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Séquences

Séquence 6 - Alain Rivière

Texte d’Alain Rivière extrait de la pièce Clarisse et Hubertus


    Scène 3



 Hubertus: Clarisse, tu me faisais peur autrefois

des plumes rouges descendaient de tes épaules

des tiges bleues sortaient de ta poitrine

des nageoires dorées surgissaient de ta tête

des pelages mauves grimpaient de tes pieds

tu vivais avec une panthère debout près de toi

et un grand singe toujours couché à tes pieds

tes yeux étaient deux étoiles dans la nuit

je voulais te prendre dans mes bras

je voulais t'emmener loin

mais tu ne me répondais pas

pas le moindre geste ou le moindre signe

tes yeux étaient deux étoiles dans la nuit

 Clarisse: rappelle-toi Hubertus

nous allions souvent marcher dans un parc

tu étais absent

nous longions le matin un bord de mer

tu étais ailleurs

nous visitions des villages de montagne

tu ne voulais pas être là

nous allions au bord d'un lac

tu n'ouvrais pas la bouche

nous nous arrêtions parfois

tu ne me serrais pas dans tes bras

nous restions des heures dans la chambre

tu regardais seulement le plafond

nous dormions loin l'un de l'autre

tu disparaissais au petit matin

 Hubertus: plus tard tu es montée sur mon dos

tu t'es étendue comme un animal

tes mains de géante traînaient sur le sol

ta tête tombaient sur mon épaule

tu bavais sur ma poitrine

tu gémissais du matin au soir

tu hurlais tout à coup

je t'emmenais partout avec moi

je te chantais des refrains

j'essayais de danser pour toi

je te faisais tourner avec des rires

toi tu pleurais un flot de larmes

tu te cachais dans mon cou

j'étais fatigué de te porter

tu t'accrochais encore plus fort

tu m'étranglais avec tes bras

je ne savais plus quoi faire

je ne savais plus où aller

j'avais peur que tu t'en ailles

 Clarisse: tu me disais toujours

tu es trop belle

tu es trop douce

oublie-moi laisse-moi

Clarisse, si tu partais

je ne te chercherais pas

si tu grimpais à un arbre

je ne te suivrais pas

tu es trop belle

tu es trop douce

oublie-moi laisse-moi

si tu nageais dans l'eau claire

je serais déjà loin de toi

si tu dansais toute la nuit

je ne le saurais pas

tu es trop belle

tu es trop douce

oublie-moi laisse-moi

 Hubertus: puis, tu es partie dans une forêt

je t'ai perdue de vue

je te cherchais partout

je traînais la journée dans les rues

je ne mangeais jamais

je me prosternais sur un banc

je me rappelais tes rires sur la grande roue

c'était tout le ciel et la terre

je fumais des mégots

je buvais des bouteilles de vodka

je me cognais à des poteaux

je parlais à mon téléphone

je me rappelais tes rires sur la grande roue

c'était tout le ciel et la terre

je me battais contre des enfants

je frappais des vieilles dames

un jour j'ai hurlé en haut d'une tour

je me suis jeté la tête la première

je me rappelais tes rires sur la grande roue

c'était tout le ciel et la terre

 Un temps long.