Le dépôt
Les notes de l'exil
LES NOTES DE L'EXIL
à babadjoun
à Araïk
Avant
les mots étaient des notes
ni fausses ni justes
allaient ensemble
formaient un tout
Puis les notes sont devenues
fausses ou justes
ont eu raison ou tort
Les notes sont devenues
des partitions
des mots
des porte-paroles
des porte-drapeaux
des armes
Les notes se sont séparées
dès lors
qu'elles ont appartenues
Sept heure la ville
s’étire
Sur la route de
l’école elle
sent le pain
Entre les gris
sur le banc vert
une moustache griffe
le roseau
millénaire
libère son chant
l’oiseau du ney[1]
Si j'avais séché
la classe
aurait été même
ce jour là
Il est des régions
où le roseau
l'abricotier
chantent depuis toujours
Des régions
où l'arbre renaît
par le souffle
de l'homme
après lui avoir
offert le sien
L'homme en soufflant
dans le bois
redonne vie
à l'arbre
redonne vie
aux siens
Un pacte du sang
entre l'homme et l'arbre
vieux de trois mille ans
Hier l'Ostâd[2] a dit :
Bientôt l'arbre ne chantera plus
cesse
de battre le bois
Comment – l'arbre briserait
un pacte millénaire ?
L'arbre
de ses mains ouvertes pourrait ?
L'arbre ne brise rien
pas même le vent
Mais l'homme et
les guerres et
les feux et
les usines et
les pesticides et
les insecticides et
L'homme brise l'arbre brise
le pacte
L'abricotier
a chanté tout le jour
J'étais quelque part
sans moi
avec lui
ses oiseaux exilés
ses voix
qui n'ont plus rien
que leur voix
qui n'ont plus rien
que tout ça :
quelques notes
encore
pour arroser le bois
L'Ostâd a dit
cache ton bois
ils te le prendront
quand ils en auront
besoin pour
faire une hache
faire un feu
faire une échelle pour
grimper plus haut
Mais le disant
jouait partout
Comment pouvait-il
autrement ?
Un oiseau
ne chante pas en cage
Ses notes ont des ailes
pour voler
vers les âmes non
les murs
Des hommes sont venus
Tous semblables
Ont hurlé sur les notes elles
réchauffaient trop les âmes
Ils ont cassé
le bois de mon maître
lui ont
coupé le bras
Comment peut vivre
un oiseau avec une aile seule ?
Comment peut vivre
un maître sans musique ?
Il s'en est allé
loin très loin
mais est toujours resté
au pied de son arbre
Je l'arrose
tous les jours
Tant qu'il restera
des larmes à dire
mes doigts continueront
à pianoter le vide
et les notes pousseront
[1] Flûte iranienne en bois de bambou et d'abricotier
[2] « Maître de musicologie » en persan