Le dépôt
Suis TRANS par défaut
Suis TRANS par défaut
Suis trans puisque je traverse un bois en flammes au lieu de plonger dans un puits d’eau glacée, trans parce que la brûlure de l’été extrait de mes pores un suc plus acide que la transpiration des grands singes dont les yeux s’enfoncent dans la solitude de leur forêt en sursis, trans depuis que je ressens le halètement contraint de ce chien muselé au fond d’une rame de métro, trans au nom de toutes les découpes d’ombres sur les murs qui transitent par mon imagination aux abois, trans dès qu’un désordre me promet l’espoir d’un chaos revivifiant, trans si je dépose sur les épaules d’une femme transie un paletot sauvé de l’héritage d’une aïeule, trans si je dépose sur les lèvres impatientes d’un homme le baiser dont il rêve dans la transparence de ses nuits de veille,
trans même si et parce que sur ma rétine se colle la laideur des villes et des villages vendus au capital dévastateur, trans parce que Malcolm de Chazal, en 1948 écrit à Jean Paulhan la vue en un seul sens ne nous mène qu’à l’observation pure et simple et extérieure. La vue en retour par contre nous met dans la vie des choses – en plein centre d’être de l’Existant. , trans pour n’être pas statufiée dans la conviction andromorphe de mon immortalité, si trans que je ne voudrais gémir, pour toutes les groseilles du monde, sous le corps d’un robot qui serait la réplique augmentée d’un transhumaniste béat, trans au point de me souvenir des effluves des quartiers de viande sur l’étal crapoteux d’un boucher de Transnistrie, trans jusqu’à m’être mise à la place des mouches qui butinaient cette barbaque pour imaginer le secret plaisir qu’elles y trouvaient, trans quand je pense que, malgré tout, je serais incapable de pondre des œufs en forme de paillettes blanches sur une queue de bœuf, trans à chaque fois que je ne puis regarder en face le soleil qui me donne la vue et me regarde baisser les yeux éblouis dans l’inquiétude de n’être qu’incertaine ou la sidération de contempler mon nombril où chaque année s’épaissit l’ombre du temps, trans à la vue de l’absence de mes pectoraux qui préférèrent dans le ventre de ma mère devenir des seins comme des obus, trans grâce au soulagement de n’être pas obligée comme les Assyriens, les Babyloniens et les Chinois il y a 4000 ans de me les muscler, mon aréole risquant d’éclater, trans sitôt que surgit au coin d’un de mes neurones la main d’une inspiration et que je la saisis de peur que se noie le corps qui y est attaché, trans lorsqu’au passage je caresse le dos de cette orque égarée dans la Seine et qui a reçu une balle dans le cou, trans lorsque je suis intransigeante face à la violence impériale qui fait bander et mouiller l’humanité, trans lorsqu’à fond sur mon vélo gitane je transporte ma carcasse jusqu’aux dunes de l’océan, piquées d’oyats, de chardons bleus et d’immortelles, trans quand je vois le collier de cendres qui ourle les plages de la fureur incendiaire, trans si tu t’imagines que je vais m’agenouiller en invectivant le ciel et la fatalité quand seule une tarentelle de Sicile ou d’Albanie peut évacuer toute charge toxique dans une transe allègre, trans depuis la toile bleue de mon transat qui menace, dans mon sommeil, d’être englouti par la marée montante, trans comme le mime Baptiste qui de ses grandes
manches blanches balaierait ce vers de Baudelaire : Sois sage Ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille, trans par défaut lorsqu’on me transplanta d’une terre d’Afrique à une autre mollement agitée de vers comme de minces viscères, trans à l’idée que l’aigle qui s’empiffrait du foie de Prométhée ignorait que ses transaminases avaient dépassé le seuil de l’ivresse de l’orgueil, trans pour transiter par des voies accessibles aux seuls esprits chantants, aux seules présences déconcertantes, trans depuis que je me transforme inéluctablement en vieille peau de pom pom girl, trans pour l’allégresse d’être transfuge d’une quelconque appartenance et de pouvoir déblatérer du bout des lèvres des texticules moins fadasses que les haikus à la chaîne – je suis trans, à la fois grenouille, butor, cauchemar, phacochère, matelas, petit pois, princesse, roi, Andersen, hennissement, étalon aiguille…
Chuis trans pour tout dire, point trop rance encore – alors que le transisme est en passe de pulvériser le corps social en myriades de singularités qui se muent en censeurs, à bord d’un tank autodestructeur dont les transactions identitaires divisent pour mieux régner, fût-ce à leur corps défendant. Ô paradoxe de qui désire être partout et se retrouve nulle part à gazer du regard celui qui serait quelque part ici ou là, non identifié.
Nom d’un klebs de saperlipopette de nichons glandés au stupre de spritz, faut’y qu’tu coches la bonne case pour te sentir autre que tézig ? Faut’y que tu t’équeutes haut et fort pour kiffer la balance de tes hanches et le froufrou de ta jupe d’organdi ? Quoi t’est-ce c’te bien pensance sectaire patentée par la com des zéros socios et des tirs publicitaires ? Z’êtes pas cap comme le duo du poisson-clown de virer casaque sans l’autorisation de la cheftaine scout ou du cheftain scoute, uniquement pour assurer fissa votre domination et votre reproduction ? Si madame poisson meurt, hop monsieur troque zizi contre nénés et un autre mec eunuque de la smala se voit pousser un zizi d’enfer. Hermaphrodisme successif, pour l’ignare que je suis ! Y’a au moins 500 clowns de ce type qui hantent les mers. Un cirque salvateur, msieudam ! Alors on est protandre ou protogyne, si c’est pas joli, damcieux ! Même que tu peux te repentir et, en hermaphrodite bidirectionnel assisté, rentrer à ton premier bercail sexuel, vroum, vroum ! Sans compter que toute cette érotique tambouille se mitonne entre les bras veloutés d’une anémone de mer échangiste d’habitude mortelle pour les poissons ! Diablement excitant… Moi j’dis que ces clameurs de division sexuelle, ça castre et attise la haine qu’avait pas besoin d’être excitée. Castrastophe du siècle, au lieu de se laisser porter par le courant qui te turgesce du téton à la tige, ça cadastre à tout va. OK qu’on n’a pas toujours son corps au bon endroit, ni ses organes dans le bon sens mais si c’est pour qu’on te les fourgue à l’endroit recto de l’envers, moi j’dis niet popov, pas touche à moi, objet d’art, tu m’tatoues pas l’âme à exhiber de peur que j’sois plus r’connue. Tu m’déguises pas en moi-même, chuis assez grande pour errer dans l’univers qu’est ni à l’endroit ni à l’envers mais tourné d’un seul élan vers l’toutim. Ça se voit comme le pif au cœur de la bouille que l’inclusif aux forceps ça t’exclut du vif ardent. Agrafe donc, AÏE ! un téton de femelle au bout d’un sale braquemard de mot et pof ! tu fais de la femelle une côtelette de mâle, mate un peu l’ami.e, comme si que le genre grammatical avait un rapport sexuel avec le genre sexuel ! Quoique, couac, zavez ptet raison, faut illico foncer chez Brico pour interdire les partouses séculaires entre prises femelles et prises mâles. PRISES !!! Ciels ! Au viol !!! Le monde est un vaste lupanar qu’il faudrait fermer. Vous m’direz qu’c’est en bonne passe tant i ya de gus et gusesses qu’ont plus envie de galipettes, nan, ça veut plus, trop d’trucs en même temps et pis la pube s’en charge et décharge. J’y pense tout soudain, le « braquemard » mâle que j’ai dit plus haut, ben ça a donné « braguette » ! Il s’est permis, ce fouteur de mot, d’accoucher d’une nymphe par la boutonnière de laquelle un gland pourrait pointer son (sa ?) prépuce ! – euh, son prépuc, pardon ! Le poisson-clown en perd ses écailles de rire. Allez, il suffit.
Suis trans par-delà tous les transistors d’où fluent tant d’ondes libres, trans par dérangement du genre qui range chacun à une place quand il prétend dégenrer, je transmigre, transfère, transite, traverse, transcris, transmue, transvase, transpose, traduis, transcende, transmute, transfuse tous les sangs noirs de rate en sangs d’encre où je trempe.
Je suis trans par empathie poétique. Je suis trans par défaut. Na.
Tristan Felix, le 18 juillet 2022
Texte, un chouïa enrichi ici, d’abord refusé par une revue,
puis happé par Libr-critique,
clamé lors d’une milonga au Théâtre de la Terre à Belleville,
avant d’être désiré par Tinbad que je remercie.