Le dépôt
La dernière nuit
La dernière nuit
1.
Et je sentais revivre en moi le souvenir perdu de la virginité, des heures suspendues au grand soleil d’été./
Aucun arbre ne choit, aucun arbre n’inonde tout le vaste univers où l’enfance enchantée parcourt les horizons./
Le latin des églises qui sent bon les encens est plein de couleurs rouges et qui respirent tant la vaste et calme intemporalité./
Celle de l’éternel présent où l’immense ivraie du souvenir rappelle à la chair l’ivresse des longues courses en une éternelle chanson./
2.
Dans les vallées sacrées où je t’ai cajolée, affranchi de ces craintes et des larges blessures, j’étendais sur ta tête./
Le grand foulard des Aulnes, celui que tu m’avais donné, sous lequel j’embrassais dans la vaillance vive, ton front pur et serein./
Le monde a soif d’amour me dis-tu au lointain comme écouté dimanche alors qu’au dehors dans la pluie sonnait la tempête./
Dans le frémissement de la beauté du jour, d’un bel après-midi d’amour, ma mémoire s’affole : je rêvais sur ton sein./
3.
La mémoire me revient, tu voulais que nos noms habitent les idoles et vivent pour toujours dans la pensée du monde./
On ne divinise rien ici bas dans l’ornière sauf le Christ en feu, disais-je à la petite fille qui sentait bon la lune, oubliait sa misère dans mes bras encore purs./
Et l’amour infini criais-tu aux oiseaux, aux ciels fantastiques vaincus par les nuages, à la mort vagabonde./
Et moi je t’entendais, bien serré contre toi comme un corps Olympien qui saurait tout de Dieu, des hommes parfumés ou du vilain futur./
4.
Et j’entrais dans tes rêves et voyais le cheval sur lequel tu dansais comme un clairon qui sonne./
Ainsi qu’un étendard sur le vent qui bourdonne alors je te suivais et je voyais en toi la belle enfant chérie et le soir qui flamboie./
Alors tu m’emmenais dans la nuit des forêts, de ces monstres moqueurs, des grands esprits ailés et eux ils te pardonnent./
Tu es des leurs et l’a toujours été, petite fille des fées, vive comme la forêt qui ne respecte rien ici bas sinon sa propre loi./
5.
Mais je ne savais rien de l’argile ou du mercure, de l’athanor ou du feu ou de cet éternel mystère./
Je t’écoutais chanter et bercée par la terre tu t’es vite endormie comme un vaste animal auprès d’un vaste Dieu./
Alors j’ai attendu sous un vent chaste et doux que le sommeil habite tout pleinement le rêve de ton âme ainsi qu’un monastère./
J’ai bu à la mamelle de la nuit car nous étions perdus et nul ne savait que nous avions juré au monde un éternel adieu./