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AUTEUR-E-S - Index I

35 - Jean-Pierre Otte

Crée tes anticorps

Crée tes anticorps


 Ce sont des temps mauvais qui n’en finissent

pas de se plisser et se replisser sur eux-mêmes.

Des vents délétères soufflent sans trêve

sur les crêtes et les combes de la terre.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              

Ce monde est malade au dernier degré

et nous souffrons du même mal,

nous à nous-mêmes vilainement substitués.

Les oiseaux de mer reviennent des confins,

les plumes tachetées de roséoles.

Ne te fie à personne, crée tes anticorps.


  Voilà le théâtre contemporain où l’esprit 

s’étrécit sans plus avoir de tanière ni de répit.

L’espoir est au large et l’âme en prêt-à-porter.

Ce monde est une cabine d’essayage

où les miroirs s’entre-reflètent.

C’est un autre que l’on aperçoit dans la glace,

le même autre que les autres aperçoivent aussi,

le même autre multiplié, tant d’autres

qui s’imitent, se contrefont  et se copient.

Ne ressemble à personne, crée tes anticorps.


  De partout arrivent les disgracieux,

les endettés et déficients, dépourvus de talent,

hommes sans caractère ni appartenance,

à l’ère du cynisme et de la médiocrité sublimée.

Ceux-là, incontinents, de plus en plus nombreux 

au milieu des vergers dévastés

(les oiseaux de passage meurent en eux-mêmes),

insultent la vie, injurient la beauté,

crachent sur le corps scintillant des rivières.

Ne sois pas de leur espèce, crée tes anticorps.   


Otages de l’indifférence généralisée, 

ils se sont fixés à demeure dans la routine,

la fixité même qu’ils imposent à la vie,

l’invariabilité des apparences ravalées.

Les ornières se creusent, l’esprit est vicié,

le cœur corrompu; l’œillère est obligatoire.

Viendra-t-il un songe qui n’aura plus les dehors du mensonge,

une transparence qui sera sans traîtrise,

une nuit étoilée qui accouchera d’un jour neuf ?

Dans l’attente de rien, crée tes anticorps.


  L’âme s’assèche et les chemins

s’achèvent dans un avenir si proche

qu’il est du présent de nos gestes défaits,

de la disgrâce des regards sales.

Le sentiment d’être en vie est en dissolution.

Toi, tu marches à rebours, intransigeant 

jusque dans le repli de l’estime de soi,

sans jamais au grand jamais présumer

de ce courant sans coupure qui te traverse.

Sans différer davantage, crée tes anticorps.


  Heureux es-tu d’être sans chimères, 

sans escompter d’innovation qui ne serait que 

la répétition de la même pièce sans cesse rejouée.

Tu optes pour l’oisiveté luxueuse, la vie poétique 

et l’opportunité fertile de l’inutile. 

Tu salues la beauté effilée des lys,

la nuit proche et profonde avec

la joaillerie des étoiles en circonvolution,

ainsi que les feux arrière à la poupe

des grands bateaux de traversée.

Le regard vers le large, crée tes anticorps.