Le dépôt
11 poèmes variés (classiques, libres, rap)
1.Première fois
classique, sonnet
Qu’il fut fort cet instant, m’agrippant à la rampe,
Où je humais l’effluve enivrant du jupon
Qui montait l’escalier, mon tout premier harpon,
En laissant transparaître un si fol entrejambe !
Souffle court, cœur battant, sang brûlant. La chair flambe.
Lit d’hôtel. Oserai-je enlever son nylon ?
Le tissu glisse, esquive, agace. Le fripon !
Moi, si gauche, naïf. Mais elle éteint la lampe.
Existe-t-il un homme, un seul, rien qu’un bourgeois,
Qui n’a le souvenir de sa première fois,
Ni de pensée émue envers sa séductrice ?
Épouses, ne craignez pas ce fantôme exquis
Hantant parfois ses nuits, restant secret complice
De vos jeux amoureux : leur essai, leur croquis…
2. Caresses
classique
Savourer la caresse, en quémander une autre,
Et d'un doigt qui se perd en quelque lieu profond
Forcer l'intimité par où l'amour se fond,
Est-il plus innocent, tendre jeu que le nôtre ?
Cheminer le sentier cent fois, par tous les sens,
Comme le naufragé redécouvre son île,
Y chercher le calice à l'odeur de vanille,
Fleurer tous ses parfums, les boisés, les encens.
Ne rien hâter, flâner. D'une main baladeuse
Exacerber le nerf, hérisser chaque peau.
Susurrer le mot doux, enivrant, fol appeau,
Mutuel hameçon d'une âme musardeuse.
Les fièvre, embrasement, délire, ivresse, émoi,
Ensorcellent nos chairs, escalade envoûtante,
Vertigent nos esprits. Flamme, éclair, feu, détente !
Ton corps s'évanouit, puis renaît contre moi.
3. De cinq à sept
classique
Ton parfum qui m'entête et, dans mon lit, ta forme.
Un drap froissé, fripé. Se peut-il que j'en dorme ?
J'imagine ton corps, me love dans son creux.
Mon cœur devient la forge où souffle un vent heureux.
De cet après-midi s’imbibe ta présence,
Son effluve salé, son nectar, son essence.
Je songe que j'aimais, croyant faire l'amour.
Je me reproche tant d'avoir pu, sans détour,
Te conduire à l'autel où t’attendaient mes vices
Et t'y sacrifier au bord des précipices
Quand j'aurais dû laisser, comme on cueille un œillet,
La fleur se rompre seule au soleil de juillet.
Je n'ai compris qu'après, revenant de la gare
Où tu t'en repartais, que mon esprit s'égare,
Niant ce sentiment qui m'enivre à l'excès :
N'est-ce pas ça, l'amour ? Mais je sais que tu sais.
4.Dans tes cheveux
libre
Dans tes cheveux
Souffle le vent ;
Si tu le veux
Je vais avant.
La dune calme
Nous est propice ;
Je désarme
Tes artifices.
Puis, ton corps nu
Dessous mes doigts,
D'une ingénue
Tu prends la voix.
La plage vide,
Descend la nuit…
Dans notre abside
Il n'est de bruit.
Avec silence,
À mains feutrées,
Ton innocence
M’est révélée.
Sable pour lit,
Nous n’avons froid,
Ton corps frémit,
Mais c'est de joie.
5.Les amours mauves
(hommage à Cyril Collard et au film Les nuits fauves)
classique
Il effarouchait les aigris
Comme au ciel un nuage mauve,
Éblouissant l'horizon gris,
Nuance un crépuscule en fauve.
Canine blanche, œil rond moqueur,
Mèche en bataille, âme ambigüe,
Rythmant sa vie au bât du cœur,
Il but l'amour comme cigüe.
Brûlant du feu de son désir,
Torche éclairante ou rouge cendre,
D'un bûcher voulant tout saisir
Seule la mort le put descendre.
Il était archange du mal,
Étoile en l'écran des ténèbres,
Il devint fauve, astre animal,
En montant aux lueurs funèbres.
6.La jouvencelle dans le froid
classique, sonnet lozérien
Un soir où j’arpentais une sombre ruelle,
En rasant les maisons,
Le ciel bas, ténébreux, barrait les horizons,
Promettant neige ou grêle.
Alors que j’approchais de mon logis fidèle,
Du poêle et des tisons,
Les frimas de l’hiver annonçaient, en frissons,
Leur morsure cruelle.
Quand je ne pensais plus qu’à mettre mes chaussons,
Qu’à remplir ma gamelle,
Attendant le retour des plus chaudes saisons…
Je vis la jouvencelle :
Dans le froid, presque nue, aguichant les garçons,
Fatale clientèle.
7.Camille s’est pendue
néo-classique
Quelle fut cette étrange fille
Hantant les trottoirs de la ville,
Face au passant désappointé,
Équivoque désargenté ?
On disait qu'elle déshabille
Charmes de femme et jeu de quille
À qui le veut, pour quelques sous,
À des noceurs plus ou moins saouls.
Bâtard jeté de sa famille,
Ni thé, ni café... camomille ?
Elle incarnait, rôle ambigu,
Le rêve d’un ange déchu.
A-t-il aimé, cette Camille,
Jouer au garçon sans cédille ?
Hier la police dépendait
Son corps hybride… qui bandait.
8. Le rappeur
libre, rap
Ami beur,
Je n'ai peur
De tes coups
De battoir
Sur les mots
Quand tu rapes.
Ami beur,
La saveur,
C'est le goût
De butoir
Qu'a le mot
Que tu frappes
C'est l'hiver,
Et ton corps
Se fait chaud
D'un accord
En onomatopées ;
Rape en vers,
Tape encore,
À l'envers
Du décor
Ta note syncopée.
Que l'on "destroye" un mot
N'a que vaine importance,
Laisse crier les sots.
Mais qu'on aime une langue au point de la rythmer,
Et que l'on rythme un verbe au poing qu'on peut l'aimer,
Me font te dire, ami, quand tu "jazzes" ma France,
Qu'un sang neuf a coulé dans nos microsillons.
9.Le poète insomniaque
classique, lai
Je l’avais rêvée,
Elle est arrivée,
La nuit.
Qu’une étrange fée,
D’étoiles coiffée,
Conduit,
À peine achevée,
Toute enjolivée,
Sans bruit.
La paix n’est trouvée
Car le beau Morphée
Me fuit.
Ma rime agrafée,
Ma plume avivée
Construit…
10.Redeviens ce que tu fus
classique
Deviens enfin ce que tu fus,
Car tu naquis, un jour, poète ;
Retrouve en souvenir diffus
Le plaisir de la pirouette,
Du jeu, de la main qui se tend,
Et, même, du sein de ta mère ;
Repense à la chambre d'enfant
Où tu pleurais ta larme amère
En ayant peur, au fond du noir,
Tout seul au bout du vaste monde,
Au creux du lit, loin du couloir.
Songe à cet animal immonde,
Au chien si grand de ton voisin,
À la fessée, à la mamie,
Écoute rire ton cousin...
Redécouvre ta poésie.
11.Coup du sort
classique, fable
Tombé d'un nid sans doute étroit,
Un oisillon tremblait de froid.
Alertée, une ruminante
Fit don d'une bouse fumante…
“Grand merci pour ce lit douillet”
Chanta très fort le roitelet.
Erreur fatale ! Ode assassine !
Non loin… Chassant la bécassine…
Un loup rodait... Qui, l'entendant,
S'approcha, le mit sous sa dent.
Moralité :
Si l'on ne veut que ça nous perde,
Ne chantons qu'on est dans la merde !
Et redoutons qui nous en sort
Beaucoup plus que le mauvais sort
Qui nous y mit la bouche ouverte...
Franck Lafossas (alias Dune-Pontac)
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Lormont, 13 novembre 2023