La
page
blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index I

25 - Gorguine Valougeorgis

Les notes de l'exil

LES NOTES DE L'EXIL

 

 

à babadjoun

à Araïk

 

 

Avant

les mots étaient des notes

ni fausses ni justes

allaient ensemble

formaient un tout


Puis les notes sont devenues

fausses ou justes

ont eu raison ou tort

Les notes sont devenues

des partitions

des mots

des porte-paroles

des porte-drapeaux

des armes

Les notes se sont séparées

dès lors

qu'elles ont appartenues





 

 

Sept heure la ville

s’étire

 

Sur la route de

l’école elle

 

sent le pain

 

Entre les gris

sur le banc vert

 

une moustache griffe

le roseau

 

millénaire

 

libère son chant

l’oiseau du ney[1]

 

Si j'avais séché

la classe

 

aurait été même

ce jour là

 

 

 

 

  

Il est des régions

où le roseau

 

l'abricotier

chantent depuis toujours

 

Des régions

où l'arbre renaît

 

par le souffle

de l'homme

 

après lui avoir

offert le sien

 

 

 

  

L'homme en soufflant

dans le bois

 

redonne vie

à l'arbre

 

redonne vie

aux siens

 

 

Un pacte du sang

entre l'homme et l'arbre

 

vieux de trois mille ans

 

 

 

  

 

Hier l'Ostâd[2] a dit :

 

Bientôt l'arbre ne chantera plus

cesse

de battre le bois

 

 

 

 

Comment – l'arbre briserait

un pacte millénaire ?

 

L'arbre

de ses mains ouvertes pourrait ?

 

 

 

 

  

L'arbre ne brise rien

pas même le vent

 

Mais l'homme et

les guerres et

les feux et

les usines et

les pesticides et

les insecticides et

 

L'homme brise l'arbre brise

le pacte

 

 

 

 

  

L'abricotier

a chanté tout le jour

 

J'étais quelque part

sans moi

 

avec lui

ses oiseaux exilés

 

ses voix

qui n'ont plus rien

 

que leur voix

qui n'ont plus rien

 

que tout ça :

 

quelques notes

encore

 

pour arroser le bois

 

 

 

 

  

L'Ostâd a dit

 

cache ton bois

ils te le prendront

quand ils en auront

besoin pour

 

faire une hache

faire un feu

faire une échelle pour

 

grimper plus haut

 

 

 

 

  

Mais le disant

jouait partout

 

Comment pouvait-il

autrement ?

 

Un oiseau

ne chante pas en cage

 

Ses notes ont des ailes

pour voler

 

vers les âmes non

les murs

 

 

 

 

 

Des hommes sont venus

Tous semblables

 

Ont hurlé sur les notes elles

réchauffaient trop les âmes

 

Ils ont cassé

le bois de mon maître

 

lui ont

coupé le bras

 

 

 

 

 

  

Comment peut vivre

un oiseau avec une aile seule ?

 

Comment peut vivre

un maître sans musique ?

 

Il s'en est allé

loin très loin

 

mais est toujours resté

au pied de son arbre

 

 

 

 

  

Je l'arrose

tous les jours

 

Tant qu'il restera

des larmes à dire

 

mes doigts continueront

à pianoter le vide

 

et les notes pousseront

 

 

  



[1]    Flûte iranienne en bois de bambou et d'abricotier

[2]   « Maître de musicologie » en persan