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AUTEUR-E-S - Index I

74 - Luc Loiseaux

"La flamme qui chante" suivi de "Les Parques"

Je suis la flamme qui chante



1.


Je suis la flamme qui chante, écoute le chant du soufre rouge et du lion vert ; entends bien./

Qui de la déesse préparée, ou du vendeur de la poivrière ou le jeuhneur de gris, ou de la voix des anges./

Qui peut me sauver des entrailles : faisons corps à la fontaine, ou je rêve aux interprétations ou aux rêves égyptiens./

Devant ce temple qui reste une passion morte, réunis nous tous les composants du dissolvant qui change en or toute la fange./


2.


Je suis la flamme qui chante et si tu désires être délivré vivant, creuse bien lentement tout au pied du serpent./

Là est cachée l’éclipse du soleil et que tu verras morte mais qui ne l’est pas car elle est bel et bien privée de sa forme./

Alors tu la réveilleras en la couvrant d’argent vif et noir et dépuré de son soufre et tu découvriras l’étendue du firmament./

Car pour le saisir il faut perdre l’âme de son corps et puis la regagner car elle est la clé ouvrant sur l’aériforme./


3.


Je suis la flamme qui chante et si tu désires être délivré vivant, tu dois suivre Hermès qui te veut noir et sur le bon chemin./

Ne craint ni l’éclipse, ni la tête de corbeau car elle fait la séparation du pur et de l’impur et en grande sagesse./

Sous le rideau du sépulcre tu ne sentiras rien car la mort n’est pas sensible à l’odorat ainsi que la terre au jasmin./

Hermes te montre le serpent enroulé sur la verge d’or que porte la notre Dame, en sa grande largesse./


4.


Je suis la flamme qui chante et si tu désires être délivré vivant, gagne vite Mercure mais n’oublies pas de souf(f)rir./

Autrement, tu serais calciné et ainsi décomposé, il te faudrait retourner à tes premières chauffes./

Et lorsque tu obtiens enfin l’oeuf vitriolé, tu sauras que ton Vers est presqu’achevé, ne laisse rien refroidir./

Car passé cet octroi le sentier du souffre rouge tu gagneras au bout duquel l’on boit l’élixir, sauf./


5.


Si tu n’as pas écouté mon chant Lustral, car au bout du sentier, la femme aux longs cheveux mouvants comme les flammes./

T’attends et sur elle ondoie la grande salamandre salée, incombustible et fixe qui garde sa nature dans l’acier calciné./

Prends garde à la femme violette car elle est métallique et dans ses yeux réside la semence des âmes./

Prends ses lèvres brûlantes et gagnez avec elle le grand volcan de la calcination et ton corps adjustible sera bien suranné./


6.


Je suis la flamme qui chante et si tu désires être délivré vivant, remplace ton feu par de l’eau ardente./

A la matière inerte elle en est le secret, la force créatrice et le rayon igné, impérissable et fier./

Pour gagner l’eau ardente chère au père des Lumières, gagne bien la patience, c’est la plus confidente./

De toutes les misères que la matière simple et le temps disgracieux imposent encore à hier./


7.


Je suis la flamme qui chante et si tu désires être délivré vivant, sur les livres de pierre, accorde bien ton oeil./

Puis en mille six cent douze, viens naviguer en paix sur cette eau primitive et céleste et qui s’exprime./

En sept lettres seulement et sept cloches face à l’être humain : dis lui que tu l’aime ne lui dis pas que tu consultes le grand livre, ce vieil oeil

Je lui dis; derrière un pupitre, l’expression Spagyrique vient faire un sens au fond de ces grands yeux, or ainsi que l’ouraline./


8.


Je suis la flamme qui chante et si tu désires être délivré vivant, puise l’eau primitive du corps, elle est céleste./

C’est la semence première des êtres déterminés dans la maison d’Ariès afin qu’ils engendrent son fils./

Prends l’esprit enclos dans les choses inertes, dans le pholisophorum, où la nature s’exclame, ce soir : quelle découverte./

Pour vivre il faut renaître et être ainsi sauvé du royaume des morts que l’on doit peindre, ainsi le fit Eurydice./





Les Parques



1


Dans l’ivresse du soir, leurs mèches caracolent en fleurs sur l’hiver de leurs épaules : des idées de folles bacchanales dans ces têtes frêles et sages./

Elles me trouvent drôle, elles parlent tout bas, corsetées et bottées sous le grand marronnier, ces anciennes fillettes./

La pelouse est un havre, le royaume des arbres buissonne tandis que les nymphes d’or fleurissent l’aurore, exactement comme des nuages./

Dans leurs volants se nichent un ou deux papillons et quelques scarabées et parfois quelques larmes, parfois quelques regrets./


2

 

Dans l’autour de leurs lèvres, roses comme des anges ou de larges enfants, je voyais les fantômes des romances dans les brises des soirs./

Je voyais des mouvements, des nappes de henné, des effroyables Khôl, des voiles très gercées, des lassos enlacés qui guettaient les étoiles./

En quelques frissons d’algues moirées et qui respiraient, époussetant les robes, alors que les brins de muguet ouvraient leurs grands yeux noirs./

Et puis elles riaient, l’une filant, l’autre déroulant et la plus frissonnante, coupant quelque chose, sous le drap, en regardant la tombe./


3


Et puis sur l’onde noire je les voyais venir sous l’oeil de ces aulnes qui jamais ne dorment et jamais ne reposent./

Elles, dans un chant mystérieux parlaient de liberté, d’années anéanties, de maigres présages et de longs corridors./

Leurs prunelles fauves grandissaient les arbres, les paysages, l’étendue morne et fière ; et aussi les eaux pures et la blanche métamorphose./

Qui agit en chaque homme ainsi qu’un vin pieux, un splendide nectar qui fait jaillir le rêve au sein des audacieux dont le courage s’endort./


4.


Leur barque charriait fleurs rouges, mannequins et broderies pour le destin des hommes, et cette tapisserie traînait dans les eaux sombres./

Faite d’un bois vif et puissant, sans détresse et sans nom, où une arche d’amour rigidifie les fleurs, les mannes et les lierres./

Si elles avaient un coeur, il battrait dans la nuit en révolte sans cri, il battrait comme s’écoule la triste et monotone ombre./

Leur barque sur les cieux doux, maniait les destinées, les coeurs, les vies et les regrets, s’abîmaient en espérances fières./


5.


Votre coeur, mes chères, reste ainsi que ma patrie car ainsi je sortirai vainqueur des boues, des bruits, des Vienne éphémères et de la mort sans pleur./

En dévidant le vierge fil, Clotho rend l’espoir à un amour désespéré venant du fond des cieux, sans ombre et sans charbon, toujours plein de jeunesse./

Crimes et adultères, violences et passions, Lachésis mesure ainsi qu’un arpenteur la détresse du monde sans cri et sans clameur./

Atropos, la vraie mort sans pleurs a déployé ses vingt chevaux sur le fil de la vie : le premier chevauché par l'enfant le franchit et le brise tout en délicatesse./


6.


Sous les dais de la nuit se dressent les cercueils que la Moire tapisse de l’éternel ébène, dans la contemplation des chevaux bleus et noirs./

Fileuse éternelle tandis qu’une féérie vient doucement du ventre de la mère en soupirant soudain : existent-ils les miels et le lait, l’enfance et les nuages ?./

Clotho répond : oui c’est un éclat mortel, tu verras des colosses, des palmiers, des passerelles et des abîmes de désespoir./

Sois bienvenue ici, belle dame sans dents comme fleur sans pistil, venue de la cascade, tu es une légende sans âge./