Le dépôt
Trois poèmes
ça rentre de partout
pas moyen de rien entendre
pas moyen d’avoir la paix
les bruits du dehors se glissent par la fenêtre
sous la porte
à travers les murs
j’entends tout même avec les doigts dans les oreilles
je veux juste qu’on me crisse la paix
je veux juste que rien existe
je veux juste être tout seul
tout seul avec toi
toi pis moi dans le divan
à se crisser de ce qui se passe dehors
mais non
j’entends tout
les chats qui miaulent
le monde qui marche
les bombes qui sifflent
les arbres qui poussent
les chars qui passent
les yeux qui pleurent
la lumière qui éblouit
le monde qui meurt
ça en est étourdissant
y a rien à faire
qu’est-ce que tu veux que je fasse
je veux rien savoir
je veux rien savoir de rien
à part de toi
mais toi tu t’en sacres bien
sinon tu serais ici avec moi
on serait tous les deux à écouter le vacarme
à bad triper du monde
à compter le nombre de fois que quelqu’un souffre
on aurait bien du fun
serrés l’un contre l’autre
les oreilles pleines de bruit
on ouvrirait toutes les fenêtres pis les portes
on pourrait même sortir dehors
main dans la main
en s’aimant pendant que le monde s’écroule et flambe tout autour
qu’est-ce que t’en dis
OZANAM
rue Ozanam
la rue Ozanam
sur la rue Ozanam
il y a l’essor des soleils stridents perdus d’Atlantide tout près de ta beauté remarquable
les herbes salées de la toundra jetées en pâture dans le feu de tes yeux rivés
en pâmoison l’esprit de mes désirs lustrés couché près de toi dans le lit du soir d’été
au-dessus la proie chaotique d’un rêve interminable surgi des profondeurs canadiennes
des formes sans essence sans cesse inspirées de la ville toujours en construction
d’innombrables âmes qui vivent en errance le temps d’une pluie ou d’une neige légère
du bleu du jaune comme si le ciel tout entier était en feu juste pour nous
les vestiges de l’Émérillon enfouis au fond d’une rivière ancienne nommée Lairet
toutes ces empreintes de pas foulés au gré des humeurs des voyageurs d’un jour ou l’autre
des chats solitaires probablement des réincarnations de moines bouddhistes ou de jeunes cowboys
plusieurs machines dévorantes ridicules
un enfilement d’heures de toutes lumières sons et odeurs divers
des appels à l’aide sans échos passant au-dessus des arbres argentés des parcs verts
une bestiole à l’agonie sur le trottoir jonché de détritus made in China
mon visage exténué devant les caprices du vent qui se joue de ma chevelure trop longue
les crissements des souliers italiens sur le bitume chauffé à bloc
le vrombissement des voitures sports sans utilité aucune et d’une horreur indicible
des mots doux chuchotés dans le pavillon de ton oreille tendre et mordillée
des passants pressés filant à l’anglaise sous les lueurs jaunes des lampadaires
la rumeur insistante d’une tempête du siècle qui ne viendra finalement jamais
un parapluie perdu ou oublié sur un banc sous un abri d’autobus
un type qui gueule en plein délire sous l’emprise d’une drogue quelconque
les cliquetis métalliques des bicyclettes qui dévalent les pentes sans égards du danger potentiel
le vol des oiseaux dont les présages invisibles nous préviennent de notre sort à venir
des rencontres amoureuses de bonnes augures pour certains des générations suivantes
des drames insoupçonnés dissimulés dans les crânes de leurs acteurs éventuels
des constellations situées à des centaines voire des milliers d’années-lumière de toi et moi
des poèmes en formation dans l’hémisphère droit de ma tête dure
des solliciteurs en tous genres souvent désabusés d’eux-mêmes et du monde entier
des chiens en laisse prisonniers de leur maître envers qui ils demeurent fidèle coûte que coûte
des relents d’outre-tombe d’une époque disparue qui ne reviendra pas de si tôt
une panoplie de boutiques de part et d’autre pleines à craquer de marchandises obsolètes
un animal blessé que tout le monde ignore volontairement parce qu’il est différent
des motos roulant sur une roue pour se donner en spectacle devant des badauds ahuris
des feux d’artifice au loin tard le soir pour épater la galerie et égayer le quartier tout entier
le brouhaha de chicanes de voisinages et les bruits des draps qui claquent au vent sur les cordes à linge
un sirène de police retentissante en plein jour pour annoncer la commission d’un crime quelque part
un nuage passager seul dans le ciel bleu azur comme une tache de crème Chantilly
la tombée du jour comme une brume noire se déposant sur les immeubles et les commerces
des touristes égarés éloignés du centre-ville et cherchant leur route pour de nouveaux lieux à visiter
moi au pas de course m’en allant te rejoindre pour une sortie en amoureux
toi sortant de chez moi pour retourner à ton appartement au petit matin
un itinérant déambulant dans ses frusques sales en attente d’aumônes salvateurs
un arc-en-ciel inopinée après une faible pluie là juste au-devant de nous au bout de cette rue
Sans Titre
je suis entré comme un vent fou de rage la porte a claqué en plein dans nos visages je t’ai vue de dos couchée dans la gueule du divan mal bourré que j’étais moi aussi
quelque chose en moi bouillait/brûlait par les deux bouts
ton dos me faisait front sa courbure comme une descente abrupte tes jambes repliées sous toi tes pieds réunis ensemble pour garder cette chaleur qui fuyait de partout
quelque chose en moi dépassait les limites du salon
ta nuque sur les coussins soyeux comme tes cheveux qui pendaient en une queue de cheval fou j’imaginais tes bras enlacer l’espace vide devant toi tu dormais face au dossier du divan
quelque chose en toi te disait que j’étais revenu
oui je suais la mort l’alcool inflammable sur ma peau debout sur le plancher vacillant je ne voulais plus te voir belle comme tu es
quelque chose en toi pleurait déjà pour m’éteindre
Simon A. Langevin