Le dépôt
Crée tes anticorps
Crée tes anticorps
Ce sont des temps mauvais qui n’en finissent
pas de se plisser et se replisser sur eux-mêmes.
Des vents délétères soufflent sans trêve
sur les crêtes et les combes de la terre.
Ce monde est malade au dernier degré
et nous souffrons du même mal,
nous à nous-mêmes vilainement substitués.
Les oiseaux de mer reviennent des confins,
les plumes tachetées de roséoles.
Ne te fie à personne, crée tes anticorps.
Voilà le théâtre contemporain où l’esprit
s’étrécit sans plus avoir de tanière ni de répit.
L’espoir est au large et l’âme en prêt-à-porter.
Ce monde est une cabine d’essayage
où les miroirs s’entre-reflètent.
C’est un autre que l’on aperçoit dans la glace,
le même autre que les autres aperçoivent aussi,
le même autre multiplié, tant d’autres
qui s’imitent, se contrefont et se copient.
Ne ressemble à personne, crée tes anticorps.
De partout arrivent les disgracieux,
les endettés et déficients, dépourvus de talent,
hommes sans caractère ni appartenance,
à l’ère du cynisme et de la médiocrité sublimée.
Ceux-là, incontinents, de plus en plus nombreux
au milieu des vergers dévastés
(les oiseaux de passage meurent en eux-mêmes),
insultent la vie, injurient la beauté,
crachent sur le corps scintillant des rivières.
Ne sois pas de leur espèce, crée tes anticorps.
Otages de l’indifférence généralisée,
ils se sont fixés à demeure dans la routine,
la fixité même qu’ils imposent à la vie,
l’invariabilité des apparences ravalées.
Les ornières se creusent, l’esprit est vicié,
le cœur corrompu; l’œillère est obligatoire.
Viendra-t-il un songe qui n’aura plus les dehors du mensonge,
une transparence qui sera sans traîtrise,
une nuit étoilée qui accouchera d’un jour neuf ?
Dans l’attente de rien, crée tes anticorps.
L’âme s’assèche et les chemins
s’achèvent dans un avenir si proche
qu’il est du présent de nos gestes défaits,
de la disgrâce des regards sales.
Le sentiment d’être en vie est en dissolution.
Toi, tu marches à rebours, intransigeant
jusque dans le repli de l’estime de soi,
sans jamais au grand jamais présumer
de ce courant sans coupure qui te traverse.
Sans différer davantage, crée tes anticorps.
Heureux es-tu d’être sans chimères,
sans escompter d’innovation qui ne serait que
la répétition de la même pièce sans cesse rejouée.
Tu optes pour l’oisiveté luxueuse, la vie poétique
et l’opportunité fertile de l’inutile.
Tu salues la beauté effilée des lys,
la nuit proche et profonde avec
la joaillerie des étoiles en circonvolution,
ainsi que les feux arrière à la poupe
des grands bateaux de traversée.
Le regard vers le large, crée tes anticorps.