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Poètes du monde

Mikai Eminescu - Jose Hierro - Charles Baudelaire - Emily Dickinson - Maïakovsky - Vian

Les années ont passé… 


Les années ont passé comme de longs nuages sur les plaines et ne reviendront jamais, car elles ne m'enchantent plus aujourd'hui comme elles m'émouvaient autrefois : fables et chansons, devinettes, énigmes, qui illuminaient mon front d'enfant à peine éveillé, pleines de sens. 


Aujourd'hui tes ombres m'entourent en vain, oh heure du mystère assombrie par le soir. Que j'arrache un son au passé de ma vie, que je fasse, oh souffle, que tu frémisses à nouveau sous ma main qui glisse en vain sur la corde. 


Tout est perdu dans l'horizon de la jeunesse, muette est la douce bouche d'autres temps, le temps grandit derrière moi... je m'assombris ! 


Mihai Eminescu

Revue Expres Cultural

Traduit du roumain par G&J


Trecut-au anii… 


Trecut-au anii ca nori lungi pe şesuri Şi niciodată n-or să vie iară, Căci nu mă-ncântă azi cum mă mişcară Poveşti şi doine, ghicitori, eresuri, Ce fruntea-mi de copil o-nseninară, Abia-nţelese, pline de-nţelesuri - Cu-a tale umbre azi în van mă-mpresuri, O, ceas al tainei, asfi nţit de sară. Să smulg un sunet din trecutul vieţii, Să fac, o, sufl et, ca din nou să tremuri Cu mâna mea în van pe liră lunec; Pierdut e totu-n zarea tinereţii Şi mută-i gura dulce-a altor vremuri, Iar timpul creşte-n urma mea... mă-ntunec! 


Mihai Eminescu











Vida


Después de todo, todo ha sido nada,

a pesar de que un día lo fue todo.

Después de nada, o después de todo

supe que todo no era más que nada.


Grito ¡Todo!, y el eco dice ¡Nada!

Grito ¡Nada!, y el eco dice ¡Todo!

Ahora sé que la nada lo era todo.

y todo era ceniza de la nada.


No queda nada de lo que fue nada.

(Era ilusión lo que creía todo

y que, en definitiva, era la nada.)


Qué más da que la nada fuera nada

si más nada será, después de todo,

después de tanto todo para nada.




Junto al mar


Si muero, que me pongan desnudo,

desnudo junto al mar.

Serán las aguas grises mi escudo

y no habrá que luchar.


Si muero que me dejen a solas.

El mar es mi jardín.

No puede, quien amaba las olas,

desear otro fin.



Oiré la melodía del viento,

la misteriosa voz.

Será por fin vencido el momento

que siega como hoz.


Que siega pesadumbres. Y cuando

la noche empiece a arder,

Soñando, sollozando, cantando,

yo volveré a nacer.


José Hierro

Poemas - Ed. Visor lobros



La vie


Après tout, tout a été rien,

même si un jour c'était tout.

Après rien, ou après tout

J'ai su que tout n'était que rien.


Je crie Tout ! et l'écho dit Rien !

Je crie Rien ! et l'écho dit Tout !

Maintenant je sais que le néant était tout.

Et tout était cendres de néant.


Rien ne reste de ce qui n'était rien.

(C'était l'illusion qui croyait tout

et qui, à la fin, était le néant.)


Quelle différence y a-t-il si le néant n'était rien

si plus de néant sera, après tout,

après tant de tout pour rien.


Jose Hierro

Poemas - Ed. Visor libros

Trad. J&J



Au bord de la mer


Rien ne reste de ce qui n'était rien.

(C'était l'illusion qui croyait tout

et qui, à la fin, était le néant.)


Quelle différence y a-t-il si le néant n'était rien

si plus de néant sera, après tout,

après tant de tout pour rien.


J'entendrai la mélodie du vent,

la voix mystérieuse.

L'instant

qui fauche comme une faucille sera enfin vaincu.


Qui fauche les chagrins. Et quand

la nuit commence à brûler,

rêvant, sanglotant, chantant,

je renaîtrai.


José Hierro

Poemas - Ed. Visor libros

Trad. J&J



LES PHARES



Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,  

Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer, 

Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,  

Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ; 


Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,  

Où des anges charmants, avec un doux souris  

Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre 

Des glaciers et des pins qui ferment leur pays ; 


Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures, 

 Et d'un grand crucifix décoré seulement,  

Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,  

Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ; 

  

Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des hercules 

Se mêler à des Christs, et se lever tout droits  

Des fantômes puissants qui dans les crépuscules 

Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ; 


Colères de boxeur, impudences de faune,  

Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,  

Grand cœur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune, 

Puget, mélancolique empereur des forçats ;

   

Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres,  

Comme des papillons, errent en flamboyant,  

Décors frais et légers éclairés par des lustres  

Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;


Goya, cauchemar plein de choses inconnues,  

De fœtus qu'on fait cuire au milieu des sabbats, 

De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,  

Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ; 


Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges, 

Ombragé par un bois de sapins toujours vert, 

Où sous un ciel chagrin, des fanfares étranges  

Passent, comme un soupir étouffé de Weber ; 


Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes, 

Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,  

Sont un écho redit par mille labyrinthes ;  

C'est pour les cœurs mortels un divin opium ! 

  

C'est un cri répété par mille sentinelles,  

Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;  

C'est un phare allumé sur mille citadelles,  

Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois ! 


Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage 

Que nous puissions donner de notre dignité  

Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge  

Et vient mourir au bord de votre éternité !



Charles Baudelaire



Emily Dickinson


https://www.editionsunes.fr/catalogue/emily-dickinson/ses-oiseaux-perdus/




Maïakovski



Écoutez !

Puisqu’on allume les étoiles,

c’est qu’elles sont à

quelqu’un nécessaires?

C’est que quelqu’un désire

qu’elles soient?

C’est que quelqu’un dit perles

ces crachats?

Et, forçant la bourrasque à midi des poussières,

il fonce jusqu’à Dieu,

craint d’arriver trop tard, pleure,

baise sa main noueuse, implore

il lui faut une étoile!

jure qu’il ne peut supporter

son martyre sans étoiles.

Ensuite,

il promène son angoisse,

il fait semblant d’être calme.

Il dit à quelqu’un :

 » Maintenant, tu vas mieux,

n’est-ce pas? T’as plus peur ? Dis ? »

Écoutez !

Puisqu’on allume les étoiles,

c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires ?

c’est qu’il est indispensable,

que tous les soirs

au-dessus des toits

se mette à luire seule au moins

une étoile?



Maïakovsky





Boris Vian


L'ÉVADÉ



Il a dévalé la colline

Ses pieds faisaient rouler des pierres

Là-haut entre les quatre murs

La sirène chantait sans joie


Il respirait l'odeur des arbres 

Avec son corps, comme une forge

La lumière l'accompagnait

Et lui faisait danser son ombre


Pourvu qu'ils me laissent le temps

Il sautait à travers les herbes

Il a cueilli deux feuilles jaunes

Gorgées de sève et de soleil


Les canons d'acier bleu crachaient

De courtes flammes de feu sec

Pourvu qu'ils me laissent le temps

Il est arrivé près de l’eau


Il y a plongé son visage

Il riait de joie; il a bu

Pourvu qu'il me laissent le temps

Il s'est relevé pour sauter


Pourvu qu'il me laisse le temps

Une abeille de cuivre chaud

L'a foudroyé sur l'autre rive

Le sang et l'eau se sont mêlés


Il avait eu le temps de voir

Le temps de boire à ce ruisseau

Le temps de porter à sa bouche

Deux feuilles gorgées de soleil


Le temps de rire aux assassins

Le temps d'atteindre l'autre rive

Le temps de courir vers la femme


Il avait eu le temps de vivre.




Boris Vian - Textes et chansons

Ed. René Julliard - Col. 10/18