Le dépôt
AVERSES DE RAGE
Les enfants portaient leurs cheveux d’ange
entre leurs bras tendus
Cheveux lourds, cheveux légers
de vent, de terre, qui sentaient le brûlé
Cheveux retors à mèches bifides
Ces enfants tête nue avançaient serrés
sous le disque solaire
Ils allaient déposer leur offrande
au pied de la montagne qui bave
Envahie d’elle-même
elle ne sait plus parler
Ses lèvres sur l’éboulis de ses dents tremblent
La montagne lentement pense
en glissant sur ses plis
Elle choisit ses pans de chevelure
pour s’iriser dans les nues
et confondre les herbes
Les enfants s’en repartent heureux, chancelants
Leurs cheveux repoussent déjà le ciel
18/09/2021
L’ample chair et rose de celle-là qui danse
tète son rêve de ronde
en spirale pour la nuit
Elle incorpore cadences et trilles
épouse les surfaces, respire à temps
le temps de fête
accomplit le tour complet des corps
germe au travers de sa mémoire lascive
hébétée d’être là contre et parmi
Son village là-bas lui remonte les sangs
Elle rougeoie, sue, souffle
Pressée contre un diable à bruyère
par le petit doigt elle tient la farandole
Son tronc exulte quand
de ses branches basses
s’envole un petit duc qui ébrèche la lune
22/09/2021
L’ennemi sort en petites coupures
d’une gorge d’albâtre
d’une jambe de plâtre
d’un œil à la verticale de l’ordre
Il s’exerce, s’aiguise contre sa coque native
d’engage dans sa milice intime
contre les torses de traviole
les airs de mauvaise grâce
Il copule où ça tue
Il copule où ça pue
aspire les fresques jusqu’au désert
déchire les peaux d’enfants
s’immisce dans le jus impérial
Sa poussière sera brûlante
24/09/2021
À courir à cru sur l’échine des collines
les nuages de cendres réveillent
les morts qui rêvaient de culbutes insanes
Dans leur enclos coquet de fleurs
pleins de fumées de l’aube
leurs osselets nacrés cliquètent
au vieux désir qui perle
Les nuages ont cette gueule de bois cramé
qui ont vu tant de lambeaux pâles
pendus aux branches des hêtres
Vite, au creux d’une paume, un cœur de loup
un éclair dans l’œil d’une perdrix
pour les rendre à leur mémoire dont les jambes
si longues sous le temps se dérobent, hélas
Les nuages veillent aux grains
qui rincent nos visions intranquilles
25/09/2021
La terre de l’autre côté s’en va
où l’humeur noire vitrifie les sangs
où s’absente l’ombre intime
où feignent les corps d’être émus
où saignent les fruits jamais mûrs
où se danse tout seul la ronde de l’ennui
où le sexe incertain se regarde baiser
où l’atome des moi agite sa queue folle
où nul ne sait plus qui n’est pas l’autre
où l’algorithme dissout tout désir dans l’acide
où fument dans les cendres des restes d’hirondelles
où les rives scellent des empreintes d’errants
où la langue colle au palais qui s’effondre
où les baies de sureau sont têtes de fourmis mortes
où le sperme des banques sèche
au coin de leur bouche d’égout
La terre de l’autre côté s’en va
01/10/2021
Les peaux grêlées sont des arpents de lune
où trébuchent les doigts
Les craquelées divisent le territoire en squames d’effroi
Les tailladées saignent les croyances
burlesques, affreuses, replètes, creuses
Les vétustes creusent les tranchées
où remue la nuit dans sa poche de sang
Les bleues reçoivent les coups
Dd sort, de foudre, de grisou, de poing
Les soyeuses essuient la sueur du temps
se déchirent aux résilles de barbelés
Les duveteuses abritent des cicatrices
rose, prune ou sépia
Les peaux glissent d’un corps à l’autre
se vident, tombent liquéfiées
comme des champignons
07/10/2021
Les pierres voient plus près qu’où tu vois
encaissent les coups
veillent sous les souches
à durcir ce qui fut
se piquent de cristal de lune
dans l’œil crevé des flaques
fermentent au ras du sol
dans leur creux juste et sévère
Les pierres ont l’œil et la main
sur tout le pays
Gardiennes intègres des rages
elles respirent les vapeurs
de nos assassinats
Elles roulent leur tête dure
aux premières crises de mort
emportant dans leur chute
des projets d’univers
13/10/2021
Les étendues crispent
les sabots des bêtes à mauvais dieu
à cornes, à cheveux gris, à langue longue
Ça tombe de partout, les yeux en l’air
où un triangle d’oies mesure
leur part d’orage
Les étendues grincent des dents
dès qu’un roi lève sa queue pour enfourner la grâce
Vite elles effacent colliers de larmes
secrets comptines à trois sous
Elles crachent un brouillard givrant
sur les menaces aux vieilles jambes torses
Les étendues soupirent tant et tant
17/10/2021
Les araignées ont le sommeil léger
se rayent le ventre de lais de lune
flottent au milieu de leur toile
le nombril épinglé dans le vide
Elles savent ne plus tendre que des fils
gouttelés d’un sérum de rêve
Leur pensée remonte la sève des bois
jusqu’aux patients nuages
qui pleurent de n’en pouvoir plus
Qui sait encore où ils ont craqué
à quels désirs noirs ont cédé ?
Les araignées parfois retiennent
au bout de leurs doigts agités
une facétie sans nom qui danse
contre le vent toute une vie
tout un opéra bouffe
dans un décor de soufre
Il suffirait d’une allumette
19/10/2021
Les corps balancés en plein vol
prennent essor jusqu’au bout
de leurs yeux
Ils crèvent le cristallin des nues
font une mosaïque de chairs mêlées
On ne sait plus à qui ce bras
à qui ce nerf et cet émoi
s’ils retomberont un jour
tapisser la dalle froide des jours
faire peau neuve pour emballer
un inerte robot à grimace divine
expert en leurres de latex bleu
fourré de coups de poing
secoué de spasmes d’envie
enduits de la bave du maître
qui goûte aux charmes de son entreprise
25/10/2021
Les courants charrient les restes de ripaille
Pâleurs, fièvres, hontes, sueurs
un casting de fin de partie
pour happening de caste
toutes plaies à encadrer
dûment cerclées d’or
Les vaincus qui penchent
les usés qui s’effritent
les exposés qui pèlent
les courbés qui claudiquent
l’expo battra son vide, son bide
universel, conceptueur, un brin cruel
La gueuserie turgesce le désir
ça s’y frotte à l’envers
ça rit de n’en pas être
ça confisque les reliefs de bombance
concupisce tout ce qui bouge
Mais la tourmente exorbite l’œil sidéral
échevèle jusqu’au minéral
crève les surfaces coagulées
déterre les grappes de morts
resserre des poissons la cotte d’écailles
Ainsi naissent les sirènes du carmen
qui alarment, qui s’arment
On a juste le temps
04/11/2021
À forer sans penser le scolyte dessine
au hasard sa mire
Au clou du doute il suspend
ses hardes de temps
Sa façon tisse en creux
des contes mal famés
des énigmes de gosses
des courses au trésor sans diamants
des carrefours à l’envers
des voies sans issue que le vide
des veines à couper le souffle
des embrouilles impatientes
des rages d’infini
Il signe jusqu’à sa mort
sa preuve inaliénable, ah ah ah !
Qui dit qu’il n’est pas encore là ?
Il erre têtu à tâtons
Tête baissée il mord sa route
hâtivement lent
Entre tes dents il se mange
05/11/2021
Des yeux d’insecte scrutent
entre les failles des souches
un peu de cet humus
qui grimpe entre les jambes
Ils dosent l’eau des pluies
et les restes de vie qu’ils marient
au hasard des aubes spongieuses
Les sèves s’y mettent, industrieuses
Tout s’appâte et tout colle
Les jambes ont tenu tête aux souches
La forêt en marche, éloquente
dresse une danse de feu
qui sous chaque feuille couve
Elle y découpe les petites morts
du grand puzzle en sursis
dont les trous sont des bouches
que les langues d’abois traquent
pour les noyer dans leur jus noir
17/11/2021
La vie s’empare de même rien
serpente, lèche des yeux, hume
s’invite à flanc de mort
Les galets tout en bas touillent
leur sueur de sel
fracassent la mer qui les noie
Ils ont la tête en caillou
et les pattes coupées ras
pour mieux taper l’espace gelé
entre leurs joues bossues
La vie se passe de vie
s’infiltre en dehors d’elle
s’enivre à l’ombre de son ombre
Elle fait peur d’insister sans vergogne
toque à toutes les portes
à poil ou vêtue du dedans
Baise-moi donc à cœur de chauffe
par-delà les franges neigeuses
Les terres se retirent
ne tenant plus qu’à rien
entre les mains flottantes
des premières esquisses
28/11/2021
En brassées d’algues les bruits
rampent, gluants, s’accolent aux sons
hachent mâchent et défèquent
Nos ombres dessus glissent
se déchirent, pendues au bord des bouches
qui auraient tant aimé chanter
En brassées d’algues les bruits
mordent aux chevilles, glacent les jambes
arrachent du thorax le cœur en fête
Sa langue coupée net dans sa cage
traîne, écarlate
Un mangeux de silence en fera son frichti
En brassées d’algues les bruits
étranglent la chanson suave
du bouton d’églantine, du bourgeon d’aulne
Avaler tout ce qui vibre
s’ériger en mur où les oiseaux
s’empaleraient du bec
Leurs plumes se caresseraient la mort
29/11/2021
À chacun sa case
Jeu de dames d’hommes d’andouilles
où la grimace du joueur tord sa bouille
se crispe sous son opercule s’étouffe
Ya qu’les bulots qui savent se retirer
pour être avec et pas contre
Ils respirent la mer, pas la peur qui troue
Suis ici parce que là
tout autour et partout
Je dégénère au-dedans de dehors
contre ordre des dents qui grincent
et voudraient m’épingler
L’affaire comme le monde est close
On n’en sort qu’assigné
à la place de son alibi
J’n’étais pas là puisque dans l’flou
chez moi c’est ailleurs qu’ici chez moi
Où suis-je passée ? Qui me cause ? Où t’a-t-on mis ?
Dans quel trou de serrure de barbe bleue ?
Dans quelle chausse-trape est tombée ta tête ?
Où m’a-t-on disparue ?
Quelle farce et attrape d’identité
d’authentique édentée !
Et tout cela pour t’agrafer la mort au col
Lâche-moi l’étiquette qui pue sa glu de poisse
Dérange-moi pas d’là
Suis bien dans ma fosse où flotte une étiquette
de vieille bête émue et sans empire
C’est tout à fait mon genre
12/01/2022
Les langues d’oiseaux pleuvent des fûts
calcinés par la foudre
Des jambes courent contre le sang
qui leur gicle des ronces
Le visage des bois penche dangereusement
entre les mains bleues de l’orage
Sous la peau de la terre remue
le petit peuple des désirs
au front cornu
aux pattes caoutchouteuses
aux cheveux électriques
aux bouches caillouteuses
à la nuque cassée
aux sexes en éventails
Leurs grands yeux décousus
font rire les restes de bêtes
qui se tiennent les côtes
en tirant délicatement les langues d’oiseaux
qui ont pris racine à la place des arbres
22/01/2022
La tête enfouie dans le pelage des bois
enfle de sommeil
s’exténue sous la lune
pleine du pus des dieux
que la nuit exila
Elle rêve qu’elle n’est pas morte
repose au pied de la géante qui
la portait chaque jour à reluire
sous le soleil brûlant
Elle rêve que vivre est un scandale
atteinte à la pudeur
acrobatie de la démence
que l’oubli limoneux
jusqu’à la mémoire des fossiles
est une respiration si lente
qu’elle imite la mort couchée
comme une bête encore tiède
dans les draps froissés d’une rivière
Elle se relèvera peut-être
poussée par une carpe centenaire
dont la cotte d’écailles
insensible aux caresses fabrique
entre ses lames son camaïeu
de lumière secrète