Le dépôt
Origines
Je suis né de migrations
« Comme c’est étrange de dire adieu à sa vie. »
Laurent Gaudé, Eldorado
« Nous n’aurons pas la vie que nous méritons […]. Nos enfants ne seront nés nulle part. Fils d’immigrés là où nous irons. Ignorant tout de leur pays. Leur vie aussi sera brûlée. Mais leurs enfants à eux seront saufs. Je le sais. C’est ainsi. Il faut trois générations. Les enfants de nos enfants naîtront là-bas chez eux. »
Laurent Gaudé, Eldorado
« Je suis né dans un port et depuis mon enfance
J’ai vu passer par là des pays bien divers»
Jean de La Ville de Mirmont, L’horizon chimérique
Je suis né d’une migration
De ma mère
Expatriée
De sa mère
Patrie
Chassée
Rapatriée
Dans son pays
Qui n’était pas le sien
Française
Et de sang
Et de sol
Pourtant
Je suis né d’une immigration
De mon père
Immigré
Français de cœur
Plus que de naissance
Français d’adoption
Plus que de souche
Jeté sur une terre
Que ses bras
A la recherche
D’une Terre nourricière
D’une ville neuve
À pleine bouche
Embrassèrent
Et finalement
Naturalisèrent
Je suis né
De deux êtres
Deux hasards
Que leurs destins
Arrachèrent
À leurs terres
Et forcèrent
À se connaître
Arcachon pour seul port
Deux fils de l’Histoire
Qui fit rimer
Italie
Et
Algérie
Lombardie
Et
Vénétie
Deux vies là se sont posées
Deux vies là sont arrimées
Deux vies là sont amarrées
Arcachon pour seul port
Et ont noué
La mienne
Leur fils
Pauvres hères
Que le sort
A fait
s’enlacer
S’entrelacer
S’étreindre
Arcachon pour seul port
Deux vies
Enlacées
Deux vies
Embrassées
Deux vies
Jadis
Entrelacées
Deux vies
Jamais depuis
Délacées
Arcachon pour seul port
Aujourd’hui
Ces fils tissent
Le texte
De leur histoire
Où se mêlent
Et s’entremêlent
Les mêmes gènes
Le même sang
Aujourd’hui
Ces fils tissent
Comme la grand-voile
Que l’on hisse
Le texte
De mon histoire
Où coule
Et s’écoule
Le même sang
Dans la même veine
Arcachon pour seul port
Je suis ce fil
Je suis ce fils
Je suis ces fils
Qui se nouent
Et
Se dénouent
Qui se mêlent
Et
S’entremêlent
Qui se font
Et
Se défont
Qui se lacent
Et
S’entrelacent
Et
Se délacent
Je suis ce fils de migrations
Cette troisième génération
Je suis le fils
De ces fils
Enchevêtrés
Ces fils de vie
Je suis fils
De ces fils
Terre d’exil
Fils de l’exil
Fils d’exil
Terre d’exilés
Je suis né de migrations
De terres de toutes nations
Expropriées
Expatriées
Rapatriées
Débarquées
Déversées
Estropiées
Naturalisées
Je suis fils
De ceux qui ont fui
De Ritalie
De Maghrébie
Je suis fils
De Macaronis
De Pieds-Noirs
Si bannis
Je suis fils
De sang chaud
De sang froid
De sang
Noblement
Mêlé
De sang bleu
De sang rouge
De sang blanc
Je suis né d’une immigration
Je suis né d’une émigration
Je suis né d’une migration
Je suis né de migrations
Je suis né de migrations
Au cœur du Périgord
Terre de caractère
Terre si réfractaire
Terre si nourricière
Désormais
À jamais
Mon repaire
Mon port
Le Périgord
Pour seul port
Je suis né
Sur ce sol
D’un prompt saut
De haut vol
Demeuré
Boussole
Le Périgord
Pour seul port
J’y ai démêlé
Ma vie
Pour l’ancrer
Dans l’Histoire
D’une terre
Centenaire
Mille fois
Millénaire
À l’encre
Si noire
De ma Poésie
Avec
Pour seul port
Mon Périgord
Ma mère
À Édouard Boubat
« Ô l'amour d'une mère ! amour que nul n'oublie !
Pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie !
Table toujours servie au paternel foyer !
Chacun en a sa part et tous l'ont tout entier ! »
Victor Hugo
Ma mère
Ma mer
Mon encre
Mon ancre
Ma mer
Ma mère
Mon encre sèche
Mon ancre rêche
Contre vents
Contre marées
Contre vents et marées
Contre marées et vents
Ma mer
M’a allaité
M’a porté
M’a aimé
Ma cale sèche
Mon sang d’ancre
Mon vague
A l’âme scélérate
Ma langue mère
Ma mère patrie
Ma maison mère
Ma mère
Mon phare ma phrase
Mon Alexandrie
Mon Père
Mon Père
Mon repère
Mon Colisée de Rome
Mon Père
Mon repaire
Mon Colosse de Rhodes
Mon Père
Mon Corsaire
De Venise mon Doge
Mon Père
Mon aîné
Mon Anchise
Mon Père
Mon ancre
Ma banquise
Mon Père
Mon modèle
Mon fort
Mon Père
Mon symbole
Mon port
Mon Père
Ma grand-voile
Mon sort
Mon Père
Mon décor
Mon Nord
Mon Père
Ville Natale
Des monuments anciens retracent ma jeunesse
La Tour de Vésone, vieille déesse en ruines
Sait me réconforter, m'abriter de la bruine
D'un si lointain passé que mon présent caresse
Fière Tour Mataguerre et vieille tour fortifiée
Angle de rue Angle de Vie Angle de vue
Qui aux Anglais cent ans et plus sut résister
Par ta solidité tu m'as toujours tant plu :
Je me sens grâce à toi plus que vivre exister
Cathédrale Saint-Front,
Ce guide de ma vie
Mon mince fil d'Ariane
Mon phare d'Alexandrie
A la lumière diaphane
A la lueur obscurcie
A qui mon âme en détresse
Doit plus que sa survie
Coupoles de mon front
Que toujours mon esprit
A pour repère pris
J'apprenais à marcher dans ces ruelles-là
Ses murs furent témoins de mes tout premiers pas.
Quand je pars que je vois
S'évanouir l'onde des toits,
Un sentiment m'inonde
De déchirure immonde
Ma ville me regarde et me dit '' Je suis toi''
Et je laisse derrière moi
Ma part schizophrénique
Une part de ma vie,
Mes racines
Périgueux,
Si radieux
Cyranique
Périgord,
Pétrocores,
Dordogne,
Pays de l’Homme,
Tyrannique
Sur toi
Le Temps
N'a ni prise
Ni emprise
Périgueux,
Ville où jamais
Je ne me sentirai
Vieux
Périgueux,
Ville de l'enfance,
Ville de l'insouciance
Qui se transforme parfois en Nouakchott
Au hasard d'un voyage partagé
Il y a tant de Périgueux au monde
Ma Dordogne
« Laisse, laisse-moi faire, ma Dordogne,
Si je devine bien, on te connaîtra mieux. »
Sonnet X, Etienne de La Boétie
Terre de caractère
Sise entre tant de mers
Ma Dordogne
Coule
Ma Dordogne
Coule
Ma Dordogne
Coule bien
Coule loin
Coule bien loin
Ma Dordogne
Encore combien de cendres
Pour se noyer dans tes méandres
Barnabé
Le Temps le Temps
S'est délassé
Sur les rives
Les rives
De Barnabé
Le Temps le Temps
S'est arrêté
Sur les heures
Les heures
De Barnabé
Le Temps le Temps
S'est réfugié
Dans les anses
Les anses
De Barnabé
Mes peurs mes peurs
Se sont lovées
Dans les bras
Les bras
De Barnabé
Mon cœur mon cœur
S'en est allé
Dans les ondes
Les ondes
De Barnabé
Le Temps le Temps
S'est dévasté
Dans le courant
Le courant
De Barnabé
Bien trop
S'y sont oubliés
Sage visage avisé
Un froid
Cinglant
Sanglant
Me déchiquette
Et lacère
Mon sage
Visage
Avisé
De mon dépérissement
Et gèle à fendre
Mon coeur de pierre
Puis je vomis
Ma vie
Dans un spasme
Létal
Et j'expire
Mon dernier
Souffle vital
En un râle
Phantasme
Autopsie d’une vie
J’erre dans ma vie
Comme un mort déterré
Cadavre décomposé
Corps mutilé
Cerveau lacéré
Cœur calciné
Plus rien n’a de sens
Je regarde derrière moi
Et je vois
Ce vide
De ma vie je n’ai plus rien
Plus même de souvenirs
Ne plus se souvenir
C’est déjà mourir
Le murmure de ma mémoire
Me le rappelle
Me le répète
J’ai vécu
Mais je ne suis plus
Les jours s’effritent tristes
Identiques
Monotones
Amnésiques
Atones
Et sur mon crâne j’arbore
L’ombre même de ma mort