Le dépôt
Zoom 15 - Alda Merini
Note sur la poète italienne Alda Merini
Folle de la porte à côté – Oxybia éditions
« Titano s'y connaissait en femmes et il disait partout que j'avais une peau sombre et veloutée. En fait c'était vrai. L'hibernation hospitalière avait maintenu en vie certaines veinules légèrement diaphanes, à peine esquissées. » Il y a dans tout ce qu'écrit Alda Merini une spontanéité qui saisit le lecteur par une sorte d'évidence et d'étrangeté. "La Folle de la porte à côté", qui est-ce ? « Pour moi, dit Alda Merini, c'est ma voisine. Pour elle, la folle c'est moi, comme pour tous les habitants du Naviglio [son quartier à Milan] et de mon immeuble. » Alda Merini a vécu toute sa vie avec la folie, « une sereine vie commune avec la folie », dit-elle. « La folie est l'une des choses les plus sacrées qui existent sur terre. C'est un parcours de douleur purificateur, une souffrance comme quintessence de la logique. » Toute sa vie, Alda Merini a vécu dans la marginalité et l'indigence. Assumant une sexualité débridée, mère de quatre filles dont elle ne s'est pas occupée, vivant dans la rue et les cafés autant que chez elle, elle a tiré de cette vie une oeuvre unique, inouïe, qui lui a valu sur le tard l'admiration et l'affection de tous les Italiens. Clocharde géniale, innocente provocatrice, elle livre dans cette "Folle de la porte à côté" une autobiographie fantasmée et lucide, follement romanesque et, en dépit de tout, profondément joyeuse . (Babelio)
Je n'ai pas besoin d'argent.
J'ai besoin de sentiments,
de mots, de mots choisis avec soin,
de fleurs comme des pensées ,
de roses comme des présences,
de rêves perchés dans les arbres,
de chansons qui fassent danser les statues,
d'étoiles qui murmurent à l'oreille des amants.
J'ai besoin de poésie ,
cette magie qui allège le poids des mots,
qui réveille les émotions et donne des couleurs nouvelles.
Le seul masque autorisé dans la vie est pour cacher ses propres douleurs derrière un sourire.
La simplicité c’est se mettre à nu devant les autres
Et nous avons tant de difficulté à être vrais avec les autres.
Nous avons peur d’être mal compris, de paraître fragiles,
de nous retrouver à la merci de ce qui nous fait face.
Nous ne nous exposons jamais.
Parce qu’il nous manque la force d’être des hommes,
celle qui nous fait accepter nos limites,
celle qui nous les fait comprendre, en leur donnant du sens et en les transformant en énergie,
en force précisément.
J’aime la simplicité qui s’accompagne d’humilité.
J’aime les clochards.
J’aime les gens qui savent écouter le vent sur leur propre peau,
sentir l’odeur des choses,
en capturer l’âme.
Ceux dont la chair est en contact avec la chair du monde.
Parce que là est la vérité, là est la douceur, là est la sensibilité, là est encore l’amour.
(in Aphorismes et grigris – Editions Anabet )
Considérée jusqu'à sa mort (2009) comme la plus grande poétesse italienne, Alda Merini est l'auteure d'une Oeuvre considérable encore inconnue en France.
« Ils m'ont toujours jugé comme bizarre ou différente , mais tu sais quoi ? J'ai toujours adoré. Je ne supporterais pas d'être comme le reste du monde.»
Alla tua salute, amore mio! Poesie, pensieri
Je suis folle de toi, mon amour
qui viens chercher
dans mon passé
ces jouets cassés de mes paroles.
Je te donne tout
si tu veux,
je ne suis de toute façon qu'une enfant
pleine de poésie
et couverte de larmes salées,
Je veux seulement m'endormir
sur la berge du ciel étoilé
et devenir une douce brise
de chansons d'amour pour toi.
Dans Délire amoureux paru aux éditions Oxybia, la biographie et la fiction se côtoient sans arrêt tout au long de la narration, dans l’effort à la fois cruel et honnête de faire exprimer une douleur capable de forger une écriture en même temps violente, onirique et ironique qui transforme la corruptibilité humaine en un discours incorruptible et, nous dirions, sacré par lequel Merini semble lancer un défi ultime à tout jugement, à toute normalisation, à toute tentative de priver l’homme de sa raison, de son corps, de ses rêves, de son innocence : « Comme je l’ai déjà dit dans ‘Diario’, ce que j’écris ici n’est ni vrai ni vraisemblable, parce que je raconte l’horreur de façon idyllique. Peut-être un jour écrirai-je le vrai journal intime, fait de pensées atroces, de monstruosités et d’envie anormale de se tuer. Le vrai journal est dans ma conscience et c’est une pierre tombale triste, une parmi les pierres tombales qui ont enseveli ma vie. » (Babelio)
Après tout même toi
34 poèmes dont 13 inédits traduits par Patricia Dao – Ed Oxybia
la rencontre (im)possible entre le poète (mais aussi) psychiatre Angelo Guarnieri et la poète (mais aussi) internée psychiatrique pendant près de quinze ans Alda Merini.
Ces deux êtres, chacun sur une rive de la vie, font des mots un fleuve qui les baigne et les nourrit.
La terra santa- Oxyba éditions. L'incohérence d'un lieu censé sauver des hommes et des femmes atteints par la folie, l'absurdité de la déshumanisation qui peut y régner, la crainte de l'être humain par rapport à tout type de différence, le besoin spontané de l'homme d'aimer et d'être aimé, la nécessité d'habiter dignement son propre corps, enfin, le désir de pouvoir y ressentir un nouveau sentiment du sacré. Alda Marini fait recours une fois de plus à la poésie pour dire avec justesse ce qu'elle n'aurait jamais pu dire autrement.
MA POÉSIE EST VIVE COMME LE FEU
Ma poésie est vive comme le feu,
elle glisse entre mes doigts comme un rosaire.
Je ne prie pas, car je suis un poète de la disgrâce
qui tait parfois le travail d’une naissance d’entre les heures,
je suis le poète qui crie et joue avec ses cris,
je suis le poète qui chante et ne trouve pas ses mots,
je suis la paille sèche où vient battre le son,
je suis la berceuse qui fait pleurer les enfants,
je suis la vanité qui se laisse chuter,
le manteau de métal d’une longue prière
d’un vieux deuil du passé et qui est sans lumière.
Traduction de Martin Rueff
Fiore di poesia (1951-1997)
APRÈS TOUT MÊME TOI
Après tout même toi
que je devrais sentir ennemi
et que je pardonne.
Tu es seulement un homme
qui essaie de comprendre
et de ne comprendre personne.
Ta générosité
est aussi fausse que la mienne.
Aucun de nous
n’est assez bon
pour faire sortir
les miracles des vers.
Aucun de nous
n’est assez pur
pour les oublier
à jamais.
Alda Merini : « Celui qui m’a affublée de l’épithète un peu douloureuse de « poétesse de l’amour » s’est trompé. Je n’ai jamais été une femme d’amour et pas non plus une femme futile, mais une femme d’action qui n’a écrit sur l’amour que par nécessité, comme un cri de vengeance. Parce que l’amour incite à la vengeance ».
Confusion des étoiles
Éditeur : Seghers