Le dépôt
Cape
L’or bleu et mat au ciel s’élance en cape - crépuscule de printemps -, et sur son drap sans pli, exhale un parfum long dont mes yeux fixent le timbre.
L'œil tuberculeux des voitures, ce tapis granulé qui gémit, son corps enroué, le nez du badaud-serf au miroir de l'égout, le caniveau - vasque amputée pour gouttes en chute - plus brillant qu’une étoile. Tous ces segments d’image élastiques. Au-dessus d’un filet de grillage, les feux échangent des ballons en couleurs. Et même la terre en lutte sifflote quelques airs de charmes au rythme du passage rampant d’un tramway : qu’importe. J’avance vers l’horizon, l’œil bleu froncé et le regard pendu à ces frontières du jour. J’enlace les voiles de ce navire que les nuages promènent.
Sur ma route, aux chemins froids d’un quartier de gare, les blocs larmoyants d’une maladie oubliée s’épanchent liquides en plaintes picturales, strient leurs flancs d’un pleur, recouvrent leurs corps de ces barreaux dont on lacère la vie. Exhibée aux fenêtres écailleuses, une femme téléphone : ses cris lentement rétrécissent la rue. Bientôt, le silence flottera seul, suspendu au dehors. Plus loin, un vieux train glisse sur une note tenue, brune de métal : mais peu m’importe. J’avance aux chants inaudibles des vagues célestes. Des vagues qui portent le poids de ces souvenirs qu’on ne vit jamais.
Contre les rails, le fer expulse la sueur d’une journée rapide : 200km/h ramassés sur le front des hommes blancs aux têtes noires. La pluie s’épanche en fioles éparses, jusqu’aux ongles des trottoirs - parfum de trêve ou enveloppe légère pour une lettre lourde. L’odeur des chiens trempés, et déjà le cuir de mes bottes naufragées vomit ses relents par-dessus le rebord des pavés moites. Quelle importance ? Je ne sens rien. Mon nez, tuyauté jusqu’au cœur, ne gonfle qu’au passage des alizées turquin.
Je suis sorti ; vu entendu senti. Je n’ai pas délivré quelque tableau du voile opaque de l’apparence. Au contraire : j’ai recouvert le monde, ses musiques, ses parfums. Mais j’ai tiré des voiles du ciel un étrange bout de cape, sans effort. J’ai revêtu la toile, depuis les trottoirs jusqu’aux cheveux des cheminées. J’ai revêtu la toile d’une cape : elle a brillé. C’était une cape d’or mat.
Ce soir, l’or bleu et mat au ciel s’élance en cape - crépuscule de printemps -, et sur son drap sans pli, exhale un parfum long dont mes yeux ont fixé le timbre.