Le dépôt
Après le déluge (extraits)
(Quand le temps s’est arrêté)
1
Le jour où la terre s'est arrêtée
Sont arrivés aussi le grondement et le silence.
Et nous n'avons pas manqué de temps, comme l'avaient prêché les scientifiques.
Nous avons plutôt manqué
D'une vie en routine vite oubliée
Dire bonjour
S’aimer en pleine journée
et sans trébucher monter
les escaliers un pied après l'autre.
Nous n’avons pas manqué d'amour non plus
Méticuleusement conservé
Entre les pages d'un livre
Comme une feuille ou un insecte disséqué.
Ce jour-là, les détails les plus simples nous ont manqué
Comme boutonner correctement le col d'une chemise
Ou tendre nos mains pour transpercer l’utérus compact de la nuit.
L'acte d'ouvrir une fenêtre s’est transformé en autel
Et son poids sourd une louange.
Nous avons manqué d'espace
Pour tisser les heures
Comme des mouches sur la traîne du jour.
Et nous avons, surtout, eu envie
D’avancer d’un pas
Et
Allaiter de la source
Du mouvement un pied après l'autre
Comme un nouveau-né.
2
Sous le poids d'un jour immobile, d'un monde sans virage sans saison sans hiver
je vais à présent, griffant les rayures du tigre
comme un otage
si l'on veut l'appeler ainsi,
regrettant les beaux yeux blancs de ma grand-mère, la bouilloire, le soleil, l'odeur de la terre humide, le goût antédiluvien du rêve qui ne vient pas quand le temps
n'est plus hostile
Et j'apprends alors
A tisser les heures
Comme des mouches sur la traîne du jour.