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AUTEUR-E-S - Index I

13 - Bertrand Naivin

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C'est ton duomo que tu donnes

à voir

en premier

l'art des belles choses

la rondeur de la terre et cette croix qui perce le ciel

vers l'autre

Ciel

les parements délicats de sa façade céleste

de la bonne maniera

du lisse

du délicat un édifice qu'on expose

que tu as explosé aussi

parfois

démoli les pierres de trop

celles trop lourdes qui font tâche

d'encombrants restes dont tu ne voulais plus

pour ensuite les refaire

à ta façon

ton style nouveau

un temple qui assume aujourd'hui ces histoires mêlées

une belle carte postale de toi

ce dôme et ce ciel bleu derrière 

forcément

faire envie

faire bonne figure aussi

surtout

bien se tenir à table et dire merci sans rechigner


Mais au-delà des bords blancs

derrière l'image courtoise

après l'été

les touristes d'un jour

d'une semaine

d'une année

savent-ils les autres quartiers

les cinquante rues de ta ville ? 


Non

bien-sûr

toi-même tu n'en sais pas

tous les recoins toutes les impasses

les projets inaboutis

les chantiers délaissés

les fondations perdues de ne pas y avoir assez cru


Tu connais par contre

cette envie fatiguée

qui sourit sur la photo mais qui perd déjà ses couleurs

effacée par l'ennui

finir les restes dans le frigo


Parfois aussi tu te perds

dans des impasses sans éclairage

des labyrinthes aveugles

où tu te cognes contre toi-même comme une mouche sur une vitre


Tu les sais également 

les rues sales les coins sombres

loin des boutiques lumineuses des vitrines du commerce monde

à quelques crachats des zoos pavillonnaires

et de l'exil aérien des expulsés de demain

oui

tu t'y faufiles

dans ces dédales abjectes parfois

où ça pue la pisse la merde la gerbe

toutes ces envies qu'on ne retient plus

et qu'on déverse

fous d'échapper

aux panneaux d'interdiction de laisser un reste de soi par terre

une odeur

sale

traumatiser l'image souiller 

le territoire

la brochure la carte obsolète


Ça y sent aussi le sperme

le désir de corps de peau

le besoin de conjurer le froid de la pierre éternelle

par la douceur duveteuse

la chaleur fraîche

la mollesse ferme

d'un sein d'un cul d'une cuisse

d'une main qu'on prend pour se pendre

et bander une dernière fois

redevenir animal pour mieux se sauver du péché. 



Et puis il y a cette friche 

où se plaisent l'herbe folle

le coquelicot fragile 

la ronce généreuse qui offre ses mûres pour s'excuser de griffer les jambes nues de l'été

et les brigades invisibles d'insectes comme des cellules vivaces

dont l'agitation fertile 

entretient l'abandon

le laissé pour rien l'inutile nécessaire

ces espaces minuscules où se rejoue chaque jour 

chaque nuit

cet instant mystérieux 

où un hasard miraculeux dérangea cogna le silence pour y faire naître le premier cri







Tu es une ville

avec ses ruines

ses projets de construction

ses monuments à restaurer

entretenir

rebâtir

et ses zones habitables

ses aires pavillonnaires

comme ses rues commerçantes

qui s'étendent en rhizome au grés de tes générations


Et puis il y a cette friche

où se plait l'herbe folle

le coquelicot fragile

ces nations invisibles d'insectes à l'agitation fertile

ces espaces minuscules

où se rejouent chaque jour les balbutiements de la vie