Le dépôt
Présentation
« La poésie en dit long et c’est vite fait. La prose ne va pas très loin et prend du temps. » Charles Bukovski.
Présentation de Sandrine Cerruti.
A mes yeux, la meilleure nouvelle de ses quinze dernières années est la sortie de la poésie de son univers très confidentiel et refermé, presque inaccessible, grâce au développement des réseaux. Elle peut arriver à circuler entre ceux et celles pour lesquels sa rencontre eût relevé de l’impossible. C’est ma chance.
Pourquoi la poésie ?
Parce qu’elle peut embrasser le monde par son infinie richesse, son intensité, sa sincérité, ses éclats de vrai, son mode toujours neuf de mise en forme pour faire ressentir et dire la vie et la vivre plus intensément par le dire, elle gagne l’être, tout doucement. Elle se met à circuler dans toutes ses dimensions. Elle fait avancer-au-monde en mode ontogénésique.
« La poésie, c’est l’un des plus vrais, un des plus utiles surnoms de la vie. » Jacques Prévert
Sandrine Cerruti est née en 1968, en France, sous le signe de la double culture franco-italienne. Elle vit à Toulouse avec son compagnon Philippe, et ensemble, ils sont les veinards parents d’Olivier. Elle travaille dans l’enseignement secondaire. Elle a été éveillée à la liberté de l’écriture poétique par un précieux groupe d’anges gardiens désappreneurs qui lui a donné à entendre, avec une paire d’oreilles neuves, la puissance de la parole poétique de Serge Pey. Puis, c’est Christian Glace, poète et sculpteur, auteur de Taille Directe publié aux éditions Noir et Blanc, qui l’a encouragée au partage de son écriture. Elle a eu la chance d’être repérée par Philippe Tancelin, Docteur d’Etat en Philosophie-Esthétique, professeur Emérite des Universités de Paris, Chevalier des Arts et Lettres, directeur de la collection Poètes des cinq continents aux éditions l’Harmattan. Le poète-philosophe, lui donne sa chance en lui ouvrant la porte à la publication d’outrefeu dans la collection Poètes des cinq continents, espace expérimental. Après avoir été également repérée par Pierre Lamarque, fondateur de la revue poétique La Page Blanche, elle participe maintenant à l’équipe des rédacteurs de la revue. Certains de ses poèmes ont été retenus par plusieurs revues telles que Lichen, ARPO, La Revue des Citoyens des lettres, la Revue Cabaret, la Revue Dissonances. Elle s’approprie bien volontiers les deux propositions suivantes : celle avancée par Gaston Bachelard dans la poétique de l’espace afin d’évoquer le pourquoi de ce qui amine son rapport à la poésie : « La poésie apparaît comme un phénomène de la liberté.” et celle de Jacques Prévert pour défendre ce qui lui tient à cœur, montrer et vivre la richesse de l’apport de la création poétique au monde : « La poésie, c’est un des plus vrais, un des plus utiles surnoms de la vie. »
Questionnaire de LPB
Sandrine Cerruti
1/ - Pouvez-vous indiquer un livre que vous aimez particulièrement ?
Rimbaud, les illuminations. (A mes yeux, c’est lui le patron.)
2/ - Pouvez-vous donner un vers, un mot, que vous aimez ?
« Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud ! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. » René Char, Fureur et mystère.
Mot aimé : non.
3/ - Quelles sont vos lectures habituelles aujourd’hui et comment s’expliquent ces habitudes ?
Poésie. Diversité extraordinaire de ce genre resserré. Dire peu. Donc dire.
La poésie est parole écrite.
La pesée obsessionnelle de ses mots lui donne l’éclat du vrai.
4/ - Pouvez-vous citer un support de diffusion de la poésie que vous affectionnez (autre que le livre)?
Supports sonores. Lectures par des comédiens (lectures de textes poétiques par Denis Lavant plus spécialement.)
5/ - Le monde lit-il toujours et quoi?
Audiolivres. Supports numériques. Internet. Livres.
Quoi ? Immense diversité de genres : mangas, philosophie…. Liste vertigineuse … et certainement de la poésie plus que jamais grâce au web. Excellente nouvelle. On s’en réjouit.
6/ - Quel est votre plat préféré ?
Déclinaison d’œufs en mode salé (coque, brouillés, durs, au plat) et sucré (crêpes élastiques, œufs au lait). Et aussi fromages (qui décollent le papier peint !)
7/ - Quelle est votre musique préférée ?
Musique électronique (trip hop, électro pop, et aussi dark, industrial, cyberpunk techno pour écrire). Classique (Requiem plus particulièrement). Musique répétitive (Steve Reich, Philip Glass). Fan totale de Patty Smith (punk poétique). Passion totale pour Kurt Cobain, je l’idolâtre. Je reviens toujours à Nirvana. Comme à une source jamais tarie.
7/ - Question subsidiaire : pourriez-vous recommander un site de poésie et expliquer votre choix
https://revuedissonances.com/. Je m’y projette. Je m’y retrouve. Ils sont actuels, comme LPB. Je les aime.
Film : Je ne sais pas trancher.
Tarkovski
Quand j'étais étudiante, il y a bien longtemps, j'ai découvert le cinéma de Tarkovski. Je l'ai intégré, sans le savoir, comme une source qui ne tarit pas. Il faut toujours revenir à son monde. Il n'y a rien au-dessus. On découvre. On s'emballe. Mais, aucun réaliseur ne dépasse à mes yeux son cinéma-monde-poème. Je dis le film le miroir de Tarkovski. La démarche est sans égal : intemporalité, universalité, force indéboulonnable de l'être pris dans l'écheveau de la grande histoire, images qui laissent triompher l'onirisme. Et mieux : il est le cinéaste de la rêverie. C'est difficile ça, la rêverie, au sens ou Bachelard l'entend par exemple. La rêverie n'étant pas une fuite hors du réèl. Au contraire, la rêverie, parce qu'elle est dynamique, pleinement associée à la marche créatrice du vivant, c'est du réèl avec sa part légitime de rêve. Pleinement légitime. Sans folie. Tarkovski redonne au rêve, à la rêverie, sa place légitime dans le déroulement de la vie. On n'est jamais dans le réèl. On le sait bien. On saisit si peu du monde. Tarkovski, légitime, donne à voir le réèl rêvé du poète. Car il était aussi poète et fils de poète. Tu vois? Comme un poème ou une lettre à Lou d'Apollinaire qui donne à voir la guerre de 14. C'est scandaleux, n'est-ce pas? Donner à voir ainsi la guerre ! Comment est-ce possible? Et pourtant.... ce sont les yeux du poète sur lequel il met des mots sans concession sur la dimension presque inacceptable de cette vision, tout comme Tarkovski légitime l'existence en mode poétique au monde.
Si je mourais là-bas...
Guillaume Apollinaire
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
— Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur —
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
Apollinaire, Guillaume, « Si je mourais là-bas... », œuvres poétiques, Paris, Gallimard, 1956.