Le dépôt
Présentation
Amandine GOUTTEFARDE-ROUSSEAU est poétesse mais aussi docteure en Études Grecques, chercheure en littérature antique et moderne et professeure de Lettres classiques.
Suite à un accident, une expérience de mort imminente la pousse à s'ouvrir à une vie plus intérieure, où la contemplation, la complicité renaissante avec une Nature sacrée et mystérieuse la conduisent à s'exprimer par la poésie. En parallèle, elle poursuit ses travaux de recherche sur l'exil et la marginalité dans l'Antiquité grecque et leur réception contemporaine.
Des contributions régulières dans des revues poétiques côtoient la publication de recueils : Extases post mortem suivi de Serpenter (L'Harmattan, 2021), Ours et tanaisie pour tout vêtement (L'Ire de l'Ours, 2022), L'âme nigredo (L'Ire de l'Ours, 2022) et Habiter les lotus (Ballade à la Lune, 2022) explorent cette relation charnelle avec les éléments, les dieux et les bêtes lovées dans les sous-bois, des saisons faites de morts et de renaissances, de mues de serpents qui tombent et laissent voir une peau nouvelle, et, de temps en temps, le son des tambours dans l'oreille.
1/ - Pouvez-vous indiquer un livre que vous aimez particulièrement ?
Un seul, c’est dur ! J’ai particulièrement aimé, très récemment, le roman Le Dit du Mistral d’Olivier Mak-Bouchard qui fait revivre un animisme local et antique dans une modernité contemporaine qui a soif (et il est beaucoup question d’eau dans le livre…) d’une reconnexion avec la Nature et ses divinités oubliées, soif de les reconnaître dans les animaux ou les éléments qui l’environnent. En poésie, je suis habitée, depuis que je les ai lues, par l’écriture de trois poétesses contemporaines : Mélanie Leblanc et ses Falaises, Xénia Maszowez et ses Hyphes, et l’écriture urbaine et dynamique d’Aline Recoura.
2/ - Pouvez-vous donner un vers, un mot, que vous aimez ?
Ce seront ces vers du poète indien Rabindranath Tagore extraits du Jardinier d’amour (1913) qui ont marqué mon adolescence et imprimé au fer rouge leur univers en moi:
« Je ne demandais rien. Je restais debout à la lisière du bois derrière l’arbre.
Les yeux de l’aurore étaient encore couverts de langueur et la rosée était dans l’air.
La paresseuse senteur de l’herbe était suspendue dans le mince brouillard qui planait sur la terre.
Pour traire la vache avec vos mains tendres et fraîches comme du beurre, vous étiez sous le bananier. » (XIII)
Dans ces quelques vers, c’est le premier matin du monde qui sollicite et éveille tous les sens et invite, en premier lieu, à la contemplation silencieuse. C’est une méditation en soi.
3/ - Quelles sont vos lectures habituelles aujourd’hui et comment s’expliquent ces habitudes ?
J’éprouve le besoin passionnel de lire et regarder tout ce qui a trait au chamanisme : des photos anciennes de guérisseurs dans la forêt amazonienne à la recherche d’une plante sacrée, à l’autobiographie de Thubten Ngodup, Nechung, l’oracle du Dalaï-Lama (coécrite avec L. Deshayes et F. Bottereau-Gardey), en passant par le récit contemporain de Natassja Martin, Croire aux fauves ou encore les récits sur le mazzeru corse. Cela nourrit également mon travail de chercheure dont les axes d’étude sont la marginalité et la spiritualité dans la littérature antique et contemporaine.
Le chamanisme primitif et préservé des peuples et cultures qui ont su garder un contact profond avec la Nature m’inspire et je suis heureuse de constater que notre époque s’ouvre de plus en plus à cette éco-spiritualité. Je trouve qu’elle est particulièrement complète dans la culture tibétaine bouddhiste, dont les maîtres à penser sont nombreux (Mingyur Rinpoché, Dilgo Khyentsé Rinpoché, Matthieu Ricard) et sont aussi des auteurs prolifiques et inspirés pour rendre abordable cette spiritualité qui n’oublie pas d’examiner l’être humain dans son entièreté, avec ses émotions, ses aspirations, ses souffrances et dans son environnement. Le panel des divinités tibétaines est, de plus, particulièrement impressionnant et leur culte vivace, dans une totale harmonie avec le bouddhisme.
4/ - Pouvez-vous citer un support de diffusion de la poésie que vous affectionnez (autre que le livre)?
Sans détour : la feuille de chou ! J’adore l’idée d’une revue qui fait deux à quatre pages et qui joue avec l’éphémère et l’épuration. J’ai ainsi découvert La feuillue qui sort et se dissémine, après chaque solstice, en exemplaires numérotés à la main, ou encore Libelle, qui privilégie les formes brèves. La poésie à petite dose est d’une redoutable efficacité.
5/ - Le monde lit-il toujours et quoi?
Je crois que oui. La librairie qui est à côté de chez moi est toujours pleine de monde et accueille des rencontres littéraires où se côtoient plusieurs générations. On est toujours surpris de voir à quel point la curiosité nous fait cheminer de livre en livre, de domaines en auteurs. Le livre a de beaux jours devant lui, j’en suis persuadée. On voit également fleurir des bibliothèques sauvages dans les villes, qui fonctionnent sur le principe du don et de l’échange. J’en connais une qui n’a jamais le temps d’être complète qu’elle est déjà presque entièrement vidée en une journée, et on y trouve absolument de tout.
6/ - Quel est votre plat préféré ?
Quand je vous disais que la poésie de Rabindranath Tagore m’a marquée au fer rouge, c’est aussi valable pour la nourriture ! Je raffole de ce plat indien, fait d’épinards, de fromage et d’épices qu’est le Palak Paneer. Dans un autre style, un plat que je ne trouve qu’en Grèce et qu’il faut quémander tant sa création relève presque du mystère (il n’est jamais sur les cartes) : « Vlita », mais je ne vous dirai pas ce que c’est…
7/ - Quelle sont votre musique, votre film, préférés ?
Mon cœur grec va naturellement vers la musique grecque et en particulier le chanteur et musicien solaire Alkinoos Ioannidis. On n’a pas besoin de comprendre le grec pour être immergé dans cette musique qui raconte, comme toutes les chansons, l’amour et le temps, mais aussi une Grèce tiraillée entre ses fières racines terreuses et la tentation ravageuse de l’Occident. C’est un univers bucolique et révolté. C’est Apollon qui manifeste sur la place Syntagma.
Mon film préféré est celui dont je n’ai jamais vu la fin : La Belle et la Bête de Jean Cocteau. On avait enregistré ce film, quand j’étais petite, un soir d’orage sur une cassette VHS et l’enregistrement a été interrompu. Pour moi, et pour toujours, la dernière parole de ce film est celle de Jean Marais disant : « L’idée de voir repartir Belle est intolérable ! ». Je n’ai jamais vu la Bête se transformer en Prince…
7/ - Question subsidiaire : pourriez-vous recommander un site de poésie et expliquer votre choix ?
Le blog du poète Christophe Condello est particulièrement vivant et régulièrement nourri. Il met en lumière des poètes de tous horizons par un portrait personnel et détaillé, ce qui est toujours un plus quand on lit de la poésie, et une exposition de leur écriture. J’aime savoir ce qui constitue l’univers des poètes que je lis, voir leur tête. Je voudrais tout savoir de leur vie pour mieux comprendre comment ils écrivent. Cela rajoute paradoxalement du mystère à chaque poète, car les profils sont très variés et le déclic de l’écriture poétique arrive parfois par surprise dans une vie…On y fait de belles découvertes !
8 / - Peux-tu parler de tes amours au présent ?
Vous avez raison de poser cette question… L’amour, qui peut paraître un thème éculé, surtout dans l’écriture poétique, est un arrière-plan incontournable dans l’existence. C’est le socle essentiel pour percevoir le monde et interagir avec lui. Je ne crois pas que la poésie contemporaine affectionne beaucoup l’idée d’une muse privilégiée comme on a pu l’apprendre au lycée. Les amours contemporaines sont définitivement plurielles et vastes : amours charnelles, spirituelles, amour-compassion pour les anonymes ou les familiers, amour de son pays, sentiment d’un Amour inexplicable qui envahit tout et rejaillit sur tout…
D’un naturel très nostalgique, je cherche, par mon écriture poétique, à transfigurer en une forme d’éternité ces amours du présent.
9 : - Dans le cours de ta jeunesse (16-25 ans), quels sont ou ont été tes principaux intérêts intellectuels ?
Ma jeunesse a été marquée par mes études de Lettres Classiques et, nécessairement, le fait de lire beaucoup. Toutefois, j’ai le sentiment de lire plus librement maintenant que je me sens dégagée de ce sentiment de devoir lire par obligation scolaire et par mimétisme. La lecture plaisir n’est pas tellement encouragée dans le cadre des études de Lettres, ni l’ouverture décomplexée à la littérature contemporaine. Je déteste l’idée souvent véhiculée que la littérature ne concerne que l’élite. J’ai connu des professeurs très mauvais dans la mesure où ils se sentent supérieurs et prennent les cours de littérature pour des tribunes personnelles, où leur histrionisme est insupportable. Dans la vraie vie, ce sont généralement des êtres odieux, humainement et émotionnellement handicapés, auxquels on a envie de dire : « Tant d’études et de lectures pour être un co**ard pareil ! ». Les études de Lettres ne sont donc pas toujours le meilleur endroit où se diriger quand on aime lire et écrire, et pas non plus le meilleur endroit pour appréhender les grandes problématiques de l’existence, contrairement à ce que l’étiquette de « Sciences humaines » peut laisser entendre…
J’ai pourtant été très tôt attirée par la littérature antique, qui me semblait receler, dans ses langues perdues, des trésors à déterrer qui n’intéressaient personne. Un de mes plus beaux souvenirs est d’avoir emmené l’Enquête d’Hérodote en Grèce avec moi, pour, devant les paysages des Thermopyles, relire les descriptions des lieux et des champs de bataille.
De manière générale, j’aime connaître les racines d’une langue, sa grammaire, l’histoire d’un lieu avant de m’y aventurer. Je ne conçois pas l’exploration du monde sans l’exploration de l’écriture d’un pays et de sa littérature. De ce dégoût d’un pédantisme intellectuel imposé est donc né le plaisir de découvrir par moi-même, à mon rythme, et par affinité, ce qui m’attire dans une culture, chez un auteur, un artiste, en prenant le temps de pénétrer son univers de façon complète.