Le dépôt
Zoom 12 - Rose Ausländer
Quelle bien étrange simplicité que la poésie de Rose Ausländer . Quel charme puissant, envoûtement, hypnose et quelle magie des mots simples ! Elle, devenue vieille, continue, dans les dernières années de sa vie, passées dans son lit, à écrire. Elle pave le chemin jour après jour.
"Sans Visa", suivi de "Tout peut servir de motif et autres proses", Rose Ausländer, traduction Eva Antonnikov, éditions Héros-Limite 2012.
Oeuvre écrire dans les années 70 après avoir arpenté le monde. Comme si "Sans visa" était, par-delà une vie forcée à la déterritorialisation, le manifeste du sans-visa.
Rose Ausländer être-Sans-visa
Impressionnant, à la lecture de l'ensemble poétique, de ressentir comment la poétesse construit son itinérance depuis le coeur de l'errance. Comme si l'autrice se disait amalgame-écriture-mouvante.
L'ouvrage se compose d'une série de poèmes qui basculent en prose. C'est, peut-être, un parcours poétique en direction de la transprose ? Une oeuvre dans laquelle le langage bascule continuellement par-delà ses propres limites. Car le titre éclaire certainement ce parcours poétique ... Et peut-être l'oeuvre d'une vie... extrait du poème en prose Fait accompli :
"Depuis quelques temps, j'ai un talent étrange : je sais traverser les murs, tête la première."
avancer Sans visa
Dans les poèmes, les pas existentiels semblent courir par-delà les traces imposées. Il le faut bien cet ancrage, juste pour avoir le plaisir de l'enjamber. Traces de la judaïté dans le poème Hier :
"Jacob lutte avec les anges
je le soutiens
de ma joie
je me tiens sous l'échelle
dans la lumière laiteuse
sur la tombe de ma nourrice "
spiritualité Sans visa
Imprégnation de l'indicible. Au coeur de l'être-poétesse, l'aile noir-corbeau-épouvante qui projette son ombre d'entre les ombres sur le XXème siècle. Rose Ausländer échappe à la déportation, confinée dans sa ville natale, à Czernowitz en Ukraine. l'Holocauste est évoqué et c'est un cauchemar dans le poème Réveil I :
Réveil I
Me réveillant
de rêves tourmentés
sur un lit d'orties
j'observe
la construction
de potences gigantesques
pour moi
et
mon peuple
Sans visa au coeur du ghetto
L'écriture poétique. Un espace-temps authentique. Rose Ausländer nous rappelle que rien n'est plus réel que le poème. Quoi de plus réel que le dit de l'écriture poétique. Son minimalisme au service de la création d'unités-espace-temps. Le poème est vécu. Le poème est vivant. Puissance ramassée de son verbe-présence si peu bruyant, tellement éclatant. Dans le poème Ici et là :
"Le là aussi peut être ici. Ici et là il y a des yeux. Des yeux de lumière, des yeux de nuit. Là aussi, il y a de l'oxygène dans l'air. Ici et là, je respire mon chez-moi étranger."
le poétique est Sans visa
Rose Auslander ira jusqu'à écrire en Anglais. Reniement. Reniement. Besoin d'effondrement linguistique vital. Cette langue Allemande reniée, elle y revient, après avoir écrit en Anglais par besoin urgent de désertion. Injustement oubliée derrière les ombres de Celan et de Sachs, sa poésie de la seule maison du verbe continue de briller. Elle se détache en lettres de lumière qui perce le fond noir. Sans concession Rose Auslander défend :
"Ma patrie est morte
Ils l'ont enterrée dans le feu
Je vis dans ma terre maternelle
Le mot"
Rose Ausländer l'écrire-vivre est Sans visa
Sandrine Cerruti