent doucement
Mademoiselle Sam les films de guerre ça lui donne faim
Mademoiselle Sam la musique de relaxation ça l'horripile
il lui tarde ce soir de rentrer à l'hôtel et de pouvoir enfin se gratter les seins
et de se recoiffer comme un oiseau
et de s'envoyer une bière pour faire passer sa pilule
et de vérifier la repousse de ses poils
et pour parler toute seule de prendre sa voix de libellule
et d'enlever le déchet bleu que j'ai toujours dans le nombril
Mademoiselle Sam peut venir pisser dans ma baignoire
quand elle veut
Mademoiselle Sam rajoute des jours en plus
dans le calendrier des jours heureux
(Paru dans Errer me muscle aux éditions Gros textes ,2020)
en marchant vite ça se verra pas
si tu ne désires rien
tu ne sais rien
je l'ai rêvée cette phrase
écrite en espagnol
gravée au couteau
sur une planche à découper
moi je ne parle pas l'espagnol
moi je suis l’anomalie
moi je suis la de suite suspecte
ou alors la voleuse d'amour
ou alors la petite abandonnée
ou alors la gamine hybride
éduquée par les bois
et la mémoire des pierres
et l'amour de sa maman
déficience mentale
en marchant vite ça se verra pas
elle dit ça maman
je vois que ça moi
mon ourlet défait
et les mille milices scientifiques qui vont avec
souvent
souvent tous les jours
souvent à la même heure
j'échoue sur la presqu'île
où les mots me mâchent
mais j'écris pas moi je marche et puis je crie
et puis je creuse la nuit avec mes doigts
et puis je me creuse moi
et puis plus rien
j'aime pas les poèmes putain
j'aime pas les poèmes qui parlent de poésie putain
trop tard
(Paru dans Je vais encore oublier de rentrer chez moi aux éditions Gros textes ,2021)
ô étoile
lucidité terrible qui jouxte la confusion la plus totale
secrets cachés
choses égarées
ce que je veux ne pèse plus rien
la monotonie m'aide à ne pas trop penser
à ne pas trop m’autodétruire
l'océan est un incommensurable ossuaire
ô étoile
ô fusion nucléaire
on m'a tellement de fois présenté la vérité qui n'était qu'une théorie de plus
et en l'occurrence la vérité c'est elle et ses reproches
elle a l'air en forme
j'ai l'air d'une merde
je suis le mec moyen dont le visage tombe en désuétude
je suis le mec moyen vite oublié
ô étoile
ô fusion nucléaire
docteur chien
que s'est-il passé
docteur chien
que suis-je devenu
aller-retour perpétuel entre vague destin et libre arbitre flou
je me souviens des champs de fleurs
je me souviens des berges du fleuve
je me souviens de la ville qui vole du peuple spolié de la famille en tant que piège et de
l'abîme qui m’attend
je m'endors tout habillé parfumé au bourbon dans un endroit à l'écart quasiment vide et
joliment délabré
ô étoile
ô fusion nucléaire
tant que tu m'accompagnes je ne crains pas d'être perdu
(Paru dans Ô, hors-série de la revue Chats de Mars,2020)
épiphanie
nous sommes graines que le vent pousse
nous sommes grands cœurs couillons
nous sommes salopards fous
nous sommes danseurs estropiés
nous sommes nuit et viande
et notre chair ne dure pas et nos machines meurent
et monstres nous mordons méchamment le monde qui nous fait mal
et monstres nous mordons méchamment le monde
quand nous voulons nous y faire une place
précision des ombres dans la lumière subtile
nous attendons avec impatience qu'il se passe un truc qui advenu déjà nous indiffère
et nous quittons la ville des choses mortifères et des mots pitoyables
et la terre devient la mer où tout se mélange
et la terre devient la mer et la vie nous tombe dessus
et la terre devient la mer et oui
épiphanie est peut-être le nouveau nom du plus ancien des mystères
(Paru dans Ni chagrin d’amour ni combat de reptiles,aux éditions Aux cailloux des chemins ,2022)