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AUTEUR-E-S - Index I

74 - Luc Loiseaux

La dernière nuit

La dernière nuit


1.


Et je sentais revivre en moi le souvenir perdu de la virginité, des heures suspendues au grand soleil d’été./

Aucun arbre ne choit, aucun arbre n’inonde tout le vaste univers où l’enfance enchantée parcourt les horizons./

Le latin des églises qui sent bon les encens est plein de couleurs rouges et qui respirent tant la vaste et calme intemporalité./

Celle de l’éternel présent où l’immense ivraie du souvenir rappelle à la chair l’ivresse des longues courses en une éternelle chanson./


2.


Dans les vallées sacrées où je t’ai cajolée, affranchi de ces craintes et des larges blessures, j’étendais sur ta tête./

Le grand foulard des Aulnes, celui que tu m’avais donné, sous lequel j’embrassais dans la vaillance vive, ton front pur et serein./

Le monde a soif d’amour me dis-tu au lointain comme écouté dimanche alors qu’au dehors dans la pluie sonnait la tempête./

Dans le frémissement de la beauté du jour, d’un bel après-midi d’amour, ma mémoire s’affole : je rêvais sur ton sein./


3.


La mémoire me revient, tu voulais que nos noms habitent les idoles et vivent pour toujours dans la pensée du monde./

On ne divinise rien ici bas dans l’ornière sauf le Christ en feu, disais-je à la petite fille qui sentait bon la lune, oubliait sa misère dans mes bras encore purs./

Et l’amour infini criais-tu aux oiseaux, aux ciels fantastiques vaincus par les nuages, à la mort vagabonde./

Et moi je t’entendais, bien serré contre toi comme un corps Olympien qui saurait tout de Dieu, des hommes parfumés ou du vilain futur./


4.


Et j’entrais dans tes rêves et voyais le cheval sur lequel tu dansais comme un clairon qui sonne./

Ainsi qu’un étendard sur le vent qui bourdonne alors je te suivais et je voyais en toi la belle enfant chérie et le soir qui flamboie./

Alors tu m’emmenais dans la nuit des forêts, de ces monstres moqueurs, des grands esprits ailés et eux ils te pardonnent./

Tu es des leurs et l’a toujours été, petite fille des fées, vive comme la forêt qui ne respecte rien ici bas sinon sa propre loi./



5.


Mais je ne savais rien de l’argile ou du mercure, de l’athanor ou du feu ou de cet éternel mystère./

Je t’écoutais chanter et bercée par la terre tu t’es vite endormie comme un vaste animal auprès d’un vaste Dieu./

Alors j’ai attendu sous un vent chaste et doux que le sommeil habite tout pleinement le rêve de ton âme ainsi qu’un monastère./

J’ai bu à la mamelle de la nuit car nous étions perdus et nul ne savait que nous avions juré au monde un éternel adieu./