Le dépôt
Un corps qu'on dépeuple
Premiers poèmes d'un recueil qui en contient 50. Textes protégés et enregistrés sous forme d'empreinte numérique à la SGDL.
Paru aux éditions Exopotamie en novembre 2023.
Recension critiques:
- Patrice Maltaverne : http://poesiechroniquetamalle.blogspot.com/2023/11/un-corps-quon-depeuple-de-matthieu-lorin.html
- revue Décharge : https://www.dechargelarevue.com/Matthieu-Lorin-Je-suis-celui-qui-arrache-I-D-no-1075.html
- blog de Marie-Anne Bruch : https://laboucheaoreilles.wordpress.com/2023/12/17/un-corps-quon-depeuple-de-matthieu-lorin-poesie/
- sur Sitaudis: https://www.sitaudis.fr/Parutions/un-corps-qu-on-depeuple-matthieu-lorin-1703699290.php
- sur libr-critique : https://t-pas-net.com/librCritN/2024/01/10/chronique-matthieu-lorin-un-corps-quon-depeuple-par-christophe-esnault/
- sur Recours au poème : https://www.recoursaupoeme.fr/matthieu-lorin-un-corps-quon-depeuple/
- sur Poesibao : https://www.poesibao.fr/matthieu-lorin-un-corps-quon-depeuple-lu-par-romain-frezzato/
1-
Les vertiges du corps, la tête renversée qui accumule des pensées & des axes à éviter.
Il faut me détacher de ce ventre, briser le cocon comme le paysan tire un coup de fusil dans la ruche. Le dard est une révolte, on me l’apprendra plus tard.
Atteindre le bruit & la mauvaise houle. Comprendre qu’il n’est question que de parois, qu’il restera de cette enfance un cri en suspens,
la fumée d’un incendie déjà maîtrisé.
2-
Voilà pourquoi je découpe ma naissance, lui donne un arrière-goût de ferraille. Pieds boueux & nausée au-delà des flaques.
Scier, puis disparaître par l’encoche.
Je suis celui qui arrache, la bête traquée qui se souvient du crépuscule ou des saillies à la lueur de bières éventées.
3-
Terminaison nerveuse d’un arbre fendu, je deviens un ensemble d’os traversant les nœuds & les âges.
Un squelette qui crevasse, se gorgeant de croyances creusées dans du mauvais bois.
Et ces mains, des extrémités égarées à la recherche aujourd’hui de frontières & de cordées à mesurer.
4-
J’ai égrené chaque souvenir au papier abrasif. Obtenu ainsi une surface lisse et remise à nue que j’ai recouverte de mes émeutes, en passes croisées.
Depuis je laisse l’ensemble sécher à température ambiante,
le temps d’une vie.
5-
Plus tard, les dérives de la jeunesse, la dent de lait exhibée comme la chute d’un trophée…
Puis les racines qui tombent dans la rivière désaxée. Ma tête l’est aussi lorsque j’observe la forêt de mes mâchoires, à la recherche de grottes noircies. Les caries sont mes fresques & mes mensonges des torches.
Tout au fond, la molaire brisée comme une vitre ou une amitié d’adolescent.
6-
Madame, monsieur
Me voilà à déterrer les gestes perdus, les sourires maternels & les verres de lait réchauffés à petit feu. Mon enfance se percute encore contre les murs du préau & le fond de ma mémoire. Avec la force du chien débarrassé de son harnais.
C’est pourquoi je souhaite réintégrer votre famille dans l’espoir de faire de nos futures rencontres une façon de dépeupler ce corps.
Dans l’attente de votre réponse, je vous transmets mes salutations les plus respectueuses.
7-
C’est à l’adolescence que j’ai démonté l’horizon pour le mettre en poche. Il y avait déjà au fond forêts et souvenirs tranchants comme des dieux.
Je savais que mon avenir serait fait de tours, de boue et de dents contre. Que mes rides glisseraient sous de nouvelles fenêtres.
« Sa colère finira bien par se coucher en chien de fusil », disait-on…
8-
Mais savez-vous que mon oreille n’est encore aujourd’hui qu’incendie, l’invendu de derrière le comptoir ? Dans le creux du marteau se tient ma folie : l’os joue à faire la fête.
J’ai tout abandonné dans mes fissures. Je ne veux plus être cette simple anfractuosité contre les parois du monde.
9-
L’amour propre & les incompréhensions s’allongent autour de mon corps. Raideur des silences, lycéen sous le poids de l’existence.
Un jour, l’autre. Une bouffée d’angoisse devant le cosinus négatif. Quelques minutes de plus auraient suffi à ensemencer terres et racines.
En l’état, je préfère rebrousser chemin et tourner le dos au monde adulte.
10-
Rancœurs & frottements, la morale tourne dans le vide comme la chance, un ralenti ou une sauce.
Elle creuse le corps, démonte les viscères. Retirez les os tant qu’on y est pour que la peau me retombe dessus comme un drap,
ou une inquiétude verticale.