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blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index I

101 - Heptanes Fraxion

Poésies pour La Page Blanche

la grâce de tes jours


 paraît que tu ne ressembles pas à ta photo

paraît que ta barbe blanchit à vue d'œil paraît que t'as refusé un poste à la SNCF

paraît que t'as un penchant pour les lesbiennes qui sucent

paraît que t'as fait l'armée​ paraît que t'as aimé ça mais pas au point de la refaire

paraît que tu peux toucher ton nez avec ta langue

paraît que ton nez tordu c'est suite à un cunnilingus qui a mal fini

paraît que t'es un poète très ordinaire toi

un poète pas très crédible aussi

vu que tu bosses en hypermarché  


été précoce

le ciel bleu est un gros bloc 

le ciel bleu est un gros con

les déjections canines grésillent sur les trottoirs

à la plancha

à l'arrêt de bus une femme enceinte se gratte la fouffe à travers sa jolie robe mauve 

le peuple bermuda a repris les rues

et ce spectacle essaie de te tuer  


tu te défends tant bien que mal contre leurs carrures leurs polos roses leurs espadrilles 

leurs lunettes de soleil leurs tatouages leurs statuts de demi-dieux aux valeurs spécieuses

du genre à socialiser les pertes

du genre à confisquer les gains  


oraison jaculatoire

tu rentres chez toi trinquer avec un cendrier plein de pisse

au passage tu dégondes une porte sans trop savoir pourquoi 

et puis tu pars à la douche  


joie de vivre

doigt dans le cul en pensant à Gwenn la gouine


qu'elle repasse dans le coin

tu serais pas contre


au cas où 

tu refais ta coiffure pubienne 

au cas où

tu coupes les ongles de tes pieds

et ton coupe-ongles​ t'explose littéralement à la gueule 

tu n'en tires strictement aucune conclusion


un de ces quatre

tu te verrais bien devenir disciple d'un ermite 

ou alors arbitrer des matchs de ping-pong vaginal  

tu as toujours su que tu n'aurais pas d'enfants

tu as toujours su que t'avais une malédiction à briser  


généraliser est une erreur

ne pas le faire en est une autre  


huis-clos partout quand soudain tu prends une décision qui te semble importante 

remettre de l'ail dans ta bouffe 

mais oué putain 

le plus vieux médicament du monde


bruits de journaux froissés dans les arbres où les tourterelles s’enculent


t'es un mec du XX ème siècle toi 

tu rêves de slows et de machines à écrire


   (Paru dans Paraît que, tiré à part de la collection délit buissonnier,2021)



des jours en plus  


il n'y a pas de filles bizarres il n'y a que des filles

et hasard Mademoiselle Sam est une fille vachement bonne

pour rendre ma vie beaucoup moins conne

et c'est quand même bizarre comme sensation


Mademoiselle Sam peut bailler 32 fois pendant la messe

ou pendant les slows

et mettre tout son poing dans la bouche sans rien remarquer 

des yeux mystiques des garçons qu'elle remorque


Mademoiselle Sam peut aussi se confectionner

une robe de mariée avec les mains mortes des arbres

mais Mademoiselle Sam ne veut pas se marier sauf avec moi

dont le sexe n'est pas spécialement à délitement buccal


Mademoiselle Sam n'a plus de jambes sitôt qu'elle m'aperçoit

Mademoiselle Sam est très joueuse 

sitôt qu'elle s'intéresse à mes fesses


Mademoiselle Sam peut venir pisser dans ma baignoire

quand elle veut

Mademoiselle Sam rajoute des jours en plus

dans le calendrier des jours heureux


Mademoiselle Sam avec toute la délicatesse

des jeunes filles ambidextres

me fait du bout des doigts dans l'eau danser

ses longs bras de mer m'apprennent à nager en secret

là où je n'arrête pas de me noyer

de me donner à manger aux mammifères marins

et tous ses dons sont doux qui me couronnent doucement


Mademoiselle Sam les films de guerre ça lui donne faim

Mademoiselle Sam la musique de relaxation ça l'horripile

il lui tarde ce soir de rentrer à l'hôtel et de pouvoir enfin se gratter les seins

et de se recoiffer comme un oiseau

et de s'envoyer une bière pour faire passer sa pilule 

et de vérifier la repousse de ses poils

et pour parler toute seule de prendre sa voix de libellule

et d'enlever le déchet bleu que j'ai toujours dans le nombril


Mademoiselle Sam peut venir pisser dans ma baignoire

quand elle veut

Mademoiselle Sam rajoute des jours en plus

dans le calendrier des jours heureux


 (Paru dans Errer me muscle aux éditions Gros textes ,2020)



en marchant vite ça se verra pas


si tu ne désires rien

tu ne sais rien


je l'ai rêvée cette phrase

écrite en espagnol

gravée au couteau

sur une planche à découper


moi je ne parle pas l'espagnol

moi je suis l’anomalie 

moi je suis la de suite suspecte 

ou alors la voleuse d'amour

ou alors la petite abandonnée

ou alors la gamine hybride 

éduquée par les bois

et la mémoire des pierres

et l'amour de sa maman


déficience mentale

en marchant vite ça se verra pas

elle dit ça maman

je vois que ça moi

mon ourlet défait

et les mille milices scientifiques qui vont avec


souvent

souvent tous les jours

souvent à la même heure 

j'échoue sur la presqu'île

où les mots me mâchent


mais j'écris pas moi je marche et puis je crie

et puis je creuse la nuit avec mes doigts

et puis je me creuse moi 

et puis plus rien


j'aime pas les poèmes putain

j'aime pas les poèmes qui parlent de poésie putain


trop tard


  (Paru dans Je vais encore oublier de rentrer chez moi aux éditions Gros textes ,2021)



ô étoile


lucidité terrible qui jouxte la confusion la plus totale 

secrets cachés 

choses égarées 

ce que je veux ne pèse plus rien

la monotonie m'aide à ne pas trop penser 

à ne pas trop m’autodétruire 

l'océan est un incommensurable ossuaire 

ô étoile 

ô fusion nucléaire  


on m'a tellement de fois présenté la vérité qui n'était qu'une théorie de plus

et en l'occurrence la vérité c'est elle et ses reproches 

elle a l'air en forme 

j'ai l'air d'une merde 

je suis le mec moyen dont le visage tombe en désuétude 

je suis le mec moyen vite oublié 

ô étoile 

ô fusion nucléaire  


docteur chien 

que s'est-il passé 

docteur chien 

que suis-je devenu  


aller-retour perpétuel entre vague destin et libre arbitre flou

je me souviens des champs de fleurs 

je me souviens des berges du fleuve

je me souviens de la ville qui vole du peuple spolié de la famille en tant que piège et de 

l'abîme qui m’attend 

je m'endors tout habillé parfumé au bourbon dans un endroit à l'écart quasiment vide et 

joliment délabré  


ô étoile 

ô fusion nucléaire 

tant que tu m'accompagnes je ne crains pas d'être perdu



(Paru dans Ô, hors-série de la revue Chats de Mars,2020)



épiphanie  


nous sommes graines que le vent pousse 

nous sommes grands cœurs couillons 

nous sommes salopards fous 

nous sommes danseurs estropiés

nous sommes nuit et viande 

et notre chair ne dure pas et nos machines meurent 

et monstres nous mordons méchamment le monde qui nous fait mal

et monstres nous mordons méchamment le monde

quand nous voulons nous y faire une place


précision des ombres dans la lumière subtile 

nous attendons avec impatience qu'il se passe un truc qui advenu déjà nous indiffère 

et nous quittons la ville des choses mortifères et des mots pitoyables 

et la terre devient la mer où tout se mélange

et la terre devient la mer et la vie nous tombe dessus

et la terre devient la mer et oui 

épiphanie est peut-être le nouveau nom du plus ancien des mystères   


(Paru dans Ni chagrin d’amour ni combat de reptiles,aux éditions Aux cailloux des chemins ,2022)